Homélie de la liturgie du 20 février 2011

Homélie prononcée par le P. Jean R. lors de la liturgie du dimanche 20 février 2011 à la chapelle de la résidence à Saint-Denis.

DIMANCHE DU FILS PRODIGUE
20 février 2011

Dans notre Tradition liturgique orthodoxe, bien avant le début proprement dit du Grand Carême, l’Eglise annonce son approche et nous invite à vivre une période préparatoire du pré-carême. Selon cette tradition, chaque grande fête ou période liturgique comme Pâques, Noel etc. est annoncée et préparée à l’avance. La raison est que Notre Eglise a une profonde perception psychologique de la nature humaine. Consciente de notre manque de concentration et l’effrayante mondanité de notre vie, elle sait combien nous sommes inaptes à changer soudainement, à passer brusquement d’un état spirituel ou mental à un autre. C’est pour cette raison que longtemps avant l’effort propre au Carême, Notre Eglise attire notre attention sur l’importance de cette période de jeûne et nous invite à en méditer le sens.
Cette période de pré-carême commence par le Dimanche du publicain et du pharisien (le dimanche 13 février dernier) et aujourd’hui nous sommes au deuxième dimanche qu’on appelle « Dimanche du fils prodigue ».
Ce dimanche nous entendons la parabole de l’enfant prodigue (Luc 15 : 11-32), le temps du repentir se révèle à nous comme le « retour d’exil » de l’homme. Le fils prodigue partit pour un pays lointain, et là il dissipa tout ce qu’il possédait. « Un pays lointain » : telle est l’unique définition de notre condition humaine que nous devons assumer et faire nôtre, quand nous commençons à marcher vers Dieu. L’homme qui n’a jamais fait cette expérience ne fût-ce que très brièvement, qui n’a jamais senti qu’il était exilé de Dieu et de la vraie vie, ne comprendra jamais ce qu’est le christianisme. Et celui qui est parfaitement « chez lui » en ce monde et dans la vie de ce monde, qui n’a jamais été blessé par le désir nostalgique d’une autre réalité, celui-là ne comprendra jamais ce qu’est le repentir.
Souvent le repentir est simplement identifié à une froide et objective énumération de péchés et de transgressions, à un aveu de culpabilité devant une accusation légale. Et la confession et l’absolution sont envisagées comme des actes de nature juridique. Mais on néglige une chose essentielle sans laquelle ni la confession ni l’absolution n’ont de signification réelle ni de pouvoir. Et justement cette chose, c’est précisément le sentiment d’être exilé de Dieu, exilé loin de la joie de la communion avec Lui et loin de la vraie Vie qui est crée et donnée par Dieu. Il est facile de confesser que je n’ai pas jeûné aux jours prescrits, que j’ai oublié mes prières ou bien que je me suis mis en colère. C’est tout autre chose de réaliser que j’ai souillé et perdu ma beauté spirituelle, que je suis très loin de ma vraie demeure, de ma vraie vie, et que dans la trame même de mon existence, quelque-chose de précieux et de pur a été brisé. Pourtant cela est vraiment le repentir, et c’est pourquoi, il est aussi un désir profond de retourner vers ce qu’on a quitté, de retrouver ce qu’on a perdu.
Nous avons reçu de Dieu de merveilleuses richesses ; tout d’abord la vie et la possibilité d’en jouir, de lui donner un sens, de la remplir d’amour et de connaissance ; puis au baptême, la Vie nouvelle du Christ Lui-même, le don du Saint-Esprit, la paix et la joie du Royaume éternel. Nous avons reçu la connaissance de Dieu, et en Lui la connaissance de toutes choses, et le pouvoir d’être fils de Dieu. Et tout cela, nous l’avons perdu, tout cela nous le perdons constamment, non seulement dans des « transgressions » et des « péchés » particuliers, mais dans le péché de tous les péchés, en détournant notre amour de Dieu, en préférant « le pays lointain » à la beauté de la maison du Père.
Mais l’Eglise est là pour nous rappeler ce que nous avons abandonné et perdu. Et tandis qu’elle nous le rappelle, nous nous souvenons, comme le dit le Kondakion de ce jour : « Loin de la gloire du Père, enfoncé dans ma malice, j’ai erré et j’ai dilapidé avec les pécheurs les richesses que tu m’avais données. C’est pourquoi, avec le fils prodigue, je Te crie : Père très bon, j’ai pêché contre Toi ! Reçois-moi, pénitent, et accepte-moi comme l’un de Tes serviteurs ! »
Voilà ce que nous devons réaliser tout au long de ce Carême, de nous reconnaître loin de Dieu, et de décider de retourner vers Lui. Ainsi le Carême se révèle à nous comme pèlerinage et repentance, comme retour dans la maison de Notre Père compatissant et plein d’amour.
P. Jean

« Pas comme les autres hommes »

«Pas comme les autres hommes» –

Réflexions sur le dimanche du publicain et pharisien

(Commencement du Triode du Grand Carême)

Rédigé par M.C. Steenberg | 08 Février 2001

Deux hommes montèrent au temple pour prier, l’un était pharisien et l’autre un collecteur d’impôts. Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même, «Dieu, je Te rends grâces de ce que je ne suis pas comme les autres hommes – extorqueurs, injustes, adultères, ou même comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine, je donne la dîme de tout ce que je me procure ». Mais le publicain, se tenant à distance, n’osait pas même lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine en disant: Mon Dieu, Aie pitié de moi, pécheur! Je vous le déclare, celui-ci redescendit dans sa maison justifié, et non l’autre; car celui qui s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé. (Luc 18.10-14)

Les mots par lesquels commencent les semaines de préparation pour le jeûne du Grand Carême contiennent  un paradoxe. «Celui qui s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé».  Ces paroles sont proclamées dans les églises orthodoxes  à travers le monde le premier dimanche du Triode, connu sous le nom dimanche du publicain et du pharisien.

Nous entendons également un autre paradoxe dans l’épître de ce dimanche: «D’ailleurs, tous  ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ seront persécutés »(2 Tm 3,12). Ainsi l’humilité, apporte une exaltation et la vie selon ce qui plaît au Seigneur  apporte la persécution, et c’est comme cela que nous tournons nos regards vers le Grand Carême.

Le cri du publicain  «Dieu, aie pitié de moi, pécheur! ‘, est une expression qui n’est pas rare dans le monde orthodoxe. En effet, c’est partiellement en référence à ce passage biblique que les paroles de la prière de Jésus dans sa forme la plus commune peut être attribuée, et sous la forme d’une  prière, les paroles du percepteur d’impôts sont ainsi prononcées par de nombreux fidèles des centaines, si ce n’est des milliers, de fois dans leur propre vie. Mais que penser de ces mots que nous disons dans la prière?

«Dieu, aie pitié de moi» est une invocation d’une fréquence inégalée dans le culte de l’Eglise et de sa prière. D’innombrables litanies l’embrassent comme un refrain, dans les services religieux, les  prières et les commémorations on effectue cette supplication  à plusieurs reprises, et il y a des portions des offices religieux dans lequels cette prière est dite suivant des séquences de trois, douze fois, quarante ou cinquante. Cette prière est la seule phrase que de nombreux fidèles, quelle que soient limitées leurs connaissances linguistiques par ailleurs, sauront dire dans plusieurs langues.
Les mots de cette prière sont simples, mais puissants. Demander la miséricorde de Dieu est un mystère grave et redoutable car la miséricorde de Dieu est le fondement de l’univers. Nous prenons l’audace de demander rien de moins que ce don qui va au-delà de toute compréhension et de tout entendement, ce don par lequel les planètes et les étoiles ont leur existence et nous, les humains mortels avons notre souffle. Il n’y a pas peu de contenu à ce cri.

Mais l’Evangile de ce dimanche ne parle pas tellement de ce que dit le percepteur, mais de ce qu’il ne dit pas. Sa prière n’est pas exposée avant que nous ayons entendu les paroles d’un autre homme, le pharisien, l’un des grands maîtres de l’ordre religieux dans le monde juif de cette époque et dont la justice doit néanmoins être dépassée par toute personne entrant dans le royaume des cieux (Matthieu 5.20 ). Il est intéressant de noter que la prière de ce pharisien qui abonde en mots dans les choses dites. «Dieu, je Te rends grâce de ce que je ne suis pas comme les autres hommes – extorqueurs, injustes, adultères, ou même comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine, je donne la dîme de tout ce que je me procure ».

Le pharisien a fait ce qui aurait pu sembler une prière raisonnable, si toutefois nous faisons abstraction pour un instant de son ton peu charitable. Il ne se comporte pas de façon frauduleuse et il rend grâce à Dieu pour ce fait. Il garde la justice, ce pourquoi il offre à nouveau sa reconnaissance. Il n’est pas non un adultère, ni un collecteur d’impôts, ce dernier groupe étant connu pour être fraudeur,  trompeur et voleur, en particulier vis-à-vis des pauvres et des malchanceux. Il garde le jeûne. Il offre de sa fortune  la dîme au temple. Il apparaît comme quelqu’un de  «religieux».

Mais sa prière a révélé quelque chose de lui qu’il ignorait  mais qui n’en est pas moins vrai.

Il a fait des fondements de sa vie religieuse des « objets » et donc il a montré qu’il ne comprend pas leur véritable objectif  plus profond. Il a effectué un jugement sur une autre personne, et même si c’est en apparence la «justice» il a toutefois  introduit un jugement sur « sa propre tête ». Son ascèse est pour lui motif de son fierté, et donc son ascèse a non seulement raté son objectif, mais l’a contrecarré tout à fait. Et dès le début, la prière du pharisien le mettait à part de ses frères. «Dieu, je Te rends grâces de ce que je ne suis pas comme les autres hommes». La prière, qui en engendrant l’union avec Dieu dans la pureté doit être facteur d’union avec les hommes, a été détournée en un acte de division qui déchire les hommes  et les sépare les uns des autres.

Cependant, nous ne devons pas juger le pharisien. Il ne faut pas entendre les paroles de l’Evangile et dire intérieurement, « Merci à toi, ô Dieu, car je ne prie pas comme le pharisien », Car alors, par un autre grand paradoxe, nous prions exactement comme il l’a fait. Le saint Evangile ne raconte pas la prière du pharisien afin que nous puissions voir comment d’autres, pauvres hommes prient, mais que pour nous puissions voir de façon objective comment nous prions nous mêmes. Bien que nous puissions être plus familiers avec les mots du publicain, il faut admettre avec un cœur peiné que, des deux hommes, le pharisien est beaucoup plus semblable à nous-mêmes que l’humble percepteur d’impôts.

Comme cela est souvent le cas dans le mystère de la révélation miséricordieuse de Dieu dans les Écritures, nous trouvons que cette histoire est notre histoire. Ce ne sont pas seulement le publicain et le pharisien, deux figures lointaines, qui vont au temple pour prier, mais nous-mêmes qui approchons la grande miséricorde de Dieu. Et c’est nous qui proclamons dans nos moments de prière ou dans les activités de notre vie quotidienne, que «nous ne sommes pas comme les autres hommes, nous sommes justes; nous ne sommes pas des adultères; nous jeûnons, nous effectuons la dîme, nous sommes fidèles ». Et c’est à nous que l’amour Seigneur Jésus proclame: «Toute personne qui s’élève sera abaissé».

Comme il est bon pourtant pour nos âmes de dire à la suite  St André de Crète, comme nous allons le faire dans quelques semaines :

«Je suis vantard, et dur de cœur, vaniteux et bon à rien. Ne me condamne pas comme le pharisien, mais plutôt accorde-moi l’humilité du publicain, O Toi le seul miséricordieux et juste juge, et compte-moi avec lui » (Grand-Canon, Ode 4).

C’est ce message que l’Evangile de ce dimanche essaie d’inculquer à nos cœurs: non pas que nous prions comme le publicain car peu importe combien de fois on peut réciter ses paroles, mais que plutôt nous prions comme le pharisien – que nous sommes fiers et hautains, et que nous devons être rabaissés. Le percepteur d’impôt est  l’exemple que nous devons suivre et que nous devons nous efforçer d’imiter. «Accorde moi l’humilité du publicain. ».

Le pharisien est celui qui parle de nous, mais le publicain celui qui nous parle. «Dieu, aie pitié de moi » doivent être les mots de notre prière, mais ils ne peuvent pas être réellement notre  prière tant que nous pensons que «nous ne sommes pas comme les autres hommes, que nous sommes ‘justes’. La justice est loin de nous qui sommes ainsi que le collecteur d’impôts le proclame, des pécheurs. Nous n’avons aucun moyen de peser sur Dieu et d’exiger qu’Il nous accorde Sa grâce. Nous avons seulement la capacité à venir devant lui et de mendier Sa miséricorde.

Le Carême arrive. Dans trois semaines, au cours des Vêpres du Pardon nous verrons dans le jeûne proprement dit, la période de «tristesse joyeuse » qui marque le voyage vers Pâques. Mais même maintenant, l’Église commence à se situer dans cet esprit qui est nécessaire pour la joie, la tristesse et le repentir: l’esprit d’humilité qui ne peut venir que si notre fierté est rabaissé et que de la profondeur de nos cœurs nous nous rendons compte qu’il y a aucun autre cri que l’homme mortel peut faire en présence de son Roi que les mots de l’humble  collecteur: Dieu, aie pitié de moi, pécheur!
Traduction libre à partir du site http://www.monachos.net