Prière de saint Eustrate

Je Te magnifie et T’exalte, Seigneur, Toi qui as jeté un regard sur ma bassesse et ne m’as pas emprisonné entre les mains de l’ennemi, mais as délivré mon âme de la détresse. Et maintenant, Maître, que Ta main me couvre et que vienne sur moi Ta pitié. Mon âme accablée s’agite à la pensée qu’elle devra sortir de ce corps misérable et souillé. Que les efforts de l’ennemi malin ne prévalent pas et ne l’entravent pas à cause des ses péchés volontaires et involontaires commis au cours de la vie. Sois-moi propice, Maître,et que mon âme ne voit pas l’aspect odieux et ténébreux des mauvais démons, mais que tes anges brillants et lumineux l’accueillent. Donne gloire à Ton Nom saint et, par Ta puissance, conduis-moi à Ton divin tribunal. Quand Tu me jugeras, que la main du prince de ce monde et ne me saisisse pas pour m’entraîner, pécheur que je suis, dans l’abîme infernal. Tiens-toi à mes côtés, sois mon secours et mon protecteur. Aie pitié, Seigneur, de l’âme qui s’est souillée dans les passions de cette vie et accueille-la purifiée par la pénitence et la confession,Toi qui est béni aux siècles des siècles, amen.

Cette prière prononcée par saint Eustrate avant son martyr en 296 est incluse dans l’office de minuit des samedis.

Le but de la vie du chrétien

Sur le but de la vie du chrétien

Il faut comprendre avant tout que le devoir de tout chrétien, et plus particulièrement de ceux dont la vocation est de se consacrer à la vie spirituelle, est de s’efforcer toujours et de toute manière de s’unir à Dieu, le Créateur, l’Amant, le Bienfaiteur, le Bien suprême par qui et pour qui nous avons été créés. Cela vient de ce que la raison d’être et la fin ultime de l’âme, que Dieu a créée, doit être Dieu lui-même, Dieu seul et rien d’autre, Dieu de qui l’âme a reçu sa vie et sa nature, et pour qui elle doit vivre éternellement. Toutes les choses visibles qui, sur la Terre, sont aimables et désirables, la richesse, la gloire, l’amour, les enfants, en un mot toutes les choses de ce monde, belles, bonnes et attrayantes, n’appartiennent pas à l’âme, mais au corps. Et comme elles sont temporaires, elles sont destinées à passer aussi rapidement qu’une ombre, tandis que l’âme, étant éternelle de par sa nature, ne peut trouver le repos éternel que dans le Dieu éternel. Il est son bien le plus élevé, plus parfait que toute beauté, douceur et amabilité ; il est son habitation éternelle, d’où elle vient et où elle doit retourner. Tandis que la chair, venant de la terre, doit retourner à la terre, l’âme venant de Dieu, retourne à Dieu et demeure avec lui pour toujours. En effet l’âme a été créée par Dieu afin de demeurer toujours avec lui. Par conséquent durant cette vie temporaire, nous devons de toutes nos forces chercher à atteindre l’union avec Dieu afin d’être trouvés dignes d’être éternellement avec lui et en lui dans la vie future.

Il n’est pas possible d’atteindre l’union avec Dieu si ce n’est par un très grand amour. Cela est illustré surtout par le récit évangélique de la femme qui fut une pécheresse. Dieu dans sa miséricorde, lui accorde le pardon de ses péchés et l’union avec lui « parce qu’elle a beaucoup aimé » (Luc 7,47). Il aime ceux qui l’aiment, il s’attache à ceux qui s’attachent à lui et il accorde la plénitude de la grâce à ceux qui désirent jouir de son amour. Pour allumer dans son cœur la flamme d’un si ardent amour, pour s’unir à Dieu d’une inséparable union d’amour, il faut que l’homme prie souvent, qu’il élève son esprit vers Dieu. De même que la flamme grandit quand elle est constamment alimentée, la prière fréquente (l’esprit s’enracinant toujours plus profondément en Dieu) fait grandir l’amour divin dans le cœur. Le cœur enflammé réchauffe tout l’homme intérieur, l’illumine et l’enseigne, lui révélant toute sa sagesse inconnue et cachée, faisant de lui comme un séraphin de flamme, toujours debout devant Dieu à l’intérieur de son esprit, le regardant sans cesse et retirant de cette vision la douceur et la joie spirituelles.

Saint Dimitri de Rostov (1651-1709). Extrait de : « L’Art de la Prière ». Higoumène Chariton de Valamo. Spiritualité Orientale n°18. Abbaye de Bellefontaine.

La mémoire de la mort

La Mémoire de la Mort

Méditation sur le sixième degré de Saint Jean Climaque

Par le Père Quentin de Castelbajac

 

Source : http://stranitchka.pagesperso-orange.fr/VO29/LaMemoiredelaMort.html

Chaque soir, dans nos prières [prières à dire avant de se coucher], nous lisons cette prière de saint Jean Chrysostome : Seigneur, donne-moi des larmes, le souvenir de la mort et la componction. Et de saint Jean Damascène : Maître ami de l’homme, ce lit ne va-t-il pas déjà devenir mon tombeau ?  A chaque saint office, nous prions pour “une fin de vie chrétienne, paisible, sans douleur, sans honte, une bonne défense devant le redoutable tribunal du Christ”
C’est-à-dire que nous prions à la fois pour que Dieu nous donne le souvenir de la mort et que déjà, de fait, dans ces prières, l’Eglise nous fait souvenir de la mort. C’est de cette mémoire de la mort qu’il va être question maintenant, pour tenter d’éclaircir pour moi-même et pour vous de quel type de mémoire il s’agit, dans quel but, par quels moyens.
Dans son livre l’Echelle sainte, ce livre si fondamental que l’Eglise lui consacre une place de choix dans le temps liturgique, saint Jean le Climaque consacre tout un chapitre, le degré 6, entre la pénitence et la lamentation, à la mémoire de la mort.    La pensée, écrit-il précède toute parole; ainsi le souvenir de la mort et de nos péchés précède les larmes et la componction : c’est pourquoi ce sujet vient à sa place dans ce chapitre(1). Et il conclut le chapitre : “Tel est le sixième degré ; celui qui l’a gravi ne péchera plus jamais, si l’Ecriture dit vrai : Souviens-toi de ta fin, et tu ne pécheras plus jamais (Sir.7, 36) ”
C’est évidemment un texte central, qu’il faut lire attentivement. Ne nous méprenons pas sur sa portée pour chacun de nous, sous prétexte qu’il serait écrit pour les moines. Si chaque chrétien, moine ou laïc, est appelé à une forme d’ascèse, alors les paroles inspirées de saint Jean doivent éveiller dans l’âme de tout lecteur un écho profond et durable : “ Il est impossible, a dit quelqu’un, tout à fait impossible de passer pieusement le jour présent si nous ne le considérons pas comme le dernier de notre vie. Et il est vraiment étonnant de constater que les païens eux-mêmes ont affirmé quelque chose de semblable, puisqu’ils définissent la philosophie comme étant la méditation de la mort. (2) 

Les capacités de la mémoire.

Tout être humain à des degrés divers est doué de mémoire, c’est à dire d’enregistrer ce qu’il a vu, entendu ou expérimenté. Nous savons tous que cette faculté merveilleuse peut être extrêmement utile ou redoutable. C’est elle qui nous permet d’apprendre, de retenir pour enrichir notre esprit ou notre âme : je peux mémoriser les lettres, les chiffres, les règles, les prières, les Saintes Ecritures, les choses divines. Hélas, je peux aussi mémoriser des absurdités, des vilenies, les horreurs, les offenses (par la rancune ou autre, comme nous le confessons le soir). Combien se lamentent que telle ou telle scène effrayante aperçue un instant resurgit soudain, involontairement !
Cette faculté a en effet ceci d’extraordinaire qu’elle nécessite parfois un intense effort de volonté pour enregistrer ou se remémorer mais parfois un simple petit déclic. J’ai beaucoup peiné pour apprendre certaines choses, qui s’effaceront peut-être bien vite. D’autres se sont imprimées sans effort dans mon esprit, pour la vie, semble-t-il. Pourquoi cela ?  Sans doute parce qu’au-delà de ma volonté consciente et apparente, il y a la disposition profonde de mon âme, qui aspire, s’ouvre à telle ou telle réalité, est attirée par telle ou telle pôle. Au-delà de nos “actes”, (de nos chutes et de nos relèvements ponctuels), il y a ce que l’on pourrait appeler nos “dispositions du cœur”, cachées sous les actes, et puis “l’esprit de la vie en général”, c’est à dire notre tournure d’âme comme nous parlons de tournure d’esprit. Théophane le Reclus parle de ces trois côtés de notre vie active dans ses lettres rassemblées dans quoi consiste la vie spirituelle et comment s’y disposer ?  (3)

 

Pourquoi oublie-t-on la mort ?

Il fallait rappeler ce qui précède pour mieux cerner ce que peut être la mémoire de la mort. Si nous prions pour avoir cette mémoire-là, c’est d’une part parce qu’elle est utile. D’autre part parce qu’elle ne va pas de soi, ce qui peut paraître étrange. Nous savons tous que nous allons mourir, c’est même peut-être une des rares choses, en ce monde, dont nous pouvons être absolument sûrs. Et pourtant, tout se passe comme si nous l’oublions la plupart du temps. Nous oublions que nous allons mourir, nous oublions souvent de même que ceux que nous chérissons vont eux-aussi mourir.
Pourquoi l’oublions-nous ? Par ce désir bien naturel d’écarter ce qui nous gêne, ce qui nous apeure. Ce passage redoutable est similaire aux souffrances de l’enfantement. Je vis sur terre, dans ce corps, comme l’enfant dans le ventre de sa mère. Et dans ce sein terrestre est moulée une fois pour toute la conformation de mon âme, comme se forme l’enfant dans le sein de sa mère, pour être (ou ne pas être) capable d’affronter cet air vif de la vie éternelle.  Comment ne pas être effrayé par ce passage redoutable. L’enfant ne crie-t-il pas quand il vient au jour ? Il y a dans notre crainte de la mort un élément tout à fait naturel dont parle saint Jean le Climaque. (4)
Mais ce n’est pas la seule raison. C’est aussi parce que notre disposition profonde, intérieure n’étant pas tournée vers la vie éternelle, nous ne voulons pas affronter ce qu’exige cette mémoire-là. C’est ce que souligne Le combat invisible : “ Les hommes de ce monde fuient la pensée et la mémoire de la mort, afin de ne pas interrompre les plaisirs et les satisfactions de leurs sens, qui sont incompatibles avec la mémoire de la mort. C’est ce qui fait continuellement grandir et s’affermir de plus en plus leur attachement aux bonheurs du monde, puisqu’ils ne rencontrent rien qui s’y oppose ” (5). C’est cela qui souvent cause notre aveuglement et des habitudes étonnantes y compris chez nous qui nous parons du nom de chrétien orthodoxe. Combien de fois n’entendons-nous pas dire : “ Ce que je te souhaite avant tout, le plus important, c’est la santé ! ”, comme si notre vie ici-bas devait se résumer à des problèmes de santé !
“ Notre esprit est tellement obscurci par la chute qu’à moins de nous contraindre à nous souvenir de la mort, nous pouvons complètement l’oublier. Quand nous oublions la mort, nous commençons à vivre comme si nous étions immortels, consacrant toute notre activité à la terre, sans nous préoccuper le moins du monde de notre redoutable passage dans l’éternité ni du sort qui nous attend. Alors nous foulons aux pieds avec assurance et sans vergogne les commandements du Christ ; alors nous commettons tous les péchés les plus terribles ; alors nous abandonnons non seulement la prière incessante, mais même celle qui est prescrite pour des heures fixes – nous commençons à négliger cette occupation absolument indispensable comme si elle était une activité superflue ou facultative. Oubliant la mort physique, nous mourons de mort spirituelle. ”, prévient le saint Evêque Ignace (Briantchaninov) (6).

La puissance de la pensée de la mort

Pourquoi dois-je prier humblement pour cette mémoire-là ? C’est que partant de quelque chose de terrestre, de matériel dans son horreur, dont j’ai malgré moi une expérience de plus en plus sensible dans ma vie, j’aboutis à travers cette mémoire de la mort à la mémoire de ce qui est aussi spirituel, à la mémoire de la Vie, du Christ notre Dieu.
“ Au contraire, celui qui se souvient souvent de la mort du corps, revit dans son âme. Il séjourne sur terre comme un voyageur dans une auberge, ou comme un prisonnier dans sa prison attendant, sans cesse qu’on le fasse comparaître pour être jugé ou exécuté. Devant ses yeux, les portes de l’éternité sont sans cesse ouvertes. L’âme anxieuse, il regarde sans cesse dans cette direction, plongé dans une grande tristesse et dans de profondes réflexions (7).
“ Des hommes pieux se demandent -écrit st Jean Climaque – pourquoi, puisque la pensée de la mort nous est si bienfaisante, Dieu nous cache la connaissance de l’heure où elle doit arriver. Ceux-là ignorent que Dieu en agit ainsi d’une manière admirable en vue de notre salut. Personne en effet, connaissant d’avance l’heure de sa mort, ne s’empresserait de recevoir le baptême ou d’embrasser la vie monastique ; mais chacun passerait tous les jours de sa vie dans le péché, et se précipiterait seulement le jour de son départ vers le baptême et la pénitence ; ou plutôt, endurci dans le mal par une longue habitude, il resterait jusqu’à la fin sans se corriger. (8) ” En revanche, on trouvera bien des cas de saints qui ont reçu à l’avance de Dieu la révélation de l’heure de leur mort précisément par ce qu’ils ont su renoncer à eux-mêmes et suivre le Christ.
Saint Jean Climaque raconte l’histoire suivante, tout à fait classique comme effet spirituel de l’expérience de la mort “ Je ne peux omettre de te raconter l’histoire d’Hésychius, le solitaire de l’Horeb. Il avait toujours vécu dans une totale négligence, sans aucun souci de son âme. Mais un jour, il tomba gravement malade et émigra hors de son corps l’espace d’une heure. Etant alors revenu à lui, il nous supplia tous de nous retirer immédiatement. Il mura la porte de sa cellule et y demeura reclus pendant douze ans, sans jamais adresser un mot à personne, sans se nourrir d’autre chose que de pain et d’eau. Il se tenait assis, ravi en esprit par tout ce qu’il avait vu dans son extase ; il était tellement absorbé qu’il ne changeait jamais de position ; semblant toujours hors de lui-même, il versait silencieusement des larmes brûlantes. Mais quand il fut près de mourir, nous enfonçâmes la porte et entrâmes ; et à toutes nos questions, il ne répondait que ces seuls mots : “Pardonnez-moi ! Celui qui garde le souvenir de la mort ne pourra jamais pécher.” Et nous admirions dans cet homme, que nous avions vu jadis si négligent, ce bienheureux et subit changement et une telle transformation. Nous l’ensevelîmes avec vénération dans le cimetière voisin de la forteresse. Quelques jours après, ayant voulu revoir ses restes saints, nous ne les trouvâmes plus. Le Seigneur voulut ainsi à l’occasion de sa pénitence sincère et digne de louange, donner pleine confiance à ceux qui ont résolu de se corriger, même après une longue négligence.  On dit que la mer est insondable, et on l’appelle un abîme sans fond. De même, la pensée de la mort amène la pureté et l’activité de l’âme à un état d’incorruptibilité. Le saint dont je viens de parler en est la confirmation (9).

La mémoire des défunts.

Un des moyens d’implanter en nous la mémoire de la mort, c’est la prière pour les défunts : que nous priions paisiblement  devant les icônes pour nos proches disparus, ou que nous célébrions un office de commémoration (pannychide) à l’Eglise – ou tout le monde devrait apprendre à chanter au moins les réponses au prêtre, en signe de cette participation – ou que nous participions à des funérailles, ou encore à la lecture du psautier au chevet d’un défunt. Nous prenons ainsi bien mieux conscience de cette vie de l’âme des défunts, de la puissance des prières, et tout particulièrement de l’eucharistie. Ce dont témoigne l’apparition de saint Théodose de Tchernigov au staretz Alexis de Gomocheiev, pour lui demander de commémorer ses parents à la sainte liturgie(10). Mesurons aussi la force du lien spirituel qui nous unit à nos parents défunts. On peut songer, par exemple, à l’histoire de ce garçon qui revient de la mort pour prendre congé et demander la bénédiction de ses parents avant de mourir à nouveau, ou encore à celle de la mère défunte qui vient rendre à son fils apostat la croix qu’il avait arrachée de sa poitrine pour le raisonner, deux récits publiés dans Les mystères éternels d’outre-tombe (11).
Outre le bien que notre prière peut procurer aux défunts et la consolation que nous en recevons nous-mêmes, c’est un puissant remède à notre oubli de la mort. C’est un appel à la vigilance intérieure; A Jordanville, en raison du cimetière orthodoxe qui s’est développé à proximité du saint monastère et du cimetière, beaucoup de fidèles demandent à y être enterrés et les étudiants sont souvent amenés à aider pour célébrer, chanter les funérailles, pour veiller les défunts la nuit enlisant le psautier. Les pères du monastère et en particulier l’archimandrite Cyprien, nous recommandaient chaudement de le faire aussi souvent que possible pour notre bien spirituel, la lutte contre nos propres passions : “ Rappelle-toi, et rappelle-toi encore : “ Je vais mourir, je vais nécessairement mourir ! Mes pères et mes ancêtres sont morts ; aucun être humain n’est resté pour toujours sur la terre. La mort qui a frappé chacun d’eux m’attend, moi aussi. ” écrit l’Evêque Ignace Briantchaninov (12).

La mémoire de la mort et la prière.

“ Mets à profit, ajoute-t-il, la courte période de ton pèlerinage terrestre pour t’assurer un asile de paix, un refuge béni dans l’éternité. Plaide pour recevoir les possessions éternelles en renonçant à toute possession temporelle, en renonçant à tout ce qui est charnel et psychique dans le domaine de la nature déchue. Plaide par l’accomplissement des commandements du Christ ; plaide par un sincère repentir des péchés que tu as commis ; plaide en rendant grâce à Dieu et en Le louant pour toutes les épreuves qu’Il t’a envoyées ; plaide par d’abondantes prières et par la psalmodie ; plaide par la prière de Jésus unie au souvenir de la mort ”(13).
La mémoire de la mort peut ainsi dans bien des cas être une pierre de touche et, mieux encore, un combustible pour notre prière. Une pierre de touche car on parle beaucoup aujourd’hui, et souvent avec légèreté, de la prière de Jésus, de la prière du cœur, sans parfois mesurer ce qu’elle suppose comme disposition de l’âme et d’ascèse préalables. A cet égard, posons-nous la question : ai-je la mémoire de la mort quand je répète presqu’inconsciemment cette prière ? Suis-je dans cette crainte de Dieu qui est le commencement de toute sagesse ? Car leur coexistence seule parait le gage de notre sincérité. Ecoutons encore à cet égard le saint évêque Ignace (Briantchnaninov) : “ Ces deux activités – la prière de Jésus et le souvenir de la mort – se fondent facilement en une seule. De la prière vient un vivace souvenir de la mort, comme si elle en était un avant-goût ; et au contact de cet avant-goût, la prière s’enflamme avec plus d’ardeur. ” (14). Voilà le combustible.
Saint Jean Climaque écrit “ L’indice véritable de ceux qui se souviennent de la mort avec un sentiment du cœur, c’est le détachement volontaire de toute créature et le parfait renoncement à la volonté propre ”(15).

Ce que ne doit pas être la mémoire de la mort.

Avoir une mémoire salutaire de la mort ne signifie pas céder à cet attendrissement sur soi-même où nous nous complaisons à imaginer le chagrin de ceux qui nous ont connu, des souvenirs impérissables que nous laisserons, le regret de ce que nous n’aurons pas pu accomplir de glorieux et toutes choses semblables qui révèlent  notre attachement passionnel à ce monde et notre négligence du Royaume céleste. A cet égard, il faut être prudent dans notre préparation matérielle de nos funérailles et de notre tombe et la rédaction d’un testament. Certains négligent à tort de s’en préoccuper, négligent de laisser des instructions claires à un entourage qui n’est pas toujours pieux ou orthodoxe, s’exposant ainsi à être privé de l’aide puissante de la célébration, des prières de la communauté ecclésiale à un moment si crucial de leur existence, comme dans le cas de la crémation, interdite par la tradition de l’Eglise. Et il faut rappeler que les usages de l’Eglise orthodoxe – notamment pour la veillée du défunt, la fermeture du cercueil à l’église – sont loin d’être identiques à ceux généralement établis en France et doivent donc être spécifiquement indiqués. D’autres au contraire préparent leurs funérailles et sépultures avec un souci excessif des apparences et des futilités.
N’ayons pas d’ailleurs la légèreté de juger un homme aux circonstances de sa mort ni de ses funérailles. On trouve dans les récits des Pères du désert cet histoire édifiante d’un laïc qui prenait soin d’un saint moine du désert de Linopolis et qui le retrouva un jour mort et mangé par les panthères, alors qu’il venait lui-même d’assister en ville aux funérailles d’un homme riche et inique célébrées en grande pompe par l’évêque et toute la cité. Notre pieux laïc tomba donc face contre terre en disant au Seigneur qu’il ne se relèverait pas tant qu’il n’obtienne l’explication cette apparente absurdité. Et, de fait, un ange vint lui expliquer que l’homme pervers avait accompli une seule bonne action dont il avait été récompensé dès ce monde ci (par ces magnifiques funérailles) afin de ne trouver aucun soulagement dans l’autre monde, tandis que le saint moine, privé d’honneur à sa mort pour effacer ses quelques faiblesses, serait trouvé parfait dans le monde à venir (16).
Avoir une mémoire salutaire de la mort ne signifie pas non plus avoir le goût morbide de la mort, fait d’un mélange de découragement, d’acédie et d’inconscience, comme nous le rappelle saint Jean de Cronstadt. “Parfois, dans l’abattement de notre âme, nous souhaitons la mort. Mourir est aisé, et vite fait ; mais es-tu prêt à mourir ? Souviens-toi qu’après la mort vient le Jugement. Tu n’es pas prêt à mourir, et si la mort venait à toi, tu frémirais d’horreur. C’est pourquoi, donc, ne parle pas pour ne rien dire. Ne dis pas ; “Mieux vaudrait pour moi mourir” mais dis plutôt : “ comment pourrais-je me préparer à mourir chrétiennement ?” Par la foi, par les bonnes œuvres, en supportant courageusement les misères et les peines qui surviennent, afin de pouvoir aborder la mort sans crainte, sans honte, paisiblement, non pas comme une dure loi de la nature, mais comme une invitation affectueuse du Père céleste, saint et bienheureux, au Royaume céleste. Souviens-toi de ce vieillard qui, chargé d’un pesant fardeau, appelait la mort ; quand elle se présenta, il refusa de mourir et préféra continuer de porter son pesant fardeau ” (17).
C’est pourquoi aussi saint Jean Climaque distingue en nous les différents motifs qui nous font désirer la mort : “Tout désir de la mort n’est pas bon. Certains, que la force de l’habitude entraîne sans cesse au mal, la souhaitent par humilité ; d’autres, qui ne veulent pas se repentir, l’appellent par désespoir. Il en est qui ne la craignent plus parce que, dans leur présomption, ils croient avoir atteint l’impassibilité ; il en est enfin – si toutefois il s’en trouve encore – qui, sous l’action de l’Esprit Saint, demandent à quitter cette vie” (18).

Crainte de la mort et terreur de la mort.

Mais craindre la mort ne signifie certainement pas être terrorisé, accablé par elle, ce qui, suivant le Combat invisible, nous le verrons, serait justement la deuxième tentation au jour de notre mort : la chute dans le désespoir. Saint Jean Climaque écrit : “ La crainte de la mort est une propriété de la nature qui lui a été surajoutée du fait de la désobéissance ; mais la terreur de la mort est l’indice de fautes dont on ne s’est pas repenti.  ” Et aussi “Le Christ a craint la mort, mais Il n’en a pas été terrifié, pour montrer clairement les propriétés de Ses deux natures.” et enfin “Comme l’étain se distingue de l’argent, bien qu’à première vue il lui ressemble, il existe de même, pour celui qui est doué de discernement, une claire et nette différence entre la crainte naturelle de la mort et celle qui est contre nature. ” (19).
Il y a d’ailleurs souvent une sorte d’interaction entre la terreur de la mort et son oubli, un phénomène particulièrement sensible dans notre société, parce qu’elle a oublié le Christ, Son expérience de la mort et Sa victoire sur elle. Quel paradoxe ! Les médias, la télévision, les films, les jeux mêmes (pour enfants !) multiplient pourtant les images virtuelles de la mort, en abreuvent notre imagination, mais en s’attachant cyniquement sur les faits divers tragiques, les circonstances qui la précèdent, et non sur l’évocation de ce qui suit la séparation de l’âme et du corps, ce qui devrait pourtant constituer notre réel souci.
Le Métropolite Philarète de Moscou dit à propos de la prière à Gethsémani : “ là, non loin de l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde, prosterne-toi avec tes péchés, ta tristesse, ton angoisse, l’effroi que t’inspire la gueule béante de la mort et de l’enfer, et rappelle-toi que l’amertume de ton calice a déjà été vidée en grande partie dans le grand calice des souffrances du Christ. Que, sous le fardeau qui t’accable, le puissant Athlète de Gethsémani a déjà placé Sa main auxiliaire. Que ton Sauveur, qui a déjà accompli pour toi l’œuvre tout entière de ton salut, n’attend de toi que la participation à Ses souffrances possible, malgré leur faiblesse, à ta foi, à ton amour et à ta reconnaissance ”(20).
Comme nous l’avons vu avec saint Jean de Cronstadt, l’attirance pour la mort, la fascination morbide, peuvent être le signe d’un abattement coupable de l’âme, un signe de découragement profond et de légèreté inconsciente. Mais, pour l’homme totalement purifié des passions, la pensée de la mort peut bannir toute crainte, ce dont témoigne, quand nous lisons le Synaxaire la dormition de beaucoup de saints moines et la fin de beaucoup de martyrs. C’est pourquoi saint Jean Climaque remarque : “ Celui-là est estimable qui attend la mort tous les jours ; mais celui-là est un saint qui la désire à toute heure. ” et il dit ailleurs : “ Les pères déclarent que l’amour parfait est exempt de toute chute ; de même, je puis assurer que la parfaite conscience de la mort est exemptée de toute crainte. ” (21).
Mais même certains saints ont manifesté une humble crainte à l’heure de leur repos. Ne nous étonnons donc pas si nous, pécheurs que nous sommes, nous ressentons profondément cette crainte naturelle, que nous devons pourtant apprivoiser pour en faire un instrument de notre salut, un peu comme l’éleveur dressera avec sueur et peine un fougueux mustang pour pouvoir accompagner son troupeau.

Comment se préparer à la mort par son souvenir.

Dans Le combat invisible, on lit la chose suivante : “ Bien que toute notre vie sur terre soit une guerre incessante et que nous ayons à combattre jusqu’au dernier moment, la bataille principale et décisive nous attend à l’heure de notre mort. Celui qui succombe à cet instant-là ne se relèvera pas. N’en soyons pas surpris. Car si l’ennemi a osé approcher notre Seigneur, qui était sans péché, à la fin de Ses jours sur terre, comme le Seigneur Lui-même le dit : “ Le prince de ce monde est venu, et n’a rien en Moi ” (Jean 14 : 30), qu’est qui l’empêchera de nous attaquer, pécheurs que nous sommes, à la fin de notre vie. ? Saint Basile le Grand dit dans son commentaire sur les mots du psaume 7 : “de peur que l’ennemi  ne ravisse, comme un lion, mon âme, sans que personne ne rachète ni ne sauve ” il affirme : que les plus infatigables combattants qui ont lutté sans cesse avec les démons leur vie durant, et qui ont déjoué leurs filets et repoussé leurs assauts, ils sont à la fin de leur vie soumis à un examen par le prince de cet siècle pour voir si quelque chose de pécheur subsiste en eux. Et ceux qui présentent des blessures, ou les taches et les empreintes du péché sont retenus en son pouvoir, tandis que ceux qui ne présentent rien de tel passent librement et atteignent le repos avec le Christ. S’il en est ainsi, il est impossible de ne pas garder cela à l’esprit et de ne pas se préparer à l’avance pour accueillir cette heure et la traverser avec succès. Toute la vie devrait être une préparation à cela ” (22).
Et le texte du Combat invisible indique ensuite comment se préparer à l’heure de notre mort, en songeant à ce qui nous adviendra alors, pour ne pas perdre tout moyen alors dans cet excès de trouble, de terreur et de tourment qui nous prend.
Il distingue à cet égard quatre épreuves fondamentales qui peuvent alors nous assaillir : “ Les quatre tentations principales auxquelles nous soumettent habituellement les démons à l’heure de notre mort sont les suivantes :   1) la défaillance de la foi ; 2) le désespoir ; 3) la vaine gloire ; 4) les apparences variées prises par les démons qui se manifestent au mourant. ” Nous devons nous préparer à chacune d’elle dès maintenant, en apprenant à en discerner les prémices dans nos pensées.
Le profit en sera immédiat, car nous nous apercevrons que ces quatre pièges dont parle saint Nicodème l’Agiorite – l’incrédulité, le découragement, la vanité et l’illusion – minent sans cesse, avant même notre mort, notre vie intérieure, notre activité spirituelle, notre prière, notre ascèse, notre effort de pénitence. Il nous faut apprendre à garder ce chemin royal et étroit de la conscience simultanée de notre immense indignité et de l’insondable miséricorde divine, il faut apprendre à côtoyer sans les regarder, sans s’y complaire, les précipices de l’incroyance et du désespoir, d’un côté, de l’orgueil et de l’illusion de l’autre.  Quand nous sommes tentés par le péché, le malin nous suggère que cette faute est sans gravité et même parfois que Dieu est miséricordieux mais, après notre péché, pour peu que le remords nous tenaille, il nous insinue que notre faute est inexpiable et Dieu infléchissable. La crainte permanente de la mort nous apprend à déraciner cette versatilité d’esprit qui caractérise l’indigence, l’inconstance de notre vie intérieure. C’est pourquoi saint Jean Climaque nous avertit : “ Quand tu es touché de componction, ne prête jamais l’oreille aux suggestions de ce chien qui te représente Dieu comme ami des hommes, car son but est de te dérober la componction et cette crainte qui bannit toute autre crainte”  (23).

Comment vivre en pensant à la mort.

Saint Jean Climaque précise ailleurs ce que provoque cette mémoire de la mort, dans le cadre de la vie monastique : “ Le souvenir de la mort incite ceux qui vivent en communauté à s’appliquer aux travaux, aux mortifications et surtout aux humiliations. A ceux qui vivent loin du bruit, il procure le rejet de toute préoccupation, la prière continuelle et la garde de l’intellect. Mais ces trois choses sont à la fois les mères et les filles de la pensée de la mort ”.
Il n’est pas si difficile de voir comment ces réalités-là peuvent se transposer dans la vie de tout chrétien, fût-il laïc ; précisons-les :
– L’application consciencieuse à notre travail, professionnel ou personnel, en songeant que ce que nous faisons, c’est une obédience provisoire que nous avons reçue par la providence divine, et donc bénie (à condition que notre travail soit moralement acceptable, bien sûr).
– La pratique d’une forme d’ascèse, le jeûne, en particulier car, suivant les mots de saint Jean Climaque, “ La pensée intense de la mort conduit à restreindre la nourriture, et quand la nourriture est restreinte avec humilité, les passions sont également retranchées ”.
– Le fait de se tenir avec humilité devant les autres, d’accepter les réprimandes et de solliciter les critiques, de reconnaître nos faiblesses et nos manquements quand nous sommes en société. Car nos relations avec les autres sont si souvent viciées par le désir de séduire et de dominer qu’elles deviennent meurtrières pour nous-mêmes. C’est de ces relations-là que parle saint Jean Climaque quand il écrit “ Celui qui est mort à tout homme, a véritablement le souvenir de la mort : mais celui qui garde encore des relations n’en a pas le loisir, car il se tend lui-même des embûches (24). ”
Ecoutons là-dessus les recommandations salutaires et si simples de saint Tikhon de Zadonsk, qui, dans ses conseils sur les devoirs particuliers de chaque chrétien, nous montre quelle conduite adopter en famille, au travail, en société, comme par exemple : “ bien-aimé, ne recherche pas les honneurs ou les situations d’autorité, mais attends d’être appelé ” – si contraire au code d’ambition de notre société ! – et aussi : “ garde toi de croire les calomnies et les mauvaises rumeurs contre ton dirigeant, car la rumeur fallacieuse se répand souvent contre tout homme, et plus particulièrement contre un dirigeant. Par-dessus tout, garde-toi de le calomnier et de le condamner, car tu commettras un péché grave. C’est une grande iniquité de calomnier et condamner un homme simple, et plus encore un dirigeant. Le respect dû au dirigeant lui est retiré par de telles calomnies, et il s’ensuit le dédain et la désobéissance envers lui parmi ses subordonnés, ainsi que tous les maux dans la société. ”
– La prière et la vigilance intérieure quand nous sommes seuls, entre autre par la défiance vis-à-vis de ces faux compagnons de solitude que peuvent constituer les journaux, les médias, les rêvasseries et les angoisses. Saint Jean Climaque a cette image pittoresque à propos des contradictions qui caractérisent souvent notre état d’âme : “ Vouloir conserver toujours en soi-même la pensée de la mort et de jugement de Dieu, tout en se livrant aux soucis matériels et aux distractions, c’est ressembler au nageur qui voudrait applaudir et battre des mains ” (25).
Voilà, très schématiquement, en transposant dans notre vie ces remarques du saint moine sinaïte, comment nous cultiverons la mémoire de la mort, et ce que cette dernière, simultanément, nous aidera à pratiquer en retour.
Ainsi, suivant les préceptes du Combat invisible, tout en préparant notre mort, nous sanctifions notre vie. Comme le note saint Jean Climaque : “ Le souvenir de la mort est une mort quotidienne ; et le souvenir de notre départ est un gémissement de toutes les heures” (26). Cette mort “quotidienne”, cette mortification, c’est celle à laquelle nous appelle le saint Apôtre Paul, dans ces paroles que nous entendons à chaque baptême : Frères, nous tous qui avons été baptisés en Jésus Christ, c’est en Sa mort que nous avons été baptisés. Nous avons donc été ensevelis avec Lui par le baptême en Sa mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi nous marchions dans une vie nouvelle. Si, en effet, nous avons été greffés sur Lui, par la ressemblance de Sa mort, nous le serons aussi par celle de Sa résurrection : sachant que notre vieil homme a été crucifié avec Lui, afin que le corps du péché fût détruit, pour que nous ne soyons plus les esclaves du péché ; car celui qui est mort est affranchi du péché. (27).

Notre prière pour avoir la pensée de la mort.

Si nous prions donc pour avoir ce souvenir de la mort, c’est qu’il n’est pas un processus mécanique, une sorte de réflexe conditionné, qui va de soi, c’est que, comme pour toute disposition salutaire – comme la pénitence, la foi, la componction, l’amour ou l’humilité – l’homme n’acquiert la mémoire fructueuse de la mort que par le concours, la synergie de sa volonté et de la grâce divine. Nous prions de l’obtenir, parce que, suivant les mots de saint Jean Climaque, “ la pensée de la mort est un don de Dieu qui vient s’ajouter à tous ses autres bienfaits. Sinon – ajoute-t-il – comment expliquer que nous restions souvent sans larmes et secs auprès des tombeaux, alors qu’il nous arrive souvent d’être touchés de componction, loin de cette contemplation ?” (28).
Terminons par cette prière de l’acathiste à Jésus très doux où est soulignée l’intime relation entre notre vie spirituelle et la mémoire bénie de la mort :

Jésus, ne me juge pas selon mes œuvres !
Jésus, purifie-moi selon Ta miséricorde !
Jésus, débarrasse-moi de l’abattement !
Jésus, illumine les pensées de mon cœur !
Jésus, donne-moi la mémoire de la mort !
Jésus, Fils de Dieu aie pitié de moi !

Notes :
1) Saint Jean Climaque, l’Echelle sainte, Traduction française du P. Placide Deseille, Spiritualité Orientale n°24, 1978 – Abbaye de Bellefontaine, Sixième degré, 1.
2) Ibidem, 24.
3) Cf celles publiées dans La Voie Orthodoxe n° 5 et sq .
4! L’Echelle sainte, Sixième degré, 7.
5) Le combat invisible,  édité par saint Nicodème l’Agiorite et revu par saint Théophane le Reclus, en anglais, St. Vladimir‘s Seminary Press, Crestwood 1987, partie II, chapître 9 p..252).
6) Evêque Ignace Briantchaninov “Du souvenir de la mort”, Offrande au monachisme contemporain, Les Miettes du festin, Ed. Présence, 1978, p. 113.
7) ibidem.
8) l’Echelle sainte, Sixième degré, 11.
9) ibidem, 20-21.
10) un exemple cité par saint Jean de Shanghaï et San Francisco dans son texte “La vie après la mort” publié dans Hymne Acathiste pour le repos des défunts, Editions Bénédictines, 1999.
11) Vetchnyia zagrobnyia tainy de l’archimandrite Panteleïmon, Jordanville, 1974.
12) Evêque Ignace Briantchaninov, op. cit. p. 114.
13) Ibidem .
14) Ibidem.
15) l’Echelle sainte, Sixième degré, 8.
16) Livre II, chap. 1 Questions et réponses sur la règle ascétique, 10
17) St Jean de Cronstadt, Ma vie en Christ, Spiritualité Orientale, n°27, 1979 – Abbaye de Bellefontaine, p. 46.
18) l’Echelle sainte, Sixième degré, 10.
19) Ibidem, 3. , 4. et 7.
20) Un sermon publié dans La Voie Orthodoxe  n°28.
21) l’Echelle sainte, Sixième degré, 9. et 16.
22) Le combat invisible,  op. cit. partie II, chapître 9-13 p..251 et suivantes
23) l’Echelle sainte, Sixième degré, 12.
24) Ibidem, 6. , 14. , 23.
25) Ibidem, 13.
26) Ibidem, 2.
27) Rom. 6 : 3-11.
28)  l’Echelle sainte, Sixième degré, 22.

Prêtre Quentin de Castelbajac,
Exposé présenté au monastère de la mère de Dieu de Lesna, juin 2000

Source : http://stranitchka.pagesperso-orange.fr/VO29/LaMemoiredelaMort.html

Saint Jean Climaque: De la pensée de la Mort.

Saint Jean Climaque a vécu au VIIème siècle au Sinaï. Il est commémoré le quatrième dimanche du Grand Carême.

SIXIEME DEGRE
De la pensée de la Mort
 La pensée précède nécessairement les paroles qui l’expriment. C’est ainsi que la pensée de la mort et le souvenir des péchés précédent les larmes et les gémissements que l’une et l’autre font répandre ; c’est pourquoi nous allons parler de ces deux choses dans ce lieu, selon leur ordre et leur rang.
Ainsi nous disons que la pensée de la mort est une espèce de mort quotidienne, et que le souvenir de notre dernière heure est un gémissement continuel.
Ce fut la désobéissance de l’homme, qui donna naissance à la crainte de la mort, et c’est pour cette raison que la crainte de la mort nous est devenue, en quelque sorte, naturelle. Mais savez-vous ce que nous démontre cette crainte ? C’est que notre âme n’est pas parfaitement lavée ni purifiée par les larmes et les austérités de la pénitence.
Le Christ, pour nous apprendre qu’il est Dieu et homme tout ensemble, et pour nous enseigner que les attributs de la nature divine et de la nature humaine sont son partage, s’est effrayé à la vue de la mort ; mais ce divin Sauveur ne l’a pas redoutée. Or, comme de tous les aliments dont nous nourrissons nos corps, c’est le pain qui nous est le plus nécessaire ; de même, de toutes les choses qui doivent nourrir et faire vivre notre âme, rien ne lui est plus nécessaire que le souvenir et la pensée de la mort.
C’est la pensée de la mort qui a fait embrasser aux moines qui vivent en communauté, tous les travaux et toutes les austérités de la pénitence. C’est elle qui leur fait aimer avec délices les mépris et les humiliations; c’est encore la pensée de la mort qui fait que les solitaires qui vivent dans les déserts et loin de tout tumulte, ont généreusement renoncé à tout soin pour les choses présentes, afin de se consacrer uniquement aux saints exercices de la prière et de la méditation, et de veiller assidûment sur leur esprit et sur leur cœur. Or ces vertus sont également filles et mères de la pensée de la mort.
 Mais observons ici que, bien que l’étain ait beaucoup de ressemblance avec l’argent, on le distingue néanmoins facilement, si on le rapproche de ce dernier métal ; de même ceux qui ont quelque expérience dans les choses qui regardent le salut, savent bien mettre une différence essentielle entre la crainte de la mort produite par un sentiment et un mouvement de la nature, et la crainte de la mort causée par l’impression de la grâce.
La preuve certaine et indubitable que nous craignons la mort par un mouvement de la grâce, c’est lorsque cette crainte nous porte à nous dépouiller de toute affection pour les choses créées, et nous fait renoncer parfaitement à notre propre volonté.
Il est louable de penser tous les jours à la mort, comme si chaque jour elle devait nous frapper ; mais c’est une marque de sainteté, de la désirer et de l’attendre.
Gardons-nous cependant de croire que tout désir de la mort soit bon et salutaire : car il en est qui souhaitent la mort, parce qu’ils se voient, par des penchants qu’ils n’ont pas encore pu vaincre entièrement, et par des habitudes dont il ne leur a pas été possible de se corriger parfaitement, exposés sans cesse à faire de nouvelles chutes et de nouveaux péchés. Il en est d’autres qui ne désirent la mort que par un mouvement de désespoir : ce sont des gens qui ne veulent pas faire pénitence ; il en est encore d’autres qui appellent la mort, parce qu’ils se croient affranchis de la servitude de leurs passions, et qu’ils sont parvenus à l’impassibilité ; enfin il en est d’autres qui, mus et conduits par le mouvement et les lumières du saint Esprit, désirent de sortir de ce monde. Mais ces derniers sont bien rares.

Quelques-uns sont en peine, et voudraient savoir pourquoi Dieu, vu que la pensée de la mort est si salutaire, n’a pas voulu que nous connaissions le moment où elle doit nous frapper. Mais ces personnes ne considèrent pas que Dieu, en Se conduisant de la sorte, n’a eu en vue que le plus grand intérêt de notre salut. En effet, si l’heure de la mort était connue, quel serait, parmi les hommes, celui qui s’empresserait de recevoir le baptême, de se convertir et d’embrasser la vie religieuse ? Hélas ! la plupart passeraient leur vie dans le crime ; et ce ne serait qu’à la dernière heure, qu’ils penseraient à recourir aux eaux saintes du baptême ou de la pénitence.
Vous qui pleurez vos péchés, gardez-vous bien des ruses du démon : il cherchera à vous tromper, en vous inspirant que Dieu est bon et miséricordieux. C’est une vérité que nous ne devons savoir que pour nous préserver du désespoir; mais le démon, en vous la suggérant, veut par-là bannir de votre cœur l’horreur et la douleur de vos péchés, et vous faire perdre la crainte de Dieu, laquelle, seule, donne la véritable sécurité.
 Savez-vous à qui l’on doit comparer ceux qui, voulant nourrir dans leur âme la pensée de la mort et le souvenir du jugement dernier, ne laissent pas de s’embarrasser dans toute sorte de soins et d’occupations profanes ? comparez-les hardiment à des personnes qui prétendraient nager sans avoir les pieds et les mains en liberté.
La pensée de la mort, que nous devons regarder pour véritable et efficace, c’est celle qui éteint en nous l’intempérance ; car, une fois qu’on a triomphé de cette passion, on vient facilement à bout de vaincre les autres.
L’insensibilité du cœur produit l’aveuglement dans une âme ; mais la multitude des viandes fait tarir entièrement la source des larmes ; et la soif, la faim et les veilles affligent le cœur; mais un cœur affligé et mortifié selon Dieu répand des larmes abondantes et salutaires. Sans doute ces vérités paraîtront dures à ceux qui aiment la bonne chère, et impraticables à ceux qui vivent dans les bras de la paresse, mais un cœur fervent et généreux les goûtera et les pratiquera avec joie ; et par l’habitude qu’il en aura acquise, il y sera fidèle avec une indicible facilité. Celui qui ne cherchera à les connaître que pour en parler, n’y trouvera que peine et tristesse.
Comme nos pères enseignent communément que la charité parfaite est exempte de chute, je dis de même que la parfaite méditation de la mort est exempte de toute crainte.
Une âme, qui cherche tous les moyens d’assurer son salut, s’occupe sans cesse de plusieurs pensées très salutaires : elle pense à l’amour que Dieu lui porte, à la mort, à la présence de Dieu, au royaume céleste, à la ferveur des martyrs ; mais c’est surtout la pensée de Dieu réellement présent partout, qui l’absorbe entièrement. C’est pour cela qu’elle médite sans cesse ces paroles : « Je regardais continuellement le Seigneur, et je l’avais toujours présent devant mes yeux. » (Ps 15,8). Elle ne perd pas de vue le souvenir des anges et des puissances célestes, ni sa dernière heure en ce monde, ni le moment terrible où elle comparaîtra an tribunal du souverain Juge, ni les supplices éternels, ni enfin la sentence qui y condamnera les pécheurs. Telles sont les grandes vérités dont s’occupent les âmes qui veulent servir Dieu. Nous avons d’abord présenté celles qui doivent nous paraître les plus respectables, et nous avons ensuite rappelé celles qui sont les plus capables de nous inspirer l’horreur du péché et de nous empêcher d’y tomber.
Un certain moine d’Égypte me raconta un jour ce qui lui était arrivé à lui-même. Il me .dit qu’il avait si profondément gravé dans son cœur le souvenir et la pensée de la mort, et que cette pensée lui faisait une impression si vive et si puissante, qu’ayant voulu procurer quelque soulagement à son corps, qui en avait un grand besoin, cette pensée, comme un juge inexorable, s’y opposa victorieusement. Et, ce qui vous paraîtra plus étonnant encore, m’ajouta-t-il avec une admirable simplicité, c’est qu’ayant essayé pour un instant de rejeter cette pensée, je n’en pus venir à bout.
 J’ai connu un autre moine qui demeurait dans un lieu appelé Tholas. Or la pensée de la mort lui faisait souvent perdre tout sentiment ; vous auriez cru, en le voyant, ou qu’il était évanoui, ou qu’il était tombé en épilepsie : nombre de fois les frères du monastère l’ont trouvé dans cet état, et l’emportaient comme un mort.
Je ne peux pas non plus ne pas vous raconter ce qui est arrivé à un solitaire, du nom d’Hésychius, de la montagne de l’Horeb. Ce pauvre solitaire eut le malheur de passer les trois premières années de sa retraite dans l’oubli entier de son salut, et de négliger tous les exercices de la vie religieuse. Enfin Dieu le frappa d’une maladie si grave, que pendant une heure entière, on crut qu’il était mort. Mais revenu à lui-même, il nous conjura tous avec instance de nous retirer, et de le laisser seul. Nous lui obéîmes, et aussitôt il ferma sur lui la porte de sa cellule, et y demeura tellement reclus, que pendant l’espace de douze ans qu’il vécut encore, il n’échangea jamais aucune parole avec personne. Et ne se nourrit que d’un peu de pain et d’eau qu’on lui apportait; il était toujours assis à la même place et n’en changea jamais; il repassait si fortement dans son esprit les choses terribles qu’il avait vues dans la vision qu’il avait eue, que son corps fut toujours dans la même position et la même attitude, et que toujours frappé de la même terreur et hors de lui-même, il gardait le silence le plus parfait, et pleurait à chaudes larmes. Enfin comme, nous connûmes qu’il touchait à sa dernière fin, nous enfonçâmes la porte de sa cellule, pour entrer et lui demander plusieurs choses que nous désirions savoir. Mais ce fut en vain : nous ne pûmes avoir de lui que cette seule parole : Pardonnez-moi, mes frères ; je ne peux rien vous dire, sinon qu’il est impossible qu’il ose pécher celui qui aura la pensée de la mort fortement gravée dans l’esprit. Cette réponse nous frappa d’étonnement, et nous ne pouvions pas assez admirer comment un homme dont nous avions dans le temps tous connu la paresse et la négligence, eût été si promptement changé et transformé en un autre homme, et qu’il eût acquis une si grande perfection et une sainteté si prodigieuse. Il mourut, et nous l’ensevelîmes dans le cimetière qui était auprès du monastère. Le lendemain nous allâmes visiter son tombeau, pour voir le saint corps de ce solitaire ; mais il n’y était plus. C’est sans doute pour donner aux hommes une excellente leçon, que Dieu permit cette merveille : il voulut faire comprendre à ceux qui, après avoir abandonné la vertu et négligé leur salut, se convertissent avec sincérité et embrassent une nouvelle vie, combien la pénitence de ce solitaire lui avait été précieuse et agréable, et par conséquent, combien il agréerait le repentir et la pénitence de tous les pécheurs.
 Comme on dit ordinairement qu’un gouffre est une profondeur d’eau qu’on ne peut sonder, et que c’est pour cette raison qu’on lui donne ce nom ; de même la pensée de la mort produit en nous un abîme sans fond de pureté et de bonnes œuvres. C’est ce que nous démontre très bien le fait que je viens de vous raconter ; car les pénitents qui, comme ce saint homme, ont continuellement dans l’esprit l’image de la mort, sentent augmenter en eux la crainte et la frayeur qu’elle leur inspire, jusqu’à ce qu’enfin elle les consume jusqu’à la moelle des os.

Au reste, ainsi que nous devons le sentir, soyons bien persuadés que cette crainte n’est pas un des moindres bienfaits que nous ayons reçus de Dieu. Car n’est-il pas vrai, et notre propre expérience ne nous l’atteste-t-elle pas, que souvent, même au milieu des tombeaux, nous avons été d’une insensibilité de fer, et que nous n’avons pas répandu la plus petite larme ; tandis que d’autres fois, sans être au milieu des morts, et sans la vue de la triste image de la mort, nous avons des torrents de pleurs ?
Celui-là donc pense véritablement à la mort, lequel a fait mourir en lui-même toute affection pour les créatures et pour les choses du monde ; mais il ne cesse de se tendre des pièges à lui-même, celui qui est encore dominé par des désirs profanes.

N’usez pas de paroles pour faire savoir aux personnes que vous chérissez, que vous les aimez d’un amour bien affectueux; contentez-vous seulement de demander à Dieu de leur faire connaître de la manière qui lui conviendra, les sentiments de charité et de tendresse que vous avez pour elles; car si vous en agissiez autrement, tout le temps de votre vie ne suffirait pas pour témoigner à vos amis l’affection que vous leur portez, et pour vous exciter à la componction et à la douleur de vos péchés.
Ne vous laissez pas tromper, ô vous qui vous êtes loués pour travailler à la vigne du Seigneur, et n’allez pas croire faussement que vous pourrez racheter le temps par le temps; car chaque jour ne peut nous suffire pour nous acquitter des dettes que nous contractons à chaque instant.
Aussi un Père nous déclare que de faibles mortels, comme nous, ne peuvent passer un seul jour de leur vie d’une manière sainte et louable, s’ils ne se représentent pas vivement que ce jour est le dernier de leur existence ici-bas . Et ce qui doit nous surprendre, c’est que des écrivains, dans le sein même du paganisme, ont dit quelque chose de semblable : car ils ont écrit quelque part que, l’amour de la sagesse n’était autre chose que la pensée de la mort. Quiconque sera monté sur ce sixième degré, ne se laissera plus tomber dans le péché, d’après cet oracle divin : Rappelez-vous vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais. (Sir 7,36).

 

Source : http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Climaque/Echelle/climaque5.htm

Aborder le Grand Carême pour une vie pleinement réelle

Source:http://blogs.ancientfaith.com/glory2godforallthings/2015/02/25/get–for-lent/ (P. Stephen Freeman)

Selon saint Basile, Dieu est le «seul véritablement Existant». Notre propre existence est un don de Dieu qui est notre Créateur. Aucun d’entre nous n’a de vie « par lui-même». Nous existons parce que Dieu nous soutient dans l’existence –c’est en Lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être (Actes 17:28).

Le péché est le rejet de ce don de Dieu – c’est un mouvement qui nous éloigne de l’existence véritable.

Une grande partie de notre attention dans le monde moderne est engagée apparemment avec des choses qui n’ont pas de «vraie existence». Nous nous donnons à des illusions, avec des constructions virtuelles. Notre économie nous permet d’échapper aux nécessités normales telles que la rareté saisonnière ou d’autres soucis matériels. Nous sommes de plus en plus éloignés de l’environnement même dans lequel nous vivons naturellement.

On dit que les astronautes, après avoir passé un temps prolongé dans l’espace, ressentent les effets persistants de la zéro-gravité. Nos corps sont faits pour la gravité et exigent son interaction constante pour tout, du tonus musculaire à la densité osseuse. Mais nous vivons maintenant dans des situations où de nombreuses formes de «gravité» naturelle ont été réduites ou supprimées. Quel effet sur le long terme sur le corps humain d’avoir accès presque à n’importe quelle nourriture à n’importe quel moment de l’année ? Etant quelqu’un qui a passé la meilleure partie de sa vie assis dans un bureau, je peux attester des conséquences d’une existence sédentaire. Mon bas du dos, ma gamme de mouvement, la souplesse de mes articulations sont tous conformes à ceux du travailleur moderne à col blanc.

 

Quel effet ces choses ont-elles sur l’âme ? Car l’âme a besoin de «gravité» aussi. Platon a déclaré dans sa « République » que tous les enfants devraient apprendre à jouer d’un instrument de musique parce que la musique était nécessaire pour le bon développement de l’âme. Nous pensons trop peu à de telles choses, en supposant que quel que soit l’environnement dans lequel nous vivons, notre liberté inhérente de choix reste indemne et nous pouvons toujours décider de faire quelque chose de différent, ou être quelqu’un de différent.

 

Je pourrais décider de courir un marathon demain, mais je sais que le premier quart de kilomètre me laisserait haletant et épuisé. Vous ne pouvez pas passer de 40 ans de vie dans un bureau aux exigences d’un marathon – juste parce que vous choisissez de le faire.

Nous arrivons donc au Grand Carême.

Certains voient cette saison de l’année comme un marathon spirituel. Ils s’éloignent de leur vie spirituelle sédentaire, partent en sprint et échouent avant la première semaine. L’échec vient de la colère, de l’auto-récrimination, voire du découragement.

La première année que j’ai «choisi» de jeûner selon l’orthodoxie (c’était 4 ans avant que je ne sois reçu dans l’Église Orthodoxe), le prêtre avec qui j’ai discuté du jeûne m’a dit : « Vous ne pourrez pas respecter les règles du jeûne ». J’ai débattu avec lui jusqu’à ce que je réalise sa sagesse.

– Fais quelque chose de plus facile, me dit-il. « Il suffit d’abandonner la viande rouge. »

«Et le poulet?» Demandai-je.

« Non. Mangez du poulet. Mangez de tout, sauf le bœuf et le porc. Et priez un peu plus. »

Je retournai donc dans ma vie anglicane, un peu déçu que mon zèle ait fait une si mauvaise impression. Mais ma famille a accepté la proposition et nous n’avons pas mangé de viande rouge pour le Carême. C’était, avec le recul, le meilleur carême que ma famille n’ait jamais eu. Nous n’avons plus eu à penser à «ce qu’il faut abandonner pour le carême », et nous avons accepté la discipline qui nous a été donnée.

Dans les années suivantes ce même prêtre (qui est maintenant mon parrain) a augmenté la discipline. Et nous étions prêts pour cela. Il est intéressant pour moi, cependant, que ma première expérience d’un jeûne orthodoxe a été de ne pas être très strict. La partie «stricte» était d’apprendre à faire ce qu’on m’a dit. C’est parfois le jeûne le plus difficile de tous.

Le carême est un temps pour «avoir une existence réelle». Ne pas manger certaines choses est  normal. Dans notre monde moderne, nous devons embrasser une «gravité» naturelle que nous pourrions facilement laisser derrière nous – du moins, nous devons le faire si nous voulons éviter une atrophie de l’âme.

En 2000, l’Américain moyen consommait 180 livres de viande par an (et 15 livres de poissons et crustacés). C’était environ un tiers de plus qu’en 1959. La rareté n’est pas un problème dans notre alimentation. Notre abondance n’est simplement «pas réelle», et l’environnement montre fréquemment les marques de la nature artificielle de notre approvisionnement alimentaire. Mais nous n’avons aucun moyen d’étudier ce qui se passe avec nos âmes. Ce que je sais c’est que pour être vrai, c’est – comme va le corps –ainsi il en est de l’âme. Ceux qui s’engagent dans le monde en tant que consommateur sont consommés par le monde dans une même mesure.

Et ainsi nous pouvons mener une existence réelle.

Mener une existence réelle c’est accepter les limites et les frontières. Notre culture est une bulle d’autosuggestion. Elle repose sur une économie de surconsommation. La crise de 2008 nous a mené tout près d’une catastrophe encore beaucoup plus grande et aurait pu facilement nous faire tomber en chute libre. Beaucoup ne parviennent pas à comprendre à quel point nos vies sont fragiles. Dans la saison du Carême (et tous les jours de jeûne de l’année) nous embrassons la fragilité de nos vies. Nous permettons au monde de dire «non» et nous nous donnons des charges et des devoirs supplémentaires. Il vaut la peine de garder à l’esprit que de telles choses ne font pas de nous  des héros spirituels, mais que d’abord ils doivent nous rendre humains.