Depuis la fin du communisme, beaucoup de Russes ont renoué avec leur foi orthodoxe. Ils restaurent les églises et en rebâtissent. Comme hier à Olkhone et demain à Irkoustk.
PAULA BOYER
Pendant l’année, seule une vingtaine d’habitants assistent aux offices dominicaux, mais l’été, les voyageurs affluent dans les églises restaurées.
Sergueï tire avec une belle énergie sur les cordes. À toute volée, le son des cloches emplit l’air du soir. À deux pas, l’église vouée à saint Nicolas, patron des pêcheurs et des voyageurs, dresse ses bulbes dans le soleil revenu.
En contrebas, les maisons en bois de Khoujir se serrent au petit bonheur la chance le long de rues pleines de sable. Il y a six ans, Sergueï s’est installé sur l’île d’Olkhone avec son épouse Anastasia. Depuis, il est sacristain.
Il a aussi ouvert une hospitalité baptisée « refuge du routard », ouverte à tous, quelles que soient les convictions. « Quand j’étais moi-même pèlerin, voyageur, beaucoup de gens m’ont aidé. J’ai voulu faire perdurer cette tradition d’accueil » , explique-t-il un peu plus tard, assis sur un banc devant l’église, en jouant avec Louba (Aimée), sa fillette installée sur les genoux.
« J’ai,découvert la Bible à 21 ans »
Ce fils d’officier de l’Armée rouge est né il y a 37 ans, à Dresde, en Allemagne, où son père était en poste. Ses études terminées, il arrive à Paris comme conseiller en recrutement mais s’inscrit aussi à la Sorbonne en philosophie.
Très vite, il lâche son job pour se consacrer exclusivement à la philosophie, jusqu’à obtenir une licence. « C’est à 21 ans que j’ai ouvert la Bible pour la première fois. Mes parents étaient baptisés mais ne pratiquaient pas. C’est grâce à mes recherches personnelles qu’ils ont commencé à se poser des questions sur le sens de la vie ! », confie Sergueï dans un français impeccable issu de ses années parisiennes.
« Quand j’étais jeune, se souvient-il encore, les prêtres habillés en noir me faisaient peur. J’avais l’impression qu’ils ne parlaient que de mort. C’était l’effet de l’idéologie ! Khrouchtchev (premier secrétaire du PC soviétique de 1953 à 1964 – NDLR) n’avait-il pas promis que, de son vivant, on verrait le dernier prêtre ? »
« J’avais besoin de me poser »
De Paris, Sergueï se rend au mont Athos, en Grèce, puis à Chypre, enfin à Bethléem. Partout, des rencontres ont guidé sa vie future. Au Sacré-Cœur, à Paris, une sœur lui a recommandé l’ Institut Saint-Serge où il a renoué de manière plus savante avec l’orthodoxie.
Au monastère de Kykkos, à Chypre, il a croisé des moines de Serguiev Possad, haut lieu de l’orthodoxie russe. À Nicosie, il s’est lié avec le P. Lazare qui, plus tard, célébrera son mariage.
À Bethléem enfin, le P. Nikita, prêtre à Irkoutsk, lui a proposé de venir au bord du Baïkal, sur l’île d’Olkhone où, alors, l’église Saint-Nicolas n’était encore ni achevée ni consacrée. « Ici, c’est un endroit magique, dit-il. J’avais besoin de me poser. Ce désir m’a retenu. »
« L’orthodoxie a toujours existé dans la vie des Russes »
L’été, les voyageurs affluent à Saint-Nicolas. Le reste de l’année, une vingtaine d’habitants assistent aux offices dominicaux. Pour Pâques et Noël, ils sont deux ou trois fois plus. Il y a aussi des mariages, des baptêmes, parfois demandés par des croyants venus de loin.
Sergueï se félicite de ce retour à la foi. Mais, à l’en croire, même sous le communisme, « l’orthodoxie a toujours existé dans l’âme et la vie des Russes ». « Qu’ils soient avec ou contre, jamais les Russes n’ont été sans Dieu » , assure-t-il.
« C’était risqué de se faire baptiser »
Ce n’est pas Irina qui le contredira. Cette jeune femme de 33 ans, mariée depuis peu à un Français, s’affiche très croyante. Quand elle a l’occasion d’entrer dans une église, elle ne manque jamais d’allumer un cierge et de prier, comme ce soir de juin, au monastère de la Vierge de l’Incarnation, à Irkoutsk.
Ce soir-là, l’assistance est nombreuse – femmes en fichu, hommes tête nu, tous debout. Tous se signent abondamment, s’inclinent souvent et mêlent leurs voix, à celles, graves, des prêtres, et plus aiguës, du chœur.
« Ces belles voix me bouleversent toujours », confie-t-elle, avant de raconter : « J’ai été baptisée en 1979, ce sont mes grands-parents qui ont insisté. Pour mes parents, étudiants, c’était un peu risqué : ils auraient pu se faire expulser de l’université. »
Puis, montrant la photo de Kirill, l’actuel patriarche de l’Église orthodoxe russe, épinglée sur un mur, Irina confie : « Il est génial ! Tous les dimanches, il parle à la télévision avec des mots très simples, très touchants, compréhensibles par tous, de la foi mais aussi de nos problèmes quotidiens. Il est très convaincant. »
Lorsque Irina a installé son agence de voyages dans de nouveaux locaux, elle n’a pas manqué de demander à un prêtre de les bénir.
« Une magnifique célébration du millénaire »
Au milieu des années 1980, lorsque l’URSS a commencé à se fissurer, Dieu a ainsi refait irruption dans la vie de beaucoup. Et les églises ont recommencé à se remplir. « En 1988, la célébration du millénaire du baptême de la Russie a été une fête extraordinaire » , se souvient Irina.
Depuis, les églises sont retapées, les coupoles repeintes avec l’aide de l’État et de donateurs privés, très généreux. À Irkoutsk, ville de 650 000 habitants où la gigantesque église Notre-Dame-de-Kazan et ses cinq coupoles avait été plastiquée en 1934, la femme du maire, Marina Kondrachova, très croyante, s’active pour obtenir sa reconstruction sur la place Kirov.
Aux dernières nouvelles, le dossier avance. La Douma (assemblée) locale a donné son feu vert.
« Les jeunes reviennent dans les églises »
Pour autant, la Russie n’a pas retrouvé la ferveur religieuse d’avant 1917. « À la fin du communisme, il y a eu une mode de l’orthodoxie. Comme toutes les vagues, elle est retombée. Seuls ceux qui cherchent vraiment sont restés » , confie le P. Dimitri.
Devenu prêtre à 40 ans, ce père de famille de trois enfants, a longtemps été économiste, tout en assurant un service à l’église. Puis, il a sauté le pas. Aujourd’hui en charge de la paroisse Notre-Dame-de-Kazan, à Oust-Ouda, dans la grande banlieue d’Irkoutsk, il constate que si, pour les grandes fêtes, la « sainte liturgie » attire les foules, les pratiquants réguliers n’excèdent pas 5 % de la population.
Mais, il se veut optimiste : « Autrefois, il n’y avait que des vieux dans les églises. Aujourd’hui, les jeunes, y compris les jeunes intellectuels, viennent nombreux, filles mais aussi garçons. Cela donne gaieté et dynamisme à la vie paroissiale. »
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Une « symphonie » entre le pouvoir et l’Église orthodoxe
Au début de la révolution bolchevique, beaucoup de prêtres et de moines et même de simples croyants ont été exterminés ou déportés. Sous le communisme, seules les grands-mères – ou presque – fréquentaient les paroisses, beaucoup de monastères et d’églises étaient fermés.
Aujourd’hui, 65 % des Russes se disent orthodoxes et 29 000 paroisses, 800 monastères, plus de 100 séminaires ou académies de théologie sont en activité. Le pouvoir et l’Église se sont rapprochés : le président Vladimir Poutine s’affiche croyant et pratiquant. Il a renoué, à sa manière, avec la « symphonie entre le patriarche et l’empereur » qui, jadis, constituait un élément fondamental de l’identité russe.
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PAULA BOYER, sur l’île d’Olkhone et à Irkoutsk