Pourquoi tant de maladies, tant de souffrances de toute la création sont-elles nécessaires? Beaucoup pensent qu’il eût mieux valu ne pas créer un monde où tous souffrent, où tout meurt. Cependant, pour nous, cette question se pose autrement: nous ne comprenons pas pourquoi les souffrances sont nécessaires, mais quand nous lisons le récit de la chute, nous voyons que le fruit de l’arbre interdit apparaissait beau à regarder et bon, agréable à manger (cf. Genèse 2,6). C’est ce phénomène, – c’est-à-dire le fait de se laisser séduire et de transgresser le commandement de Dieu, – qui conduisit à la mort, mais le Seigneur, en venant sur la terre pour nous sauver, meurt afin d’effacer le péché d’Adam.
Toi qui as cloué sur la croix le péché d’Adam …
Un des tropaires les plus remarquables que nous ayons, et que nous chantons durant le Carême proclame: « Toi qui le sixième jour et à la sixième heure as cloué sur la croix le péché commis par Adam au Paradis, déchire aussi la cédule de nos fautes, ô Christ notre Dieu, et sauve-nous » [cf. Office de sexte]. En quoi ce tropaire est-il remarquable? En ce qu’il nous décrit dans quelles dispositions, avec quelles pensées le Christ est allé à Sa crucifixion pour anéantir par Sa souffrance et par Sa mort, cette délectation qui fut la cause de la chute.
Bien des choses restent encore peu claires pour nous, mais l’être qui nous a été donné, nous l’acceptons tel qu’il est. Les hommes interprètent de diverses manières notre être, notre « existence », mais bien sûr, pour nous, chrétiens, le fondement pour toutes les solutions, c’est le Christ Lui-même, et nous marchons sur Ses traces.
Avoir les pensées du Christ
Le grand apôtre Paul nous a laissé une parole remarquable:
« En vous doivent être les mêmes sentiments et les mêmes pensées qu’en Christ » (cf. Philippiens 2, 5). Cela est semblable à ce que j’ai dit au commencement: que le Seigneur a voulu nous donner Sa vie.
Je crains quelque peu d’être mal compris … Lorsque je parle au sujet du Christ comme d’un exemple pour nous, quand je dis que si nous pensons comme le Seigneur nous l’a commandé, notre pensée n’est déjà plus « la nôtre », « humaine », mais la pensée de Dieu Lui-même, cela veut dire ceci: si je parle dans la ligne qui nous a réellement été proposée comme voie vers le salut, alors, moi aussi, en tant qu’homme, je puis dire que tout le visible, tout ce que je vois maintenant, et, si vous voulez, le ciel et la terre passeront, mais que ces paroles, que nous considérons maintenant comme notre vie, ne passeront pas. Je ne puis pas dire comme le Christ que « ma parole » ne passera pas alors que « le ciel et la terre passeront ». Ce que le Seigneur appelle Sa parole est, pour moi, Son don; c’est pourquoi je ne puis pas dire: « Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas. » Je ne puis pas dire: « mes », parce qu’elles ne sont pas mes paroles; je les ai reçues comme don de la part de Dieu.
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Saint Sophrony avec les moines du monastère.
“Nous tous qui portons cet habit noir”
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Nous tous qui portons cet habit noir [il touche de sa main droite sa tunique monastique], soyons conscients que nous devons assimiler, assumer la vie du Christ Lui-même, Sa manière de penser, être avec Lui comme des enfants avec leur père, comme des élèves avec leur maître, capables de vivre la vie de Dieu Lui-même. Et quand nous entrerons dans cette vie en plénitude alors, certes, ce sera la déification. Mais le critère de tout, c’est de nouveau le Christ. L’apôtre Paul dit: « Tout sera éprouvé par le feu (1 Corinthiens 3, 13), alors, si notre parole est juste, elle ne pourra pas être détruite par le feu. Il s’agit ainsi de la vie éternelle en Dieu et non pas d’autre chose.
La prière, voie d’union avec Dieu
Si nous portons en nous cette conscience, les petits détails de la vie quotidienne – je vous l’ai déjà dit plus d’une fois – cesseront d’agir sur nous d’une manière mortelle. Lorsque nous prions Dieu, et que notre prière franchit une certaine limite et devient véritablement immersion en Dieu, alors nous nous unissons à Lui sur le plan de notre vie.
Notre prière est l’unique voie, dans l’être même, pour l’union avec Dieu. ‘Nous prononçons les paroles: « Notre Père … Il faut se souvenir que nous nous adressons au Père, au Père de Jésus-Christ, oui: « Notre Père », Si nous vivons ces paroles dans leur plénitude, alors cette prière ébranle tout notre être. Ainsi ces prières que nous prononçons dans les églises, pendant la liturgie, elles sont cette vie éternelle que le Seigneur nous a apportée.
Toutes nos relations à tout ce qui se passe, seront remplies d’une vive conscience de l’importance de chaque être humain, de l’importance de chaque geste, de l’importance de chaque rencontre avec un autre être humain. En effet, tout le processus de notre vie, en particulier durant les minutes difficiles, est le processus de la création, par Dieu, de dieux semblables à Lui.
Dans mon texte De la direction spirituelle, j’ai dit à peu près la parole suivante, – et cela doit être reçu par nous comme une parole normale, selon son sens, et non comme une expression orgueilleuse: « Le père spirituel « coopère », participe avec Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit à la création de dieux éternels.
Aimez-vous les uns les autres.
Qu’est-ce que je voudrais vous dire? Ce que le Seigneur dit à ses apôtres: « Si vous restez unis et dans l’amour, alors tous sauront que vous êtes mes disciples » (cf Jean 13, 35), – c’est-à-dire du Christ. Souvenez-vous, je vous en prie, de ces paroles du Christ et faites qu’à l’intérieur de notre communauté nous nous aimions les uns les autres et que notre vie ne soit qu’une seule vie.
Essayez d’appliquer ces paroles du Christ à chacune de vos rencontres; alors le salut vous sera accordé à tous, et vous deviendrez encore capables d’aider les autres.
Mais il faut commencer à partir du fait que nous-mêmes vivons cela comme un commandement de Dieu dans un grand effort, dans les jeûnes, dans les prières, dans les afflictions, dans les maladies et ainsi de suite. Et alors nous pourrons dire à d’autres une parole sur le salut.
Recevoir la vie de Dieu sans intermédiaire
En réalité, nous devons tous recevoir la plénitude de la Révélation aussi bien au sujet -de l’homme qu’au sujet de Dieu. Maintenant, il nous semble que nous sommes excessivement loin de cela. Cela nous semble être ainsi, mais il dépend du Christ de venir et de parler avec nous, comme Il a parlé avec Luc et Cléophas sur la route d’Emmaüs.
On trouve parfois d’étranges paroles chez les Pères … « Si quelqu’un est en Dieu, il n’a pas besoin de lire des livres. » Nous recevons, dans ce cas, la vie qui vient de Dieu sans intermédiaires, sans livres, et cependant comme une réalité authentique. Je puis parler ainsi, parce qu’un exemple nous a été donné en Silouane, notre père spirituel: avant qu’il ait lu des livres, le Seigneur lui est apparu et désormais, il a vécu, à l’instar du Seigneur, toute l’humanité comme liée à lui-même.
Quand le Starets dit, écrit, prie: « Donne à tous les hommes de Te connaître par le Saint-Esprit », cela signifie qu’il existe une autre voie de connaissance, et non seulement la connaissance humaine.
En effet, le Seigneur est prêt à apparaître à tous, si nous acceptons de Lui de suivre Sa voie. Or, Il a dit: « Je suis la voie » (Jean 14, 6), – et quelle voie? Celle de la souffrance. Ainsi, dans le monde, nous allons souffrir; le Seigneur dit que nous aurons beaucoup d’afflictions et Il ajoute: « Mais ayez courage, J’ai vaincu le monde » (Jean 16,33).
Cet arbre malade, c’est aussi ma vie
Il y a deux ou trois jours, les Pères Raphaël, Nikolaï, Jérôme [à présent P. Séraphin] et moi, nous nous tenions à Ambergate auprès d’un arbre et je leur dis: « Regardez cet arbre immense et examinez toutes ses feuilles: chacune est pleine de forces et l’arbre, dans toute son ampleur, est lui aussi en pleine vigueur … Maintenant, voilà que cet arbre – l’humanité – est malade; dans sa maladie, il est en réalité normal pour nous, chrétiens, de prier comme le Seigneur Lui-même a prié: pour le monde entier. Prier avec le sentiment qu’il est notre vie.
Si je suis une feuille de cet arbre, et que toutes les feuilles sont pleines de vie, moi aussi je serai plein de vie, et la vie cosmique passera par moi dans son courant puissant. Cette conscience que nous sommes une partie inséparable de l’humanité est propre au chrétien. Eh bien, c’est ce que nous a enseigné cet « illettré » de Silouane. La phrase prononcée par le Seigneur: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Matthieu 19, 19), doit être comprise ainsi: cet homme, cet « arbre malade », c’est ma propre vie. C’est en Christ que nous parlons !.
Référence :
Parole à la communauté. N*13 . Septembre 1993.
https://holytrinityfamily.blogspot.com/2020/09/cet-arbre-maladecest-ma-propre-vie.html