Un saint contemporain: Nicéphore le lépreux

Métropolite Néophyte (Masouras) de Morphou

Le vénérable Nicéphore était crétois. Lorsque j’étais étudiant, j’ai rencontré de nombreux Crétois atteints de lèpre à l’hôpital des maladies infectieuses d’Egaleo près d’Athènes. Mon père confesseur était le père Evmenios (Saridakis), qui était également crétois et qui, dans les dernières années de la vie du vénérable Nicéphore, fut son novice. Vous savez, pour moi, saint Nicéphore n’était pas seulement un saint dont j’ai lu la vie dans un livre, mais il était en quelque sorte mon père spirituel.

Le futur saint est né en 1890 de parents pieux à Sirikari, un village de montagne dans le district de La Canée en Grèce. Son nom séculier était Nicolas. Ses parents sont morts prématurément. À l’âge de treize ans, Nicolas était déjà orphelin et son grand-père s’est occupé de lui. La maison de son père à Sirikari ressemble aux vieilles maisons de Chypre, qui étaient en fait des cellules d’ermites qui vivaient dans le monde. À cette époque, les vrais ascètes n’étaient extérieurement pas différents de beaucoup de gens dans le monde.

Son grand-père emmena Nicolas à La Canée, la ville la plus proche de Sirikari, et il y étudia pour devenir barbier. Immédiatement après son retour chez lui après ses études, des taches commencèrent à apparaître sur son corps, ce qui le laissa perplexe.

La lèpre, cette terrible maladie, est arrivée en Crète par les Croisés et par les Arabes dans les temps anciens, lorsque l’île était sous domination arabe. Il n’y avait pas de domination arabe à Chypre, car les Akritai y étaient stationnés (Il s’agit de forces armées non régulières sous l’autorité de Byzance et cela avant le Xème siècle). Dans les montagnes de Pentadaktylos, en face de la baie de Morphou, se trouve le golfe d’Attalia (aujourd’hui Antalya), où se trouvait la « base navale » byzantine, qui équivaut à l’époque moderne à la sixième flotte américaine. Chypre a connu vingt-cinq invasions arabes avec des pillages, des saisies et des destructions de villes et de villages, mais elle n’a jamais été sous domination arabe. Par contre, un grand groupe d’Arabes venus d’Espagne, notamment d’Andalousie, s’est emparé de la Crète, qui était sous contrôle arabe pendant 280 ans et risquait de perdre sa foi orthodoxe. La Crète fut libérée par le grand commandant, puis par l’empereur byzantin Nicéphore II Phocas. La domination arabe eut pour conséquence la propagation de la lèpre.

J’ai été impressionné de constater qu’en 1980, lorsque j’étudiais à la faculté de droit d’Athènes, la moitié des lépreux de l’hôpital des maladies infectieuses d’Egaleo étaient des Crétois – je n’y ai vu que deux ou trois Chypriotes. Il est vrai qu’il y avait à Chypre un homme formidable, Hadjigeorgakis Kornesios qui avait fait construire une léproserie à Nicosie pendant les années de domination turque. Kornesios fut plus tard tué par les Turcs. Il rassembla tous les lépreux de Chypre et les habitants furent sauvés de cette terrible maladie. Il n’y avait rien de tel en Crète. Une fois qu’une personne avait contracté la lèpre, le maire, accompagné d’un policier et d’un médecin, devait l’extraire de la communauté et l’enfermer dans une grotte ou dans une vieille maison inhabitée. La lèpre était non seulement une maladie douloureuse, mais elle signifiait aussi l’isolement social. Le jeune Nicolas, un orphelin de quatorze ans de La Canée, savait très bien que cela signifiait pour lui, il serait comme un mort vivant. Cela enterrerait ses rêves, sa santé et ses relations avec les gens.

En 1905, ayant appris qu’il y avait un réel problème de lèpre dans cette région, le prince Georges visita la Crète et décida de donner la petite île de Spinalonga au nord de la Crète aux personnes infectées. Ainsi, tous les lépreux, qui étaient en fait des morts vivants, furent installés à Spinalonga. Une communauté de près de 500 lépreux, c’est-à-dire un petit village, fut créée. Mais même là, ils ne cessèrent pas de souffrir et furent isolés du reste de la société.

Nicolas était paniqué. Il cacha sa maladie et attendit une occasion de quitter la Crète, car il avait entendu parler des divers malheurs qui se passaient à Spinalonga. À l’âge de seize ans, Nicolas se rendit à Alexandrie où se trouvait une communauté grecque florissante et, pour gagner sa vie, il reprit le métier qu’il avait appris chez lui.

Il travaillait comme coiffeur et faisait de son mieux pour cacher les parties nues de son corps, ses bras et son visage. Il craignait que la lèpre ne se manifeste et ne soit visible aux yeux des autres. Aller à Alexandrie était encore plus dangereux que de rester en Crète. Si les Arabes avaient arrêté Nicolas, sa situation aurait empiré. L’ombre de la mort planait sur le jeune homme.

Sur l’une de ses photos, on voit un homme qui avait déjà la lèpre, mais celle-ci ne se manifestait pas extérieurement. Nicolas était très sociable, il était aimé dans la communauté grecque, il avait une belle voix et, dans l’ensemble, c’était une personne agréable. Sur cette photo, Nicolas tient un chapelet dans sa main droite. Quelqu’un lui a suggéré de faire un pèlerinage en Terre Sainte. Il est difficile d’imaginer l’importance de ce pèlerinage pour le jeune Nicolas. Il est resté à Alexandrie jusqu’en 1914 (il avait alors vingt-quatre ans) – cette photo (voir ci-dessous) a été prise à cette époque.

Nicolas se rendit en Terre Sainte. Se souvenant de la tradition de piété populaire en Crète associée au pèlerinage en Terre Sainte, il vénéra le Saint-Sépulcre et la Sainte-Croix. Le seul à comprendre l’importance de ce pèlerinage pour lui était (mon père confesseur) le staretz Evmenios, qui vivait à cette époque avec le père Nicéphore. Le staretz Evmenios dont le prénom laïc était  Sophronios, et à qui l’archevêque Timothée de Crète lui donna le nom d’Evmenios lors de sa tonsure.

Le bref discours funéraire suivant a été écrit par un saint homme le staretz Evmenios qui était un saint homme. Il faut le lirepour comprendre comment le vénérable Nicéphore a été transformé intérieurement, une fois qu’il s’est incliné devant le Saint-Sépulcre et a vénéré la Sainte-Croix.

Voici ce que le staretz Evmenios a dit après la mort de saint Nicéphore en 1964 : « Si la douleur, les chagrins et les épreuves devaient être enlevées de la vie des gens, alors la sainteté appartiendrait seulement aux anges. » Cette vérité, qui est un axiome de notre foi orthodoxe, était connue du père Nicéphore (né Nicolas Tzanakakis). Il s’est endormi dans le Seigneur le 4 janvier 1964 et est né à La Canée en 1887 de parents pieux. Il souffrait de la lèpre, qu’il ne considérait pas comme une malédiction, mais comme une faveur spéciale du Ciel et un appel personnel du Christ, le Fondateur des exploits ascétiques. À l’âge de dix-sept ans, il quitta sa patrie pour se rendre en pèlerinage en Terre Sainte et surtout au lieu d’exécution (Golgotha), où la douleur a été sanctifiée, et le Golgotha ​​devint le symbole de ceux qui sont victorieux sur les chagrins et les événements tristes de la vie. De là, de cet océan inépuisable de courage et de patience, il a puisé audace et patience pour porter haut sa croix sans interruption pendant cinquante-deux ans.

 En 1912, il fut admis à la léproserie de Chios et fut tonsuré par le Saint-Père Anthimos (Vayianos). Qui peut énumérer ses luttes spirituelles dans sa nouvelle vie ! Bien que son corps se dégradât et que jour après jour la maladie lui enlevât des parties : yeux, bras, jambes, puis il devint paralysé, mais son homme intérieur était renouvelé par l’Esprit. Cet homme mémorable a mis de côté toutes les passions et tous les vices possibles, pratiquant une absence de passion bienheureuse et une obéissance totale à la volonté de Dieu et de son père spirituel, et est devenu au plus haut degré un homme de prière fervente. Il n’était pas très éloquent, mais son large et gentil sourire prêchait mieux que le prédicateur le plus habile ne peut prêcher, de sorte que sa cellule est devenue une fontaine de baptême spirituel. Pour tous ceux qui lui rendaient visite, et pour nous, le Père Nicéphore était une oasis spirituelle dans le désert de cette vie. Son repos nous a causé une tristesse indescriptible, mais aussi une joie, car nous croyons avoir un fervent intercesseur auprès du Seigneur qui nous gardera des machinations du malin. Mémoire éternelle à toi, car le juste vivra à jamais ! Le plus petit de vos enfants spirituels, le moine Sophronios d’Agios Nikitas. »

Ainsi, Nicolas Tzanakakis, un jeune homme de Crète, se rendit à Jérusalem, déjà frappé d’une horrible maladie, pour puiser des forces dans la Croix. Et, comme le disait à juste titre un autre lépreux, aujourd’hui décédé, mon grand ami Aristide, il s’y rendit pour « Égliser » sa douleur. Comme il est important de mettre notre douleur dans l’Église, peu importe d’où elle vient : qu’elle provienne de la maladie, des chagrins, de la calomnie, de la pauvreté ou de quoi que ce soit d’autre ! Et d’établir une relation particulière avec la Croix vivifiante, dans laquelle se concentre toute la sainteté de notre Seigneur Jésus-Christ, et de la transmettre à ceux qui l’adorent dans le repentir avec humilité . L’âme de Nicolas le sentit, et il se rendit au Golgotha, à la Sainte Croix de notre Seigneur, pour acquérir inspiration et illumination. Et où le pèlerinage le conduisit-il ? À un évêque très pieux, dont le nom est actuellement inscrit dans les archives. On sait de lui qu’il était originaire de l’île de Samos. Après s’être confessé, il dit à Nicolas :

« Mon enfant, cette maladie est incurable et agressive. Tu dois aller dans un endroit où il y a d’autres personnes atteintes de cette maladie. Tu ne veux pas aller à Spinalonga en Crète. Je connais un saint homme qui vit sur l’île de Chios. »

Les habitants de Chios ont construit une léproserie. Pour être plus précis, les croisés l’ont construite par nécessité en 1380, et plus tard les habitants l’ont rénovée et en ont fait la meilleure léproserie de toute la Grèce. Elle existe toujours, mais, malheureusement, en ruines. Il y avait là un véritable homme de Dieu, saint Anthimos (Vayianos) de Chios, qui est devenu un modèle pour les lépreux. Il était un enfant spirituel de saint Pacôme de Chios. Il a eu deux saints enfants spirituels : le vénérable Anthimos et le saint hiérarque Nectaire d’Égine. Saint Nectaire est né sur l’île de Chios. Alors qu’il était professeur dans le village de ses parents, il rendit visite à saint Pacôme, qui le tonsura. Puis le saint hiérarque Nectaire se rendit à Alexandrie, mais il correspondit avec saint Pacôme jusqu’à la mort de ce dernier : si je ne me trompe, il mourut en 1905.

Un autre enfant spirituel de saint Pacôme fut le vénérable Anthimos (Vayianos), lui aussi originaire de Chios. Il tomba malade et saint Pacôme le bénit pour qu’il quitte le monastère pour le jardin d’oliviers qui appartenait à sa famille. De temps en temps, le vénérable Anthimos rencontrait saint Pacôme et il l’instruisait. Et lorsque le père Anthimos apprit que des lépreux vivaient dans la colonie de lépreux de Chios, il décida de devenir leur père spirituel afin de les guider, de les diriger et de les organiser. Et, providentiellement, il n’a jamais contracté la lèpre.

Le staretz Evmenios se souvient des paroles du vénérable Nicéphore :

« Sous mes yeux, le père Anthimos a guéri quarante-trois démoniaques. »

Il avait un tel degré de sainteté !

Les lépreux étaient des personnes spéciales : ils obtenaient très vite la grâce, sentaient la présence du Saint-Esprit dans leur cœur et leurs prières avaient de la puissance. Un condamné à mort ressuscite s’il porte dignement sa croix. Grâce à un mentor comme le vénérable Anthimos, un grand nombre de lépreux de Chios furent fortifiés dans la prière. La renommée du saint se répandit rapidement dans toute la Grèce. A cette époque, un prêtre chypriote était possédé par un esprit maléfique et pour être guéri, il se rendit chez le vénérable Anthimos (Vayianos) afin qu’il lise sur lui les prières nécessaires.

Le bon évêque d’Alexandrie, dont j’ai parlé plus haut, envoya le jeune Nicolas avec une lettre au vénérable Anthimos. Il monta sur un bateau et atteignit Cesme, qui se trouve un peu au nord de Smyrne (Izmir). Là, sur la côte de l’Asie Mineure, le vénérable Anthimos attendait Nicolas. J’ai été impressionné par la miséricorde du vénérable Anthimos : comme le père de la parabole du fils prodigue, il sortit de Chios à la rencontre de la brebis blessée du Christ. Il emmena Nicolas à Chios. Le gouvernement local a promulgué une loi selon laquelle seul un habitant de l’île pouvait être admis à la léproserie. Le vénérable Anthimos avait collecté des fonds pour la construction d’un couvent, mais il les a donnés à la léproserie pour que le jeune homme de Crète y soit admis, car le saint, avec son don de clairvoyance, avait prévu l’avenir de Nicolas. Il l’a emmené à la léproserie, lui a appris à prier correctement et à pratiquer une vie ascétique, ce qui l’a aidé à résister à la douleur.

Ce qui manque dans le livre que notre frère en Christ  le père Simon (moine du mont Athos qui a rédigé un ouvrage sur la vie de Nicéphore le lépreux), a écrit, c’est la douleur causée par la lèpre, dont les lépreux de l’hôpital des maladies infectieuses d’Egaleo me parlaient souvent. Il n’y avait pas de remède contre la lèpre à l’époque. Le vieil Evmenios m’a dit que la douleur était comme une fourche en fer enfoncée dans le dos et que la chair était arrachée. Sans parler du fait que tous vos membres, doigts et orteils, nez, oreilles et partout où il y a des tissus mous, commencent à pourrir avec une douleur insupportable et une odeur si terrible que les autres ne peuvent pas vous approcher. Et il y a la peur constante que la maladie soit contagieuse. Le remède contre la lèpre n’est apparu qu’après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui encore, des gens souffrent de la lèpre, mais elle est facile à diagnostiquer et à guérir avec succès.

En 1914, Nicolas est venu à Chios. Le vénérable Anthimos a vu qu’il faisait de bons progrès dans le travail spirituel. Nicolas a demandé à être tonsuré comme moine.

Un jour, j’ai dit à un homme de Dieu, dont je ne divulguerai pas le nom, car il est encore en vie :

« Je suis malade, j’ai mal aux jambes et il m’est difficile de célébrer la Divine Liturgie. »

Il m’a répondu :

« Tournez les commandes ! »

« Que voulez-vous dire ? »

Il m’a répondu :

« Que fit le vénérable Nicéphore quand on lui dit qu’il avait la lèpre ? Au début, il était découragé et paniqué, il ressentait de la douleur, mais ensuite le vénérable Anthimos l’a aidé, « tourna les commandes » et dit à Nicolas : « Plus la Croix est grande, plus grande est la Résurrection ! Comme le corps est malade, l’âme se renouvelle ! Il suffit de transformer la douleur en prière ! « Laissez-moi la transformer en votre crucifixion en Christ. »

« Plus tard, quand on annonça au vieillard Evménios qu’il avait contracté la lèpre, il tomba de joie du lit.

« Je lui demandai :

« Dieu aie pitié ! Avec joie ? »

« Oui, avec joie ! »

« Pourquoi ? »

« Parce qu’une grande croix est une grande visitation de Dieu, une grande résurrection ! Je lui dis : « Mon Christ, je suis indigne de porter une telle croix ! Merci beaucoup de m’avoir fait un tel honneur ! »

« Nicolas, plus tard le vénérable Nicéphore, n’a pas dit une telle chose. Pourquoi ? Il n’était pas moine. Lorsqu’il a contracté cette maladie, il était un jeune homme de seize ans. Nicolas voulait vivre, mais il n’y avait pas d’Anthimos à côté de lui qui aurait « tourné les commandes » vers le Christ. C’est une grande chose : quelle que soit la croix que le Seigneur nous a permise, il doit y avoir quelqu’un près de nous qui, comme saint Anthimos, « tourne les manettes » vers le Christ. Sinon, le chagrin, la dépression et même le désespoir nous accompagneront. »

Après la tonsure monastique, Nicolas reçut le nom de Nicéphore.

A suivre…

Métropolite Néophyte (Masouras) de Morphou

Source:St. Nikephoros (Tzanakakis) the Leper. Part 1 / OrthoChristian.Com