Un témoignage

sunset saint gilles

 

Conférence sur le monachisme donnée par un prêtre de paroisse devant des moines. C’est un témoignage très intéressant qui aide le chrétien qui cherche à croître dans la foi.

 

Qu’est-ce qu’un monastère ?

Le monastère est semblable à une place forte qui combat le diable car les moines sont sa propriété (du moins c’est ce qu’il considère). Il est le prince de ce monde et les moines ont décidé de le quitter et de servir le Roi du Ciel qui est le Christ. Le diable vous veut à lui et vous lui avez déclaré la guerre, c’est pourquoi il considère que vous êtes arrogants et il va vous attaquer. C’est pourquoi on dit que la vie monastique est pleine de combats car les démons veillent sur ce qui leur appartient mais qui en réalité appartient à Dieu. Vous êtes l’armée du Ciel.

Quel est le projet des moines et moniales ? En ce qui concerne ma vie spirituelle alors que je demeure dans la cité, j’ai pris la décision qu’elle soit imprégnée de l’esprit monastique, pour que je retrouve le calme et que n’aie plus la colère. Cela veut dire que j’ai pris la décision de retourner à Dieu. Nous nous attachons aux choses mondaines, aux passions, aux plaisirs sans faire attention, non pas parce-que nous n’aimons pas Dieu, mais parce-que nous avons été éduqués ainsi dans nos familles et que nous ne connaissons Dieu qu’en paroles. Nous avons été éduqués de façon classique, routinière, Dieu étant absent (de nos préoccupations) bien qu’il y avait une partie consacrée à l’Eglise : le dimanche on nous mettait nos plus beaux habits et on nous prenait à l’église où nous passions une partie du temps à jouer, et ensuite au moment de la communion nous demandions au prêtre de nous en donner une bonne quantité car le vin était doux ! Nous n’en savions pas davantage, et puis nous avons grandi et nous n’en savions pas davantage pour autant. Mais en quoi consiste ce projet (des moines) ? De quoi s’agit-il ?

J’ai commencé à lire de nombreux livres spirituels jusqu’à ce que j’aie commencé à trouver des clés qui m’ont ouvert à la compréhension. Par exemple quand j’ai lu la phrase suivante « celui qui est né de l’Esprit est esprit et celui qui est né de la chair est chair » j’ai tout de suite pensé : je suis né de la chair puisque ma maman est chair. Mais qu’est-ce que la naissance de l’Esprit ? Et j’ai commencé à réfléchir là-dessus. Le saint apôtre Paul nous dit : « La chair et le sang (et donc la naissance selon la chair) ne peuvent hériter du Royaume des Cieux, et la corruption ne peut hériter l’incorruptibilité » et encore : « Tel est le terrestre, tels sont aussi les terrestres, et tel est le céleste, tels sont aussi les célestes ». Comment puis-je devenir à l’image de Dieu pour que je devienne céleste ?

Alors je me suis mis à la recherche à étudier et à lire pour apprendre comment devenir à l’image de Dieu, comment devenir céleste. Alors j’ai commencé à rechercher, à étudier, à lire pour essayer de comprendre ce qu’est la nature de Dieu. C’est quelque-chose de très difficile. A la fin, le Seigneur Jésus-Christ m’a éclairé. Le Christ qui est la Parole de Dieu, le Logos, nous a montré beaucoup de choses nous demandant de les comprendre en profondeur. J’ai commencé à lire les Pères de l’Eglise et les Pères qui nous ont précédé et qui ont donné beaucoup et plein d’explications…jusqu’à ce je comprenne comment parvenir à Dieu, comment devenir céleste et partager Sa divinité. Et j’ai compris que je ne pouvais atteindre cet objectif (la divinisation ou encore la sanctification) qu’en appliquant un projet de type monastique. En effet, je vous ai observé : je ne dois rien convoiter (ou désirer passionnellement quelque-chose), je dois pratiquer le jeûne et la prière, je dois consacrer ma vie à la prière, au repentir (métanoïa), aux demandes de supplication, dans le cadre d’une règle monastique, en obéissance totale et en renonçant à soi-même…je n’ai plus désiré vivre pour moi-même car c’est le Christ qui doit vivre en moi. Mais comment empêcher que les désirs passionnels jaillissent de moi ? Ces désirs passionnels ont leur origine dans ma chair, c’est la chair qui désire. « Tel est le terrestre, tels seront aussi les terrestres ». Tout ce qui est terrestre m’épuise. Je ne dois pas avoir un regard de convoitise, je ne dois pas entendre des paroles grossières, il ne faut pas que je désire manger beaucoup…comment mettre un frein à mes sens ? Alors je vous ai observé : vous fermez vos oreilles avec votre habit car vous ne souhaitez pas entendre des paroles qu’il est inutile d’entendre, lorsque je voulais vous saluer lorsque je ne connaissais pas encore ce qu’est le monachisme, j’ai remarqué que vos yeux étaient toujours baissés…Vous ne voulez pas vous mêler (aux troubles) qui viennent de la cité. Vous vivez à l’intérieur de votre monastère. Vous ne souhaitez pas entendre ce qui n’est pas de Dieu. Nous jeûnons 50 jours et vous vous jeunez de tout toute l’année : vous ne mangez pas de viande, vous n’utilisez pas les épices dans les plats…Telle est la vie monastique : je ne veux rien, je ne souhaite rien, c’est seul Dieu que je veux. Tout cela est bien beau ! Alors j’ai commencé à réfléchir là-dessus, ayant gouté à Dieu je ne pouvais plus envisager vie sans Lui, et je veux Lui devenir semblable.  Alors j’ai réalisé qu’il ne s’agissait pas seulement de prier, jeûner, supplier, verser des larmes et éprouver des sentiments ; mais qu’il s’agit d’un projet gigantesque : je dois changer (me renouveler : « métanoïa »), je dois chasser le vieil homme, l’ancien esprit qui provient du diable et qui peut être en moi sans que je ne fasse attention ! Lorsque j’étais à l’école puis à l’université je ne faisais pas attention. Lorsqu’une belle jeune femme passait à côté, je la regardais car j’étais un jeune homme. On ne m’a pas dit ce qu’il fallait faire. Je me suis demandé : qu’est-ce que l’esprit impur ? Quelle est la nature de Dieu ? J’ai fait des comparaisons et j’en suis arrivé à une conclusion : je veux être céleste comme les célestes. En d’autres termes, j’ai compris qu’il ne faut pas regarder une femme d’une façon qui ne convient pas : il faut la regarder comme si elle était ma sœur, et qui plus tard va avoir des enfants qui sont pour Dieu. Ou bien qu’elle sera une moniale qui va donner son cœur et son âme à Dieu devenant servante et épouse du Christ…Et pour que je ne la regarde pas de façon qui ne convienne pas, il faut que je veille à mon regard et le tienne ferme m’inspirant du comportement des moniales qui baissent les yeux lorsque je les salue.

Nous jeûnons cinquante jours par an et vous, vous jeunez toute l’année. Alors, qu’est-ce que le jeûne ? Le jeûne c’est renoncer à beaucoup de choses afin de recevoir les grâces, de se remplir de la grâce de Dieu. Le monachisme est donc un projet céleste : c’est le projet qui m’amène au Christ. Que je tienne en bride la chair et ses passions et que je m’emplisse de l’Esprit céleste, de l’Esprit Saint, du fait de mon amour au Christ. Je suis quelqu’un d’important ! Je suis un universitaire ! Je peux faire des conférences ! Mais en réalité, je ne suis rien du tout. Je peux être parmi des gens importants et ne pas savoir comment parler. Qui suis-je ? Le Christ Dieu a reçu des coups, il a renoncé à ce qu’Il est, et nous savons qu’Il est Dieu, et Il a obéi jusqu’à la mort sur la croix. Vous pouvez me demander : comment se peut-il que le Christ soit obéissant ? Lui qui as dit « Lazare, sors » et à qui les vents ont obéi, comment Lui peut Il obéir ?

Je ressens à l’intérieur de moi-même quelque-chose qui met en mouvement mes passions : par le jeûne j’ai limité ma gourmandise, par l’attention je refuse d’entendre des paroles salissantes, par la vue, je refuse de regarder de façon inconvenante. J’ai maîtrisé tout cela mais il y a toujours quelque-chose qui réveille mes passions ! Il y a donc quelque-chose enfoui à l’intérieur de moi et qui provient du prince de ce monde, il me fait réagir, il exerce une influence sur moi, et par un moyen étudié avec soin il agit sur moi en adaptation avec mon tempérament afin que je ne fasse pas attention à lui. La vie selon l’esprit monastique a été conçue afin de casser son emprise, et c’est pourquoi j’ai décidé de vivre ma vie selon l’esprit monastique autant qu’il m’est possible, malgré les difficultés dans ma vie quotidienne, car je n’accepte plus d’être amputé de ma nature spirituelle qui est à l’image de Dieu et à Sa ressemblance. Je ne veux plus être séparé de Celui qui a donné le Souffle de vie à Adam, Souffle qui est également en moi. Je ne veux pas que ce Souffle me soit extérieur ! Je dois Le retrouver, m’unir à Lui afin de rester avec Lui. Pour cela il n’y a que le projet monastique. Je suis prêtre, je suis donc supposé avoir lu les Evangiles. Comment me comporter dans ma paroisse ? Comment sauver des personnes qui se sont éloignées du chemin et qui sont tombés ? Le Christ qui est mort sur la croix pour eux m’a donné la mission de les aider vers le salut. Est-ce que je suis capable de parler et d’expliquer les versets (de l’Evangile) ? Est-ce que je suis capable de transmettre ce que j’ai appris à l’université ? Non, cela n’est pas suffisant. L’Esprit est nécessaire pour cela. Je dois me laver intérieurement afin que ce que je transmets soit marqué du sceau de l’Esprit. Afin de capter le cœur de ceux qui m’écoutent pour qu’ils ressentent l’enseignement et qu’ils quittent l’église en ayant acquis quelque-chose. De quoi ai-je donc besoin ? Que mon cœur soit semblable à celui d’un moine, que je ne désire rien posséder, que je ne regarde pas de façon inconvenante, que je ne reste pas en la compagnie de gens qui parlent de façon méprisante…

Une fois j’ai été invité à un repas, il y avait un énorme poisson de grand prix avec des fruits de mer délicieux à voir. Je regardai cela et j’étais à l’époque en plein milieu de ma recherche spirituelle vers Dieu. Et au lieu d’avoir envie de manger ces mets et de me dire que je n’aurai peut-être plus l’occasion d’en manger à nouveau je me suis dit : « Malheur à moi ! » Car j’avais vu quelques jours avant à la télé des images d’enfants qui mouraient de faim, des enfants à la tête squelettique et aux ventres enflés. L’image de ces enfants me revenait pendant que je regardais cette nourriture délicieuse, alors j’ai décidé de ne pas goûter à ce qui était sur la table. Mais que faire ? Il ne fallait pas causer de la peine à ceux qui m’avaient invité. Je me devais de paraître de bonne humeur. Je suis parti à la salle de bains et j’ai pleuré en demandant le secours de Dieu, le priant de me rendre malade afin d’avoir un prétexte pour fuir le repas. Sans doute qu’il s’agit d’un moment d’émotion injustifiée. Mais je ne pouvais faire autrement que de penser aux gens qui n’ont pas à manger. Je ne suis pas devenu prêtre pour jouir mais pour que les autres jouissent du Christ. Ou alors mieux vaut renoncer à la prêtrise et retourner chez moi ! Je ne pouvais plus supporter le mot de prêtre à cause des fautes commises par des prêtres : c’est comme tuer les gens, se glorifier de la croix affichée sur nos poitrines et se prendre pour des gens importants … Je me suis rendu chez le Père Elias Marcos (higoumène du monastère de Deir El Harf au Liban et endormi dans le Seigneur en 2011) ; et je lui ai parlé de cette invitation à ce repas copieux et de ce que j’avais ressenti et que je n’avais jamais ressenti avant. Il m’a dit : « c’est très bien ». Je lui ai dit : « Cela m’a épuisé, j’ai eu mal à l’estomac, j’ai eu des crampes d’estomac et j’ai fait semblant de manger. Je ne les ai pas laissés remarquer que je ne mangeais pas et j’avais pris la ferme décision de ne pas manger. Qu’en pensez-vous, vous qui êtes mon père spirituel ? ».

Il m’a répondu : « votre attitude a été une erreur ».

–  Mais pourquoi ?

– Et pourquoi toutes ces complications ? »

– Que fallait-il faire ?

-Est-ce que c’est toi qui avais préparé le repas ?

– Bien sûr que non !

– Est-ce que c’est toi qui a acheté ce poisson coûteux avec les fruits de mer ?

– Non !

–  Dieu a permis ce repas. Tu devais manger et rendre grâce. Peut-être que tu n’auras pas d’autre occasion de partager un repas comme celui-là. Dieu a permis que tu sois présent, alors mange et remercie le Seigneur. Ne complique pas les choses.

J’ai appris de cette expérience qu’il fallait manger de ce qui était offert ; que cela nous plaise ou pas. Ne pas refuser ce qui est offert, ne pas demander autre chose, et remercier le Seigneur pour Ses dons.

Toutes ces luttes pour imprégner mon cœur de l’esprit monastique étaient très dures ; elles sont aléatoires, je vis au gré de mes circonstances alors que la vie du moine obéit à une règle précise. J’ai beaucoup souffert et je suis arrivé à la conclusion que pour atteindre ce qui est céleste je dois en finir avec ce qui est terrestre et que je sois obéissant jusqu’à la mort. Ainsi, même si le P. Touma me réprimande, ce n’est pas moi qu’il réprimande mais le diable qui me poursuit et m’épuise en mon intérieur. Le P. Touma m’aime, c’est mon père (spirituel), c’est lui qui m’enseigne, il voit comment j’avance et comment le diable arrive pour me retenir et me faire marche arrière. Alors le P. Touma accourt pour l’arrêter et le réprimander, et moi dans mon manque d’intelligence, je crois qu’il me réprimande ce qui m’attriste ! Il en est de même avec Mère Myriam… (P. Touma et Mère Myriam sont respectivement higoumènes de deux monastères situés à Douma au Liban).

En fin de compte le projet monastique est un projet audacieux contre le diable car de son point de vue nous tous lui appartenons. Il nous mène et nous domine et en adhérant à l’esprit monastique nous prenons la décision de nous affranchir de lui. Alors il nous fait la guerre, mais : « Mon Dieu, c’est Ta face que je cherche ». Je ne désire pas autre que Toi. Je veux être céleste comme les célestes qui ont plu à Dieu depuis le commencement. Ma fonction de prêtre, si elle est dénuée de l’esprit monastique, est un échec. Et ma vie avec le Christ est un échec si mon cœur ne s’imprègne pas de l’esprit monastique et s’il n’est pas disposé à obéir jusqu’à la mort.

J’ai observé que le diable nous attaque le plus lorsque notre esprit cesse d’agir, de prier ou de lire. Par exemple, lorsque la Divine Liturgie se termine et que nous nous rendons à la cuisine pour préparer le repas et faire un peu de ménage…alors nous ne prions pas. Alors le diable vient et nous parle. Nous devons nous protéger pour rester avec Dieu par le moyen de la prière de Jésus, et si quelqu’un me fait une remarque désagréable, ne pas lui répondre directement mais dire « Seigneur Jésus Christ aie pitié de moi pêcheur » afin qu’il comprenne. Nous devons toujours demander la miséricorde car notre objectif est merveilleux et très élevé, il ne s’agit pas d’une plaisanterie. Il est dommage de perdre les années. Le Royaume des cieux se trouve en nous et il est dommage de perdre le temps. Mon objectif est la sainteté, pourquoi dois-je attendre 40 ans pour cela ? Pourquoi je ne peux pas atteindre cet objectif en 10 ans et l’avoir en abondance ? Pourquoi perdre mon temps et m’occuper de futilités qui n’ont aucune espèce d’importance ?…Chaque fois que je fais quelque-chose qui peut me distraire je dois dire « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi pêcheur » ; nous ne devons pas perdre même une seule minute afin de ne pas céder à la tentation car le diable ne se fatigue pas surtout avec les moines et les prêtres. La lutte que mènent les moines est encore plus dure que celle des prêtres.

Le père Antoun de Deir El Harf m’a dit lorsque je me suis entretenu avec lui à ce sujet : « Mais pourquoi tu penses au diable ? Tu lui donnes ainsi de l’importance et il t’attaque. Ne pense qu’au Christ et ne t’occupes pas du diable. Il ne peut rien nous faire ».

-Je lui ai alors dit : « Comment cela ? Comment lui donner de l’importance s’il ne peut pas m’attaquer ? »

– Le diable est pareil au commerçant qui décore la devanture de son magasin, il y expose des vêtements, des chaussures etc. Il ne force pas le consommateur à pénétrer dans son magasin. Il propose et si çà plait on entre et on achète. Le diable agit pareillement, il propose mais ne force personne car il est incapable de forcer qui que ce soit. Job a été tenté sur la permission de Dieu. Le diable a demandé la permission à Dieu de tenter Job. Il ne peut rien faire par lui-même. Lorsque le Christ est passé par celui qui était possédé par une multitude de démon, une légion, alors cette multitude s’est prosternée devant le Christ et a crié d’une voix forte : pourquoi es-Tu venu avant les temps fixés pour nous tourmenter ? Cela signifie que Dieu suscite la crainte, et que le diable ne peut rien contre Lui. Ne pensez pas au diable, ne lui accordez aucune importance. Ayez votre pensée tournée vers le Christ et le salut qu’Il offre car Il veut que tous soient sauvés, que tout le monde parvienne à la connaissance de la Vérité et obtienne le Royaume.

 

Père Youhanna Habib. Le 29 octobre 2015.

Source : http://holytrinityfamily.org/ahadeeth-talks?var=AVNsxNlFecdALMhJNgtjb7r3iWPmZEQYL-drv6syuKU

De la peur à l’espérance

DE LA PEUR A L’ESPERANCE

Nul de ce qui est fait de chair et de sang n’ignore la peur. Celui qui affirme qu’il n’a pas peur alors qu’il ne connait pas Dieu ne dit pas la vérité. Ou bien il se trompe lui-même ou bien il fanfaronne. Sans la connaissance de Dieu, la peur s’installe, il n’y a pas d’autre possibilité… La peur est la marque de l’homme déchu. Mais qu’est-ce que la chute (de l’homme) ? La chute est la rupture de toute relation avec Dieu et le recentrement de l’homme sur lui-même comme s’il était lui-même dieu et comme s’il portait la vie en lui (comme s’il était la source de sa propre vie).

Mais Dieu n’a pas abandonné l’homme ; s’il l’avait abandonné, l’humanité aurait disparu. Loin de Dieu, sans relation existentielle (au plus profond de soi) avec Dieu, l’homme n’a aucune assurance (aucune garantie). De là découle que la peur vient d’un profond ressenti d’insécurité qui ne peut être écarté que par l’amour uniquement. Seul l’amour de Dieu chasse la peur. D’où la sentence : Si vous n’avez pas la foi vous n’aurez pas l’assurance (ou bien : vous n’aurez pas de garantie sur le chemin de la vie N.d.T.).

C’est pourquoi les postures prises par les hommes sont en réaction à la peur ancrée profondément dans sa nature, et tout comportement est une tentative de fuir cette peur profonde…mais sans résultat tangible. La face visible de l’homme n’est pas la vie de son être profond. Il ne se connait pas réellement. Ce qu’il s’imagine être n’est pas vraiment lui. Il n’est pas étonnant que l’adage des anciens soit : connais-toi toi-même. Ses désirs et ce que les autres suggèrent délimitent son image. Ce qu’il pense être diffère de ce qu’il est réellement, et alors ou bien il tombe dans l’illusion ou bien la vérité de son état s’impose et il tombe dans le désespoir. Le problème n’est pas simplement psychologique. La psychologie, généralement, et dans ce généralement on entend par la psychologie selon ce monde (déchu) ne prend pas en compte la vie spirituelle ni le pêché. La psychologie ne prend en compte que les conséquences du pêché et ne se préoccupe pas des racines du pêché. Les écoles de psychologie dépendent donc de la vision qu’ont leurs fondateurs de l’âme humaine et ne peuvent traiter avec succès les maladies ; elles se contentent d’atténuer les manifestations des maladies de l’âme (…) Tout traitement qui ne tient pas compte de la vie spirituelle de l’âme mène à l’échec…

C’est la peur pour soi qui est à l’origine de l’égoïsme. Au fond de lui-même l’homme se sait exposé, menacé. C’est pourquoi son souci est de se protéger, de se défaire de son angoisse, et de se sentir en sécurité. Obéir à ses passions est un traitement corrompu qui aggrave le mal(…) C’est parce-que l’homme a peur qu’il se recroqueville sur lui-même. Il pense ainsi se protéger des autres et des dangers extérieurs, mais le danger ne vient pas de l’extérieur. Même si l’homme élimine tous ses ennemis extérieurs et met fin à toute menace qui vient du dehors il ne trouvera pas la tranquillité pour autant. C’est parce-que la menace est intérieure. La bonne équation n’est pas « élimine ton ennemi et tu seras tranquille » mais élimine ta peur et ton ennemi sera ton prochain et la terre ton paradis. Ce dont ne sont pas conscients ceux qui sont incrustés dans la peur et qui ne comptent pas sur Dieu c’est que leur peur les pousse à détruire le monde et par suite à se suicider pour fuir leurs propres personnes (pour fuir d’eux-mêmes). C’est uniquement lorsqu’une personne se libère de sa propre peur qu’elle peut s’aimer elle-même pour ce qu’elle est et qu’elle peut mettre en pratique le commandement d’aimer son prochain comme soi-même. Mais lorsque la peur est enfouie au plus profond de soi-même, alors l’amour de soi-même est un repli sur soi même si des relations sociales sont bien établies…et cette peur est comme une corde attachée au cou d’un animal qui la serre davantage au fur et à mesure qu’il tente de s’en défaire…

Cependant il y a un aspect positif sur la plan social concernant la peur : la crainte de la sanction (lorsque l’on enfreint la loi) et le développement du sens civique. Les lois ont été établies pour assurer la tranquillité à la société humaine. Il en résulte les droits civiques, les droits de l’homme etc. Parce- que chaque personne a le droit de vivre en paix et au bien-être. Alors que la société s’applique à pratiquer cette vérité quelle que soit le sens qu’on lui donne, la loi veille à ce que personne ne porte atteinte aux droits des uns et des autres, sinon une sanction est appliquée. La crainte de la sanction met une limite et la crainte pour les droits civiques encourage les gens à veiller sur le bien-être général dans le cadre de la loi et de l’ordre de la société, non pas tant parce-que l’on serait porté à protéger les droits des autres mais parce-que cela protège également nos droits individuels.  Ce souci pour soi dans le cadre du droit peut constituer une incitation à avoir un degré élevé de conscience civique et la société dans son ensemble peut alors fonctionner de façon exemplaire. Cela arrive dans le meilleur des cas. Mais il peut arriver que les paroles sur l’état de droit soient un slogan creux ou presque. Quoiqu’il en soit, la loi et l’ordre de la société, en cas de crises majeures, subissent des dysfonctionnements et la loi de la jungle peut en découler, alors chacun ne compte plus que sur soi-même lorsque les lois ne sont plus appliquées.

Si la loi en société est un bon cadre pour assurer les droits civiques individuels, la vie personnelle de chacun reste en dehors de ce cadre général et l’âme humaine reste une place ouverte à la dynamique de la peur et aux réactions qui s’en suivent. Pour échapper à l’angoisse, l’homme peut devenir brutal comme il peut devenir la proie de maladies psychiques. Il peut alors se laisser aller à des actions excentriques comme par exemple mettre en danger sa vie pour montrer qu’il peut vaincre sa peur. Ou alors il peut laisser libre cours à ses pulsions sensuelles pour surmonter les tabous ou les obstacles qui seraient à l’origine de son état angoissé. Ou encore il peut s’adonner aux drogues pour oublier et expérimenter des états de jouissance et d’insensibilité ou encore d’autres pratiques ou techniques (….) pour croire qu’il peut par lui-même se dépasser soi-même, se débarrassant  ainsi de ses angoisses et atteignant des états élevés…Tout cela n’est que désordre et brouhaha dans les ténèbres intérieures de l’âme Ce qui provient des ténèbres ne peut être que ténèbres (…)

Pour vaincre la peur il n’y a qu’un seul remède : l’amour de Dieu. Les ténèbres de l’âme ne peuvent être dissipées que par la lumière Divine. Notre Dieu a laissé la peur dans l’homme mais Il n’a pas abandonné l’homme. Ce que l’homme a entraîné pour lui-même, Dieu a voulu dans Son amour qu’il devienne instrument de sanctification et de salut éternel. Au début, l’homme ne s’écoutait surtout que lui-même. La voix de la peur est devenue résonante et violente…Adam et Eve ont fui la face de Dieu. Caïn a également pris la fuite.  Et Abel le fidèle est mort. Mais Dieu a continué à appeler l’homme. Il est venu continuellement à lui, mais discrètement, comme une brise légère. A comparer avec le grondement des tempêtes ! La voix de Dieu est devenue une voix dans la conscience, à l’intérieur. Dieu n’est pas apparu à Elie dans la tempête, ni dans un tremblement de terre…Cette brise légère est le souffle créateur de l’homme, c’est ce souffle qui l’a gardé dans les pays lointains, dans son exil loin de son Père céleste. Et depuis ce temps, le pêché agit à l’intérieur de l’homme, le pêché agit par la peur dans son for intérieur, mais Dieu agit également. Mais pour que le souffle de Dieu agisse en l’homme il est nécessaire que l’homme soit au bord du désespoir, qu’il désespère de son état. La peur existentielle dans l’homme le conduit au bord du désespoir. L’Esprit n’a agi avec le fils prodigue que lorsqu’il a désespéré de ce qu’il était devenu et de lui-même, ce qui est traduit par le fait qu’il donnait de la nourriture aux cochons alors que personne ne le nourrissait. Alors tous les espoirs qu’il avait se sont évanouis et le désespoir s’est installé. Ou fuir ? Il s’est dit : je retourne chez mon père ! Ainsi de son désespoir de lui-même a jailli l’espérance en Dieu ! La foi s’est installée en lui et son état est devenu tel que l’Esprit de Dieu est entré en lui. Et ce fils d’Adam s’est transformé (« métanoïa »). Il s’est repenti. Au commencement, avant la chute, l’homme était susceptible de s’éloigner de Dieu. Mais à présent, quand il est au bord du désespoir, le fils prodigue se donne entièrement à Dieu. C’est pourquoi son père le revêt de son vêtement du début (celle d’avant la chute), le vêtement de la grâce accordé pour la divinisation, préparé de toute éternité. Et son père a mis un anneau à son doigt, et les sandales de l’adoption à ses pieds alors qu’il était pieds nus comme les esclaves…Il a atteint le but !

Tel est le cheminement pour le retour (vers Dieu) : désespérer de soi-même, sensation de perte totale avec perte du sens qui équivaut au sentiment très profond de n’être que terre et poussière, puis un retournement (repentir) du fond des entrailles suivi de la sensation de la miséricorde du père, ensuite retour vers le père en se sentant indigne : « Je ne suis pas digne d’être appelé ton fils mais traite moi comme un de tes serviteurs ». C’était l’instant qu’attendait le père depuis le début. C’est ainsi que l’homme peut sortir dans tout son être de son existence sombre, des ténèbres de la mort à la lumière du Christ afin que s’établisse en lui la paix du Christ pour l’éternité : « Je suis…n’ayez pas peur…je suis avec vous jusqu’à la fin des temps ». Deux fois le fils d’Adam a vu la lumière ; la première fois c’est lorsqu’il a été créé et ensuite lorsqu’il s’est repenti…La première fois il a été créé du limon de la terre et la deuxième fois à partir de Son Esprit. Que le Nom de Dieu soit béni !

 

Source:  Archimandrite Touma  (Bitar). http://holytrinityfamily.org/niqat.php?var=OJ623OVq6ARjmPKEEE1Wo-CeQGPSmG-a7sd2eedNZ5k

Sur la paix…

 

Bienheureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu. (Mathieu 5 :9).

L’homme est-il capable de réaliser la paix ? Et puis, qu’est-ce que la paix ?

Le Seigneur nous dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous donne pas comme le monde donne. Que votre cœur ne se trouble point, et ne s’alarme point. » (Jean 14 :27).

La paix ne peut être réalisée, elle ne peut être donnée que par celui qui a la paix, c’est-à-dire la paix du Christ. Celui qui a la paix du Christ ne se trouble pas et n’a pas de peur existentielle car il a l’assurance du Christ pour lui…

Quelle paix nous a donné le Seigneur ? Il nous a donné une paix intrinsèque et substantielle, ce qui veut dire qu’Il est en nous et avec nous, Il se trouve dans notre nature renouvelée par l’Esprit Saint avec l’accord du Père. La paix du Christ est la grâce divine en nous par la présence du Christ en nous. Là où demeure le Christ se trouve la plénitude de la grâce. C’est une expérience qui est vécue dans le cœur lorsqu’il entre dans le mystère de la proximité avec Dieu dans la connaissance (de Dieu).

Celui qui n’a pas fait la paix avec lui-même, en d’autres termes celui qui ne se repent pas, ne peut acquérir la paix et ne peut devenir artisan de paix. Celui qui ne se connaît pas lui-même en empruntant la voie du repentir ne connaît Dieu que suivant ses désirs, (ses passions). Il est empli de lui-même et ne peut s’ouvrir avec l’amour pur qui descend d’En Haut du Père des lumières. Il ne peut pas devenir un artisan de paix.

La paix selon ce monde consiste en la sécurité, fixer des règles pour limiter le mal qui se manifeste à travers les violences, les destructions et ce qui s’en suit. C’est cela que le monde appelle paix. Cela n’est absolument pas d’importance secondaire puisque cela a une influence sur la vie des hommes ; mais que faire du mal qui se trouve dans les têtes comme l’égoïsme, l’orgueil, la jalousie, la haine, la soumission aux plaisirs sensuels, le désir de posséder, la vaine gloire, aimer être flatté et vouloir dominer ?! C’est cela la racine des maux qui touchent la vie de tous les hommes, c’est cela qui détruit les relations humaines, qui sème les conflits, les divisions et les inimitiés. C’est là la source du mal : le cœur de l’homme.  Car c’est du dedans, c’est du cœur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les impudicités, les meurtres, les vols, les cupidités, lesméchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans, et souillent l’homme. (Marc 7 :21-23).

De l’amour de Dieu jaillit tout bien, joie et paix. En Christ nous sommes une nouvelle créature. Par le Saint Esprit qui est bon et vivifiant nous vivons la vie nouvelle. Il nous a été donné la grâce de nous renouveler par l’incarnation du Fils de Dieu, nous partageons avec Lui le pouvoir de la création spirituelle si l’amour de Dieu habite en nous. Par le souffle de l’Esprit Divin qui est en nous l’esprit de paix rejaillit sur le monde qui nous entoure et nous devenons des artisans de paix. Demandons que Dieu habite en nous et que cela se traduise par une obéissance aimante envers Dieu le Père en prenant le chemin du repentir véritable (« métanoïa »), et restons en Dieu en nous confiant complètement à Lui, afin que Dieu devienne tout en tous.

Archimandrite Jonas, higoumène du monastère de la Dormition de la Mère de Dieu, Bkaftine, Liban.

Source : http://www.archtripoli.com/page.php?pid=1201

 

 

C’est bientôt la fête de la Nativité (Noel) et le carême de Noel a débuté le 15 novembre

Lorsque nous parlons de l’Incarnation de Dieu, du mystère du Dieu-Homme, nous parlons de ce qui est réellement particulier au christianisme car le christianisme seul annonce que Dieu s’est fait homme afin que l’homme devienne Dieu par la grâce et l’adoption.

Dieu, dans le christianisme, n’est pas resté dans les Cieux mais il a assumé intégralement la nature humaine sans pour autant perdre quelque-chose de Sa divinité, bien au contraire, Il a sanctifié l’homme et l’a élevé vers la divinité. ( Cela est vécu par les saints de l’Eglise et ne relève pas de l’impossible, mais le début du chemin est étroit…).  (Extrait en partie de la Newsletter du Patriarcat Orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient).

 

 

Récit d’une rencontre avec un starets d’Optino

Source:http://stranitchka.pagesperso-orange.fr/VO02/MOINE_PARFENI.html

Récit fait par le moine Parfeni (1807-1878)

De là , je continuai ma route, et le cinquième jour, j’arrivai à la Solitude de la communauté d’Optino, qui est dans la province de Kaloyge, non loin de la ville de Kojelsk. Autrefois, il y a bien des années, j’avais entendu parler du grand Starets hiéromoine Léonide, qui habitait la Solitude d’Optino, et depuis longtemps je désirais le voir, me délecter de sa conversation, et recevoir de lui des directives, et pour mes soucis, la consolation. Car, depuis que j’étais parti de la Sainte Montagne de l’Athos, pèlerin sans lieu où reposer sa tête, mes soucis étaient là chaque jour et mes pleurs aussi. Comme Adam chassé du paradis, privé des joies et des douceurs paradisiaques, assis au dehors, pleurait ; moi, de même, renvoyé de la Sainte Montagne, séparé de mes pères et frères, loin de ce havre calme et paisible, solitaire, dans une petite et misérable barque , je voguais sur la mer terrifiante et houleuse de ce monde, balancé par des vagues énormes, sans pouvoir accoster. Comme un poisson rejeté hors de l’eau, je me débattais et languissais. Je cherchais ne serait-ce qu’une goutte d’eau pour rafraîchir  mon âme, envahie de toutes sortes de tourments. J’allais, ne sachant moi-même où, sans argent, sans livret pour des dons, ni l’indication d’un lieu où m’arrêter. Ah, Misère ! Même maintenant, au souvenir de ce temps-là, je pleure. Arrivé à la Solitude d’Optino, plein d’impatience, je voulus aller chez le Père  Léonide, espérant être consolé. Je demandai où se trouvait sa cellule, et sans m’attarder, j’allais vers lui. Et arrivé dans l’entrée, je fus saisi de crainte, d’abord par la joie de pouvoir rencontrer un Père si grand, ensuite à la pensée de la façon dont je pourrais me présenter, moi indigne, devant un si grand starets. Me tenant longtemps dans cette entrée, je n’osai ouvrir la porte. Alors sortit son disciple. Je demandai:  » Peut-on entrer chez le starets ? » – Il répondit : « On peut ». Je pénétrai alors dans la cellule, et là j’eus encore plus peur et me mis à trembler. Car la pièce était pleine de gens de toute sorte, des notables, des marchands, et des simples ; tous à genoux, et tremblant, comme devant un juge sévère. Chacun attendait une réponse et un sermon. Et moi aussi, derrière tout ce monde, je tombai à genoux. Le starets, quant à lui, assis sur le lit, tressait une ceinture –  c’était son travail manuel, tresser des ceintures, et les donner à ses visiteurs, en bénédiction. Alors il déclara : « Et toi, Père de l’Athos, pourquoi es-tu tombé à genoux ? Peut-être veux-tu que moi aussi je m’agenouille ? « – J’étais effrayé, car il ne m’avait jamais vu et ne me connaissait pas, j’avais des vêtements ordinaires, et lui m’appelait « Père de l’Athos »- Je répondis : « Pardonne moi, Père saint, au nom du Seigneur, j’obéis à la coutume: je vois que tous sont agenouillés, alors je suis aussi tombé à genoux. » Il dit alors : « Eux sont du monde, et de plus, coupables : qu’ils restent un peu ; Mais toi, tu es moine, et de l’Athos : lève-toi, et viens jusqu’à moi ». M’étant relevé, je m’approchai de lui. Et lui, m’ayant béni, me dit de m’asseoir avec lui sur le lit, et me posa beaucoup de questions sur la Sainte Montagne de l’Athos et sur la vie de moine retiré en solitaire, et sur celle des communautés monastiques, et sur les autres règles et coutumes athonites ; et ses mains continuaient à tresser la ceinture sans s’arrêter. Je lui dit tout en détail, et lui se mit à pleurer de joie, et à louer le Seigneur Dieu, de ce qu’Il avait encore beaucoup de serviteurs fidèles, qui ont abandonné le monde et les soucis de la vie, pour le servir avec amour et travailler pour Lui, leur Seigneur. Puis il commença à libérer les gens, prenant soin de chacun dans sa maladie physique ou spirituelle, celle du corps par la prière, celle de l’âme avec un amour paternel, des paroles douces et des directives utiles à l’âme – et d’autres, par une admonestation sévère, ou même par un renvoi brutal hors de la cellule.

        Parmi ces gens se tenait à genoux devant lui un monsieur venu au monastère pour y accomplir ses dévotions, et aussi pour rendre visite au starets. Celui-ci lui demanda : « Et toi, qu’attends-tu de moi ? »- Il répondit en pleurant : « Je désire recevoir de vous, Père Saint, des conseils utiles à l’âme. » Le starets lui demanda : « As tu fait ce que je t’ai ordonné auparavant? » – l’autre répondit : « Non, Père Saint, je ne puis le faire. » Le starets dit :  » Pourquoi alors, n’ayant pas fait la première chose, viens-tu en demander une autre ?  » Puis il ordonna avec sévérité à ses disciples :           « Chassez le hors de la cellule ». Et ils le jetèrent dehors. Moi-même, et tous ceux qui se trouvaient là, fûmes effrayés d’une action aussi brutale et de cette punition. Mais le starets, lui, n’en fut pas troublé, et recommença à parler avec douceur aux autres, et à les libérer. Plus tard, un des ses disciples dit : « Père Saint, il y a une pièce d’or par terre . » – Le starets répondit : « Ce monsieur l’a intentionnellement laissé tomber, et il a bien fait, elle sera utile au Père de l’Athos, pour sa route. » Et il me la donna.

          Alors je lui demandai : « Père Saint, pourquoi avez-vous agi aussi sévèrement avec ce monsieur ?  » et il me répondit :  » Père de l’Athos! je sais comment agir avec l’un ou l’autre : c’est un serviteur de dieu, et il cherche le salut ; mais il est tombé dans une tentation, il s’est habitué au tabac. Il est déjà venu me voir, et m’en a parlé, et je lui ai ordonné  de laisser le tabac , et de ne plus jamais y toucher, et tant qu’il ne l’aurait pas fait, que je ne désirais pas  qu’il revienne me voir. Et lui, n’ayant pas exécuté le premier commandement, vient en demander un autre. Voilà, cher Père de l’Athos, combien il est difficile d’arracher l’homme à sa passion ! « 

         Pendant que nous parlions, on lui amena trois femmes. L’une d’elles, malade, avait perdu la raison et l’entendement, et toutes les trois pleuraient et demandaient au starets de prier pour la malade. Alors il revêtit son étole, en posa l’extrémité, ainsi que ses mains, sur la tête de la malade, et après une prière, la signa trois fois sur la tête et ordonna de l’emmener dans l’hôtellerie. Il faisait tout cela assis, et il était assis parce qu’il ne pouvait plus se lever, il était malade, et vivait ses derniers jours.

         Ensuite vinrent des disciples, frères du monastères. Ils lui ouvraient leur conscience et les ulcères de leur âme. Il les soignait tous et les guidait. Et puis il leur apprit que sa fin approchait, et il dit : « Jusqu’à quand, mes enfants, ne serez-vous pas encore sages comme le serpent, et purs comme la colombe ? Jusqu’à quand resterez-vous si faibles ? Jusqu’à quand resterez-vous étudiants ? Il est déjà temps que vous soyez sages vous-mêmes, et que vous instruisiez. Mais vous, quotidiennement, vous êtes faibles et vous chutez. Comment allez-vous vivre sans moi ? Je vis mes derniers jours, et je dois vous quitter, et rendre mon dû à mon être, et aller vers mon Seigneur. » Les disciples , entendant cela, pleuraient amèrement. Puis il les congédia tous, et moi aussi.

         Le lendemain, je revins chez lui, et il me reçut de nouveau avec amour, et parla longuement avec moi. Puis arrivèrent les femmes de la veille, la malade était avec elles, mais déjà plus malade, complètement guérie: elles étaient venues remercier le starets. Voyant cela, je m’étonnai, et lui dis : « Père Saint, comment osez-vous faire de telles choses ? Vous risquez, par gloire de ce monde, de détruire tous vos efforts et vos exploits ascétiques. » A cela il me répondit : « Père de l’Athos !  Je n’ai pas fait cela par ma propre puissance, mais cela s’est fait par la foi des visiteuses, la grâce du Saint-Esprit, qui me fut donnée par l’imposition des mains, a agi ; mais moi je suis un homme pécheur. »Entendant cela, je profitai pleinement de son bon raisonnement, de sa foi et de son humilité. Puis, à nouveau, revint le monsieur de la veille, qui demanda en pleurant au starets de lui accorder son pardon. Il le fit, et lui ordonna de faire ce qui lui avait été commandé avant. Puis il nous libéra tous.

          Je restai à la solitude d’Optino toute la semaine, et je glorifiai la Nativité de la très Sainte Mère de Dieu. La veillée vespérale fut solennelle. Les trois psaumes du polyéléos furent chantés en force, par versets. Tous les frères et tout le peuple tenaient des cierges. Et j’allai souvent au skite, calme et muet, qui se trouve à environ une demi-verste du monastère, dans les bois. J’y parlai souvent avec les pères, le hiéromoine du grand habit Jean, qui venait du raskol, ainsi qu’avec le père spirituel hiéromoine Macaire – et aussi avec l’higoumène du monastère d’Optino, le  Père Moïse, qui aimait les pèlerins. Puis je repris la route. Et le Père Léonide, un mois après mon départ, termina sa vie, et partit vers son Seigneur.
(…)

 Traduit du russe par N.M.Tikhomirova.

Source:http://stranitchka.pagesperso-orange.fr/VO02/MOINE_PARFENI.html

Au cours du XIXe siècle, le monastère d’Optino (au sud-ouest de Moscou) fut un grand centre de rénovation spirituelle en Russie, célèbre pour sa lignée de grands starets. Par leur prière ascétique, leurs dons de paternité spirituelle, sans parler de leurs travaux sur les Pères de l’Eglise, ils attirèrent des foules de pèlerins, depuis les humbles hommes du peuple jusqu’à des politiciens de haut rang et des hommes de lettres célèbres. Après la révolution, les bâtiments furent rasés, les moines dispersés. Ces starets sont parfois considérés comme des gardiens spirituels du peuple russe qui venait en foule rechercher auprès d’eux la guérison de l’âme et du corps. Le starets le plus connu est Saint Ambroise, canonisé en 1988 par l’Eglise Orthodoxe Russe. Sa personnalité est immortalisée sous le visage du « Starets Zosime » dans les Frères Karamazov de Dostoïevski. Dans leur prière, simple et spontanée, les starets d’Optino nous enseignent à entrer courageusement dans la grisaille de la vie quotidienne, à y faire rayonner, dans l’espérance et l’amour, la grâce divine. Le monastère a été rendu au culte au 1988, des moines de plus en plus nombreux renouent avec la tradition et travaillent activement à la restauration du Monastère.