Le P. Nicolas Yanney: prêtre orthodoxe au centre des Etats Unis à la fin du XIXème siècle et au début du XXème

L’héritage du père Nicolas Yanney

 

Matthew Namee

 

Ce qui suit est le texte d’un discours de l’auteur sur le P. Nicolas Yanney, le 28 octobre 2018, lors d’un pèlerinage à Kearney, Nebraska, en commémoration du 100e anniversaire de son repos.

 

 

Je pense que la première fois que j’ai pris conscience du P. Nicolas c’était en 2004, lorsque j’ai lu le discours d’intronisation de l’évêque Basile. Il a évoqué ce prêtre de circonscription qui possédait un vaste territoire qui couvrait pratiquement tout le centre des États-Unis. C’est impressionnant, c’est certain, mais vraiment, je dois être honnête, ça ne se démarque pas. Il y avait BEAUCOUP de prêtres orthodoxes en circonscription à cette époque. Je n’étais pas ici pour le pèlerinage diocésain il y a dix ans, mais cela m’a frappé comme une famille honorant leur ancêtre – ce qui est tout à fait convenable, mais ce n’est pas forcément un sujet important pour quiconque se trouvant en dehors du diocèse. Le P. Nicolas est l’ancêtre du diocèse de Wichita et il nous intéresse parce qu’il est nôtre, mais si vous êtes grec ou russe ou serbe ou si vous habitez sur une des côtes, le P. Nicolas est juste un autre vieux prêtre. Il y avait beaucoup de personnes pareilles.

Je ne suis pas ici pour parler du P. Nicolas parce qu’il est l’ancêtre du diocèse de Wichita, ou parce-qu’il a été le premier prêtre ordonné par saint Raphaël, ou parce-qu’il est une figure historique assez remarquable de l’orthodoxie américaine. Ces choses sont toutes vraies, mais ce sont des notes de bas de page. La raison pour laquelle Nicolas est important, la raison pour laquelle il mérite l’attention, non seulement des Antiochiens d’Amérique centrale, mais de tous les chrétiens orthodoxes du monde entier, c’est qu’il est une icône de la fidélité, de l’endurance et des sacrifices pour l’amour du Christ. L’héritage du P. Nicolas n’est pas simplement ce diocèse ; l’héritage du P. Nicolas est la sainteté. La biographie de Nicolas au début est intéressante mais pas nécessairement rare. Il a grandi près du monastère de Balamand (actuellement au Liban). Il s’est marié à la fin de son adolescence et il a quitté son village pour venir en Amérique afin de donner à sa famille une vie meilleure que celle offerte dans son pays natal.En cela, il ressemblait à tant d’autres, y compris à ma propre famille et à beaucoup des vôtres. L’Amérique était une terre d’opportunités et la recherche de cette opportunité signifiait quitter son foyer, sa famille et sa communauté. Il n’était que Nicolas Yanney, bien sûr, pas encore Père Nicolas. Lui et sa femme, Martha, sont d’abord allés à Omaha, et Nicolas a travaillé comme colporteur – encore une fois, comme beaucoup de jeunes immigrants syriens de l’époque. Ils avaient des enfants et ils s’installèrent dans une petite propriété non loin de Kearney, où ils ont fait souche de façon modeste. Je ne sais pas quelles étaient leurs attentes, ni s’ils en avaient. Je sais que c’étaient des chrétiens orthodoxes pieux qui avaient passé des années sans même voir un prêtre, encore moins se confesser, prendre la communion ou faire baptiser leurs enfants.Et puis un jour, quelque chose d’inattendu s’est passé. C’était en 1899. Nicolas et Martha étaient dans le Nebraska depuis près de six ans. Quelques années auparavant, un jeune prêtre syrien dynamique, nommé P. Raphael Hawaweeny était venu à New York pour s’occuper des immigrants (libano)-syriens orthodoxes dispersés en Amérique. Et maintenant, à la fin de l’été de 1899, St. Raphael s’est rendu jusqu’à la ville isolée de Kearney, Nebraska… Je laisserai St. Raphael lui-même raconter l’histoire, tirée de son journal sur sa mission : « Le mardi 7 septembre, j’ai quitté Omaha et suis allé plus à l’ouest vers la ville de Kearney, où je suis arrivé après minuit au lieu d’arriver à 15h30 comme prévu. […] Quand je suis arrivé à Kearney, presque tous nos Syro-Arabes sont venus me saluer à la gare. Du train, ils m’ont emmené chez un aîné dans une voiture découverte. Il faisait si froid que je frissonnais tout au long du chemin et que je me réchauffais seulement devant la cheminée de la maison de mes hôtes et que je le payais en reniflant. Nous sommes tous restés éveillés jusqu’à quatre heures du matin, après quoi tout le monde est rentré chez soi pour se reposer. Le lendemain matin, je me sentais si mal que je n’étais pas capable de servir la Divine Liturgie, mais seulement le service des typiques. ” Alors, arrêtons-nous un instant, ce récit commence à vous dire quelque chose sur Saint-Raphaël et à quel point il était dévoué envers son peuple. Son train a été retardé de huit heures ; il est arrivé épuisé après minuit ; il faisait froid et il se sentait malade – puis il est resté éveillé jusqu’à quatre heures du matin pour rendre visite à son peuple, puis, après un sommeil bref, il s’est levé le matin pour un service religieux, même s’il se sentait si mal qu’il ne pouvait  servir la liturgie. En tout cas, Saint-Raphaël continue : « Le soir, je me suis senti mieux et j’ai proposé aux membres de la communauté locale d’aller à cheval à la ferme d’un des Syro-Arabes orthodoxes qui y habite avec sa famille et son frère, situé à environ 18 kilomètres au nord-est de Kearney. À 21 heures avec 15 personnes qui m’accompagnaient sur quatre calèches, nous sommes partis pour notre voyage. Il faisait beau, la route était plate et la lune était pleine. Mes compagnons ont tellement apprécié que pendant tout le voyage, ils ont chanté des chants d’église et du pays d’origine. ”Ainsi Saint-Raphaël, privé de sommeil et luttant contre un rhume, a entendu parler de cet agriculteur – Nicolas Yanney – et de sa famille, qui vivaient très loin à la campagne. Et il s’est porté volontaire pour aller les voir au milieu de la nuit. C’était sa propre idée. C’est le bon berger qui laisse les 99 brebis et cherche celle qui est perdue. Mais dans ce cas, elles ne sont pas spirituellement perdues – les Yanney étaient spirituellement très forts – mais ils étaient littéralement perdus dans le désert. Il aurait pu envoyer des Syriens de Kearney pour ramener les Yanney en ville, mais non, il est allé les voir lui-même. C’est le genre de pasteur que saint Raphaël était. « Nous sommes arrivés chez nos agriculteurs vers une heure du matin. A cause des bruits et des coups de feu tirés par les armes de poing de mes compagnons, les agriculteurs sont sortis de leur maison et ont appris que leur prêtre était arrivé. Ils étaient si ravis qu’avec des larmes et des actions de grâces, ils nous ont embrassé et ont embrassé le sol, et mes pieds, remerciant le Seigneur Dieu qui leur a permis de voir un prêtre orthodoxe après sept ans sans en avoir vu un seul. En vérité, nous avons tous pleuré aussi, en voyant de telles salutations joyeuses. La femme du fermier a pleuré plus que quiconque de sa joie. Elle était tellement comme en deuil du fait que vivant dans un endroit si éloigné, elle était privée de la possibilité de voir un prêtre orthodoxe capable de la confesser et de la conseiller, et surtout, de baptiser ses quatre enfants, dont le plus âgé avait six ans.Maintenant que sa peine s’est transformée en joie et ne croyant pas ses yeux, elle s’est continuellement signée, levant les mains au ciel, remerciant le Seigneur pour cette miséricorde inattendue. « La maison était très petite. Nous sommes tous restés dans une chambre. De fatigue, certains se sont endormis sur leur chaise, d’autres à même le sol et on m’a offert un petit canapé. Au matin, tout le monde assista avec piété au service des matines. Après cela, j’ai servi la bénédiction des eaux et béni la maison et toute leur ferme. Après avoir passé toute la journée là-bas, nous sommes rentrés à Kearney dans la soirée. Le lendemain, ce fermier, avec toute sa famille et son frère, est venu à la Divine Liturgie et pour le baptême de leurs enfants… »C’était la première rencontre de Nicolas avec Saint-Raphaël et, plus encore, c’était sa première rencontre avec un véritable missionnaire orthodoxe. Il connaissait des prêtres et des moines en Syrie, mais Raphaël était une chose différente. C’était un pasteur dont le troupeau n’était pas concentré dans un village, mais dispersé sur un continent. Et le dévouement de Raphaël et son sacrifice de soi, s’occuper des plus isolés de son peuple, laissèrent une impression profonde sur Nicolas qui devint apparente au cours de ses années en tant que prêtre missionnaire. Finalement, St. Raphael est parti et la vie a continué pour les Yanney. Ils avaient quatre enfants et Martha attendait leur cinquième. Nicolas avait 29 ans – cinq enfants avant l’âge de 30 ans. Puis quelque chose s’est mal passé. Martha n’était pas bien. Elle a commencé le travail trop tôt. Il n’y avait personne pour aider, et même les meilleurs médecins de l’époque n’auraient probablement rien pu faire. Martha est morte en couches. Nicolas était veuf à 29 ans et avait cinq enfants. Et puis il a regardé, impuissant, son nouveau-né dépérir et mourir quelques jours plus tard. Je sais que la mort des enfants était beaucoup plus fréquente à l’époque qu’elle ne l’est maintenant, et qu’il était également beaucoup plus fréquent que les femmes meurent en couches. Mais cela n’enlève rien à l’agonie vécue par Nicolas et ses enfants survivants. En tant que mari et père – mon cinquième enfant vient de naître en août – je ressens une peine particulière pour Nicolas. La douleur d’une telle perte ne disparaît jamais. Mais c’est ce qui s’est passé ensuite, ce que Nicolas a fait après avoir été veuf, c’est cela qui commence vraiment à le différencier. Devant Nicolas, il y avait au moins deux chemins, un chemin étroit et un chemin large. Le grand chemin aurait été un remariage, et on aurait difficilement pu lui reprocher de choisir ce chemin. Il avait des petits enfants qui avaient besoin d’une mère. C’était un jeune homme de 29 ans seulement. Il aurait facilement pu faire son deuil pendant un certain temps puis trouver une nouvelle épouse parmi les nombreux immigrants libano-syriens qui envahissaient les États-Unis et se rendaient même jusqu’au Nebraska. Le chemin étroit était une sorte de chemin inouï. Ce n’était pas comme si le sacerdoce était une option de carrière viable – nous n’avions pas de séminaires à ce moment-là, et il n’y avait même pas d’évêque antiochien en Amérique. L’orthodoxie avait à peine commencé à s’enraciner et il n’y avait qu’un maigre nombre de paroisses dans tout le pays, de n’importe quelle origine ethnique. Mais un peu plus d’un an après la mort de Martha, les Syriens orthodoxes de Kearney voulaient avoir leur propre paroisse et ont décidé en tant que groupe que Nicolas soit leur prêtre. Et il a accepté de porter cette croix. Cela signifiait qu’il ne se remarierait jamais, mais aussi qu’il devrait sacrifier du temps qu’il pourrait passer avec ses enfants pour le bien de son ministère sacerdotal. Il aurait difficilement pu prévoir l’ampleur de ce sacrifice.

Pendant ce temps, saint Tikhon, l’archevêque de Russie, avait fait en sorte que Saint-Raphaël devienne lui-même un évêque, en donnant aux Syriens leur propre hiérarchie. Au début de 1904, Nicolas se rendit de Kearney à New York pour assister à la consécration de Raphaël, puis pour être ordonné prêtre. C’était son premier grand voyage loin de ses enfants, et ils sont restés avec la famille. Après son ordination, le P. Nicolas a passé du temps avec St. Raphael à Brooklyn, puis est rentrée chez lui dans le Nebraska. Mais il ne devenait pas seulement pasteur de la paroisse naissante de Kearney — St. Raphaël lui a confié la responsabilité d’une vaste zone géographique couvrant un territoire à peu près équivalent au diocèse de Wichita et de l’Amérique centrale. Saint-Raphaël a peut-être été le berger des moutons antiochiens éparpillés en Amérique du Nord, mais dans la pratique, il s’agissait d’un trop grand territoire à couvrir efficacement. Donc le P. Nicolas serait son adjoint, lui-même un berger du troupeau antiochien perdu des plaines américaines.

Les voyages missionnaires de Nicolas sont épuisants à lire. Si j’essayais réellement de donner une idée précise de ces voyages, vos yeux s’embueraient et je ne finirais jamais cette conversation. Sérieusement, c’est une grande partie du de l’histoire de Nicolas, mais c’est quelque chose que je ne peux pas approfondir parce que je perdrais l’attention du public.

Ainsi il a régulièrement passé plus de six mois loin de chez lui, laissant ses quatre enfants à la garde de ses frères. Et nous parlons de voyages sur de vastes étendues de terres, principalement en train et parfois en calèche, des nuits passées dans toutes sortes de lits inconfortables et improvisés, froid, chaleur, solitude, inconfort de toutes sortes. Encore une fois, cela durerait plusieurs mois à la fois. P. Nicolas n’a pas beaucoup voyagé parce qu’il voulait s’éloigner de sa famille. Il est important de comprendre cela et de comprendre la différence entre le P. Nicolas et St. Raphael. J’ai passé beaucoup de temps à étudier la vie de saint Raphaël et à le prier. C’est un grand saint qui a beaucoup sacrifié, mais il était également agité par nature. Il n’aimait pas rester immobile. Son travail en Amérique lui convenait donc parfaitement : il était toujours en mouvement et, quand il n’était pas sur la route à la sortie de New York, il y avait toujours des projets pour l’occuper ici, comme construire une cathédrale et créer un cimetière. Et il était un moine, sans enfants et il ne manquait vraiment rien quand il voyageait. Fr. Nicolas était très différent: de toutes les preuves dont nous disposons, il semblait davantage être un casanier, heureux de passer des mois à travailler diligemment dans sa petite ferme (qu’il a dû abandonner lorsqu’il est devenu prêtre). Il était célibataire et avait quatre enfants en bas âge dont la mère était décédée. Sa correspondance avec ses enfants révèle à quel point il les aimait profondément. Ce n’était pas quelqu’un qui voulait fuir, qui voulait être loin de chez lui pour éviter la vie de famille. Il voulait être avec ses enfants, cultivant la terre, et il a sacrifié cette vie de famille pour le bien de son ministère, pour apporter les sacrements aux immigrants syriens qui autrement mourraient de faim spirituellement.Trois ans après son sacerdoce, en avril 1907, le P. Nicolas partit pour l’un de ses longs voyages missionnaires. Il s’attendait à être absent de ses enfants pendant plusieurs mois. Mais en juin, il était dans le Colorado quand il a appris que sa fille Anna, âgée de 11 ans, était très malade et était sur le point de mourir. Il s’est précipité à la maison, mais à son arrivée à Kearney, elle était inconsciente. Elle est morte le 7 juin et le P. Nicolas devait servir ses funérailles. Il n’a pas pu dire au revoir, entendre sa confession ou donner sa communion. Il est difficile d’imaginer ce qu’il a dû ressentir. Certainement, un événement comme celui-ci aurait brisé certains hommes : son service auprès de Christ signifiait qu’il n’était pas là pour sa fille mourante. Mais le P. Nicolas n’a pas maudit Dieu, ni abandonné son poste. Cela aurait été complètement compréhensible si le P. Nicolas avait annulé son long voyage missionnaire à ce stade. Sa fille était morte, ses fils avaient besoin de lui et sa paroisse de Kearney avait besoin de lui, car ils pleuraient aussi la perte d’Anna. Comment pourriez-vous lui reprocher de rester à la maison pendant longtemps ? Mais non, le P. Nicolas n’est resté à Kearney que pendant deux ou trois semaines, puis il a repris la route pour retrouver ces antiochiens dispersés et servir des liturgies, des baptêmes, des mariages et des funérailles. Encore une fois, il n’était pas un évadé, fuyant son chagrin – il voulait sans doute être chez lui, mais son devoir envers Dieu venait avant tout. Dans tout cela, le modèle de Nicolas était Saint-Raphaël. Au cours des années suivantes, le P. Nicolas a poursuivi son double ministère en tant que prêtre de la paroisse St. George à Kearney et en tant que missionnaire itinérant dans les plaines. Le diocèse syrien de Saint-Raphaël grandissait et avec davantage de prêtres, il y avait un espoir que le P. Nicolas puisse avoir moins d’obligations de voyage. Raphaël lui-même rendit visite à Kearney en septembre 1914 et encouragea la paroisse à construire une nouvelle église. Les choses s’amélioraient.Mais le jour même de l’arrivée de Saint-Raphaël à Kearney, en septembre, des nuages ​​de tempête ont commencé à apparaître sur le diocèse libano-syrien: le métropolite Germanos Shehadi, un évêque antiochien de Syrie, est arrivé en Amérique. Germanos était apparemment venu pour un voyage de collecte de fonds afin de récolter des fonds pour une école d’agriculture de son diocèse, en Syrie. Mais il est également venu pour profiter de la sécurité aux États-Unis juste au moment où la Première Guerre mondiale a éclaté dans le Vieux Monde. Saint-Raphaël se méfiait des véritables motivations de Germanos, mais il lui accorda la bénédiction de visiter les paroisses syriennes. Pendant quelques mois, tout semblait relativement stable. Saint-Raphaël n’avait que 54 ans, mais tout son travail missionnaire avait mis à rude épreuve son corps. Il a commencé à montrer des signes de faiblesse peu de temps après son retour de Kearney à New York et à la fin de 1914, il était cloué au lit. La fin a eu lieu en février – le 27 février 1915, le P. Nicolas reçut un télégramme à Kearney l’informant que le grand évêque était mort. Il a servi un trisagion pour l’âme de Raphaël dimanche et mardi, il a pris le train pour Brooklyn afin d’assister aux funérailles. Le diocèse syrien s’est presque effondré à l’enterrement. Les prêtres syriens ont afflué à Brooklyn dans les jours qui ont suivi la mort de Saint-Raphaël et se sont retrouvés en désaccord. Certains ont dit que Raphaël était sous l’Eglise russe et que la hiérarchie russe consacrerait un nouvel évêque syrien. D’autres n’étaient pas d’accord, soulignant que Saint-Raphaël lui-même avait dit que son diocèse était – et je cite – « un diocèse d’Antioche, malgré son allégeance nominale au Saint-Synode russe». Que serait-ce donc : la Russie ou Antioche? Le schisme Russo-Antiochien avait commencé.

Une partie du problème était que Saint-Raphaël n’avait pas de successeur évident. Le principal candidat pro-russe était l’archimandrite Aftimios Ofiesh, très ambitieux et très politicien. Son rival, était le très jeune –  dans les vingt ans – l’archidiacre Emmanuel Abo-Hatab, qui avait été l’assistant de Saint-Raphaël dans ses dernières années. Aucun de ces hommes n’était qualifié pour devenir évêque.

 

De l’autre côté, il y avait Germanos Shehadi, métropolite d’Antioche, embarassant mais charismatique. Germanos avait brillé en Amérique. Beaucoup, beaucoup de Syriens pensaient que Germanos devrait bien sûr être le successeur de Raphaël. Mais il y avait deux problèmes : l’un, les Russes n’étaient pas de la partie, et deux, le patriarcat d’Antioche ne voulait pas que Germanos reste en Amérique et, au fil des années, ils lui ordonnaient de retourner en Syrie.

C’est intéressant – personne ne l’a jamais suggéré, mais il me semble que le meilleur candidat pour succéder à Saint-Raphaël était peut-être le père Nicolas lui-même. Il n’aurait jamais été nommé – il était loin d’être un politique, trop humble, trop peu ambitieux. Il ne faisait pas partie du cercle d’influence du diocèse syrien, comme Ofiesh et Abo-Hatab ainsi que le P. Basile Kerbawy de la cathédrale de Brooklyn. Mais il était éligible canoniquement, moralement juste et complètement dévoué en tant que pasteur. Qui sait ce qui se serait passé si les Syriens de l’époque avaient été plus ouverts d’esprit et l’ont considéré comme candidat possible. Il aurait été beaucoup plus digne que n’importe lequel des hommes qui étaient réellement dans la course, et beaucoup plus dans le moule de saint Raphaël lui-même.

Mais tout cela n’est que spéculatif – personne n’a envisagé le P. Nicolas en tant que candidat. Tout le monde était obligé de choisir un camp. Vouliez-vous Aftimios ou Germanos? La question était également formulée ainsi: devrions-nous être sous la Russie ou sous Antioche? Avec le recul, il n’y avait pas de bonne réponse. Saint-Raphaël avait été très ambigu quand il avait parlé de la Russie et d’Antioche, et il n’avait laissé aucun protégé, aucun successeur. Pour être franc, Aftimios et Germanos étaient indignes – des « anaxios ». La Première Guerre mondiale faisait rage. L’Église russe a attendu deux ans avant de consacrer Aftimios et, à ce moment-là, la Russie elle-même était en pleine révolution. Pendant ce temps, Germanos a continué à chercher des paroisses et à refuser de rentrer chez lui en Syrie. À la fin, le P. Nicolas a choisi Germanos, ce qui, pour lui, aurait moins signifié  Germanos personnellement (il ne le connaissait pas très bien) que le choix de rester avec Antioche (et non sur le choix totalement inacceptable d’Aftimios). Je ne peux rien reprocher au père Nicolas pour ce choix. Il était totalement éloigné de la politique de l’église, essayant de prendre la meilleure décision dans une situation impossible, avec deux options vraiment mauvaises. Il a souffert pour ce choix – Emmanuel Abo-Hatab, au nom d’Aftimios et de la faction Russe, a poursuivi en justice tous les prêtres qui soutenaient Germanos, essayant de s’emparer de leurs biens paroissiaux. Il a porté plainte contre le P. Nicolas et gagna. En 1918, les avocats d’Emmanuel étaient sur le point de saisir la maison de Nicolas, lorsque la pandémie de grippe espagnole a frappé. En 1918, à leur retour de la première guerre mondiale, les soldats ramenèrent chez eux une grippe mortelle. On estime que la grippe espagnole a tué près de 100 millions de personnes dans le monde et qu’en Amérique, environ 28% de la population l’a attrapée et que plus d’un demi-million de personnes sont mortes. La panique était généralisée et, à divers moments, les gouvernements ordonnaient des quarantaines. La grippe s’est propagée en trois vagues – la première et la moins meurtrière est celle du printemps 1918. La deuxième a commencé à la fin de l’été et a atteint son point culminant en octobre. Elle a tué 195 000 Américains en un mois.Pendant que tout cela se passait, le P. Nicolas était occupé. Il avait affaire avec le  procès Russe-Antioche et à la perspective de perdre sa maison. Son fils et sa belle-fille attendaient leur premier bébé, son premier petit-fils. Et en septembre, son nouvel évêque, le métropolite Germanos, s’est rendu à Kearney. Après le départ de Germanos, le P. Nicolas a fait ses voyages missionnaires habituels. Il a probablement entendu parler de cette nouvelle vague de grippe lors de ses voyages, début octobre. Il s’est rendu à Wichita et, comme il y avait déjà une quarantaine dans toute la ville, il ne pouvait pas servir la Divine Liturgie dans la nouvelle église de St. George, la première église orthodoxe de Wichita. Lorsqu’il était à Wichita, il a oint les malades et a célébré les funérailles d’une jeune fille syrienne de 16 ans décédée alors qu’il se trouvait en ville. Il y a de bonnes chances que le P. Nicolas a attrapé la grippe là-bas, à Wichita. Il est ensuite retourné dans le Nebraska, visitant des groupes dispersés de Syriens, puis est retourné à Kearney, juste au moment où l’épidémie de grippe a commencé à frapper la ville. Les gouvernements locaux et des États ont imposé une quarantaine. Certains des paroissiens de Nicolas étaient malades et malgré la quarantaine, le P. Nicola a pris la Sainte-Cène de réserve et a commencé à aller de maison en maison, en les oignant et en leur donnant la communion. Un jeune homme de la paroisse est décédé, puis un enfant en bas âge. P. Nicolas a servi les funérailles. De plus en plus de personnes ont contracté la grippe. La santé de Nicolas a continué à se détériorer – il était faible et sa respiration s’est détériorée. Il devait savoir qu’il était en train de mourir. Mais il ne s’est pas reposé. Je me demande même s’il pensait même à se reposer – cela aurait-il même été une tentation pour un prêtre qui avait déjà tant crucifié sa propre volonté, son propre intérêt, pour l’amour de Christ et de son troupeau ? Un homme ordinaire – un homme normal, en réalité – aurait pu rationaliser le besoin de repos. Après tout, il avait de grandes responsabilités – ses paroissiens avaient besoin de lui et de tous les autres Syriens du centre de l’Amérique. Son petit-fils devait naître d’un jour à l’autre. Sa famille avait besoin de lui. Mais le P. Nicolas n’a pas cessé de visiter ses gens, de les oindre, de leur donner la communion, de les aider à guérir ou à se préparer à la mort.C’était en fait sa propre préparation à la mort. Il a exercé son ministère auprès de son peuple jusqu’à ce qu’il ne puisse plus continuer physiquement et qu’il s’effondre littéralement. Cela rappelle le Seigneur lui-même, que le P. Nicolas imita et servit – ayant aimé les siens, il les aima jusqu’à la fin (Jean 13: 1). Ses dernières paroles à ses fils furent les suivants: «Gardez vos mains et vos cœurs purs». Il est décédé à minuit, alors que le 28 octobre devenait le 29 octobre. Le journal local de Kearney a rapporté ce qui suit: «La semaine dernière, le révérend Yanney a travaillé fidèlement parmi ses paroissiens, dont beaucoup sont atteints de la grippe. Une exposition considérable à la maladie était inévitable et bien qu’il se soit plaint de ne pas être au meilleur de sa santé, il a poursuivi son travail sans interruption jusqu’à la fin. »Le journal arabe de Brooklyn, Al-Nasr, a écrit à propos du décès de Nicolas, «C’était la pire heure lorsque nous avons reçu le télégramme des enfants du père Nicolas. Ils nous ont dit que nous l’avions perdu parce qu’il était toujours le premier à servir le peuple et la congrégation. ” Le P. Nicolas a vécu aux États-Unis au 20ème siècle. Il n’a pas eu l’occasion de mourir en martyr. Mais nous ne pouvons pas douter qu’il aurait embrassé le martyre. Et les modalités de sa mort rappellent la fin en martyr d’un autre grand saint antiochien, Joseph de Damas, doyen de la cathédrale patriarcale où les parents de saint Raphaël étaient paroissiens. En 1860, des bandes en émeute ont massacré des chrétiens orthodoxes à Damas. Au milieu de ce chaos et de cette effusion de sang, Saint-Joseph prit le sacrement de la réserve et sauta littéralement de toit en toit, se rendant chez ses paroissiens pour les préparer au martyre. Quand il fut finalement acculé, saint Joseph consomma le reste de la Sainte-Cène quelques instants avant d’être brutalement assassiné.P. Nicolas n’a pas été tué par une foule anti-chrétienne, mais sa fidélité, son courage, sa patience ferme à l’égard de la souffrance, son altruisme et son dévouement jusqu’au bout pour son peuple, démontrent sans l’ombre d’un doute qu’il aurait embrassé le martyre si l’occasion s’était présentée. Quel est donc l’héritage du P. Nicolas? Il était un prêtre pionnier, un fondateur de paroisses, une figure historique notablement remarquable de l’orthodoxie antiochienne en Amérique. Mais pour moi, son héritage est bien plus que cela : il est une icône de ce que devrait être un prêtre et un modèle pour nous tous – membres du clergé et laïcs, mariés et célibataires, tous orthodoxes, quelle que soit leur juridiction – pour nous tous, il est un modèle de la vraie foi dans la pratique. Et cet héritage appartient non seulement aux Antiochiens d’Amérique centrale, mais à tous les chrétiens orthodoxes, partout dans le monde. Je suppose que je devrais terminer en disant, que sa mémoire soit éternelle, mais cela ne fait aucun doute. Mieux vaut peut-être dire : Saint Père Nicolas, prie Dieu pour nous! Matthew Namee Histoire orthodoxe 11/2/2018

http://orthochristian.com/116946.html

Bulletin de novembre 2018 de l’Eglise Orthodoxe à l’Ile Maurice

Paroisse orthodoxe de la sainte Transfiguration

La Voix del’Évangile

Numéro 36, novembre 2018

La bienheureuse MATRONE de MOSCOU1.

La bienheureuse Matrone (Nikonov) naquit en 1881 au sein d’une famille pauvre du village de Sebino-Epifaniskaia (auj. Kimovski) de la région de Toula, à quelques kilomètres de l’emplacement de la fameuse bataille de Koulikovo. Aveugle de naissance – ses yeux étaient même dépourvus de pupilles -, elle supporta avec humilité et patience cette infirmité, et en retour Dieu fit d’elle un vase d’élection de la grâce. Au moment de son baptême, le prêtre vit apparaître au-dessus de l’enfant une nuée légère dégageant un doux parfum, signe de la faveur divine. Dès l’âge de six ou sept ans, Matrone manifesta un extraordinaire don de clairvoyance : elle discernait les maladies de l’âme et du corps de ceux qui venaient en grand nombre lui rendre visite, leur révélait leurs péchés cachés et leurs problèmes, et elle les guérissait en priant sur eux ou leur donnait de sages conseils. Vers l’âge de quatorze ans, elle fit un pèlerinage dans les principaux sanctuaires de Russie, en compagnie d”une pieuse bienfaitrice. Lorsqu’elles arrivèrent à Cronstadt pour recevoir la bénédiction de saint Jean, alors qu’elles se trouvaient perdues dans la foule, le saint s’écria soudain :

« Matrone, approche! » Et il ajouta : « Elle prendra ma succession et deviendra le huitième pilier de la Russie. » À ce moment, personne ne comprit le sens de cette prophétie. Lorsqu’elle parvint à l’âge de dix-sept ans, elle fut atteinte de paralysie et cessa dès lors de marcher. Sachant que telle était la volonté de Dieu, elle ne se plaignait jamais de son sort, mais remerciait au contraire le Seigneur. Tout le reste de sa vie, pendant plus de cinquante ans, elle vécut dans une pièce remplie d’icônes, assise en tailleur sur son lit, le visage lumineux et la voix paisible, et recevait tous ceux qui venaient trouver auprès d’elle une consolation céleste. Elle annonça à l’avance les grands malheurs qui devaient s’abattre sur le pays à la suite de la révolution bolchevique, et mit son don de clairvoyance au service du peuple de Dieu. Comme certains de ses visiteurs la plaignaient de son infirmité, elle répondit : « Un jour, Dieu m’a ouvert les yeux, et j’ai vu la lumière du soleil, les astres et tout ce qui existe dans le monde : les fleuves, les forêts, la mer et toute la création… ». Continuer la lecture de Bulletin de novembre 2018 de l’Eglise Orthodoxe à l’Ile Maurice

Saint Thomas apôtre en Inde

thomas museum

La grotte de l'apôtre Saint-Thomas en Inde.

Le premier à avoir introduit le christianisme en Inde fut saint Thomas l'apôtre. Le souvenir de lui vit sur cette terre jusqu'à ce jour.

Dans la grotte du petit mont Chennai (Madras), situé près de Milaipur, l'apôtre Thomas a trouvé refuge auprès de ses poursuivants. Ici, il vécut et prêcha pendant deux ans. Lorsque les guerriers ont découvert son abri, le Seigneur a accompli un miracle: une crevasse formée dans le rocher, à travers laquelle le saint a pu s'échapper.

Il s'est enfui de la Petite Montagne dans la jungle de la Grande Montagne. C'est là que, pendant la prière de l'apôtre, un des soldats l'a tué, il est sorti de derrière et l'a transpercé d'une lance. La pointe de la lance est toujours conservée dans le musée de la basilique Saint-Thomas.

À l'intérieur de la grotte se trouve un rocher sur lequel on peut voir l'empreinte digitale de l'apôtre avec des taches de sang. Les habitants de la région pensent que cette empreinte provient miraculeusement de l’imposition des mains de Thomas. Et près de là, il y a une source d'eau que, selon la légende, le Seigneur a créée par la prière de saint Thomas, afin que les disciples dans un climat aussi chaud puissent rester avec l'apôtre le plus longtemps possible.

 Source: pravmir.ru

Murmurer et maugreer

http://www.pravmir.com/grumbling/

 

Avez-vous remarqué combien fréquemment nous sommes en train de nous plaindre de ceci ou de cela? Il semble que ce soit dans notre nature de nous plaindre de quelque chose.

 

L’Archimandrite Seraphim Aleksiev  a écrit ceci :

 

Se plaindre (râler), c’est comme le gel d’automne qui, lorsqu’il survient, détruit tous les travaux du jardinier. Peu de gens réalisent à quel point le fait de se plaindre est mauvais pour l’âme. Presque tout le monde considère que c’est un petit péché, mais même si cela semble être le cas, cela a de très lourdes conséquences. À l’automne, avant les premiers givres, les jardiniers expérimentés remarquent les signes avant-coureurs du froid et invitent leurs jeunes aides à ramasser les poivrons et les tomates, les jeunes alors rigolent: «Pourquoi devrions-nous les ramasser? Le temps est toujours aussi beau! »Puis le lendemain matin, ils voient le premier gel sur les jardins. Ils prennent un poivron et le croquent pour le goûter, mais il est aussi amer que du poison et ne peut pas être mangé. Ainsi, leur petite négligence a détruit tous leurs travaux. De la même manière plaindre et râler font perdre toutes les vertus de l’âme et rendent amers et inutiles les fruits des épreuves.

 

Pourquoi est-ce si dangereux? Dieu nous donne des difficultés et des problèmes pour nous aider à nous rapprocher de lui. C’est son seul but. Il veut que nous soyons unis à lui. Mais lorsque quelque chose ne correspond pas à notre volonté propre, nous nous plaignons au lieu de rendre grâce à Dieu. Voyez, nous nous détournons de Lui au lieu de nous remettre à Lui afin d’obtenir force et une orientation. C’est le danger de tous nos gémissements. Lorsque nous grommelons, nous nous séparons de Dieu. Lorsque nous nous plaignons, nous ne sommes pas agréables avec les autres. Comme le dit Alekiev, « grogner fait perdre toutes les vertus de l’âme ».

Ni lamentations et ni plaintes, mais de la patience dans l’épreuve – c’est ce que Dieu veut de nous. « Par votre persévérance (ou patience), vous sauverez  vos âmes » (Luc 21:19), c’est ainsi que nous enseigne le Sauveur, car  » c’est à travers beaucoup de difficultés  qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu » (Actes 14:22). Nous ne pouvons entrer fièrement dans le Royaume de Dieu, car l’orgueil est ce qui nous apprend à grogner ; mais c’est avec l’humilité, qui nous apprend la patience que nous entrons au Royaume. Il n’y a pas de plus grand maître que l’affliction pour acquérir la patience. C’est précisément pour cela que Dieu nous met à l’épreuve afin que nous nous humiliions devant Lui. L’orgueil n’a sauvé personne, car «Dieu s’oppose aux orgueilleux mais Il accorde la grâce aux humbles» (1 Pierre 5: 5). Les portes du royaume des cieux sont trop basses et trop étroites pour que les orgueilleux puissent y entrer; seuls ceux dont les souffrances de la vie ont rendu humbles peuvent les traverser librement.  

Je ne peux pas vous dire combien de fois ma femme et moi alors que nous sommes en voiture pour nous rendre à l’église nous grommelons à propos de petites choses. Lorsque nous avons de la « chance », l’un de nous se rend compte de son sort et dit: «remercions Dieu». Cela nous réveille toujours et nous éloigne de la tristesse..  Un bon exercice consiste à examiner vos plaintes – juste pour une journée. Considérez ce que pourquoi vous vous plaignez et réfléchissez à la raison pour laquelle Dieu vous a mis dans cette expérience désagréable. Voyez si vous pouvez trouver un moyen de rendre grâce à Dieu pour tout ce qu’Il ​​vous envoie. Comment tirer parti de votre relation avec Lui? Je pense que vous constaterez que cela donne du réconfort.  Rappelez-vous, Dieu ne nous a pas promis que nous n’aurions pas de difficultés. Mais il a promis qu’il nous donnerait aide et réconfort.     «Vous aurez à souffrir dans le monde, mais prenez courage : j’ai vaincu le monde. ”(Jean 16:33) Réf: Le sens de la souffrance, des conflits et de la réconciliation, p 35, 39.

Diacre: Charles Haralambos

 

A propos de l’argent…

Strange That Our Money Says: In God We Trust (Etrange que sur notre argent il soit inscrit que c’est en Dieu que nous mettons notre confiance).

P. Stephen Freeman

Il y a deux grands problèmes d’argent dans les Écritures : en avoir beaucoup ou bien trop peu. Le thème du pauvre est une constante dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Les pauvres ont tendance à être considérés comme des victimes – une proie facile pour les riches, souvent exploités et particulièrement aimés de Dieu. Dieu est le protecteur de la « veuve et de l’orphelin » et favorise clairement les pauvres. Pour les riches les paroles sont dures et contiennent de terribles avertissements. Les propres paroles du Christ concernant les riches et la difficulté de leur salut ont presque conduit les disciples au désespoir. Et pourtant, dans la culture moderne, la plupart des gens pensent que la richesse est la solution aux problèmes. La moitié de tous les billets de loterie en Amérique est achetée par le tiers le plus pauvre de la population.

Peut-être plus scandaleux est le fait qu’aujourd’hui, les riches jugent les pauvres comme étant insensés face à de tels comportements.

Le produit le plus remarquable de la modernité est la classe moyenne. En grande partie involontaire, de nombreuses composantes de la révolution industrielle ont servi à nourrir et à accroître la taille et l’importance de ceux dont le revenu dépassait leurs besoins avec une augmentation du marché des produits et des pratiques de luxe. Avec le temps, cette même classe a réussi à augmenter en nombre et à s’étendre éventuellement à l’ensemble de la population. Cette prospérité a entraîné un changement de perception de la richesse par la culture chrétienne. De fardeau suspect à partager, la richesse est devenu une marque de succès à apprécier.

À l’heure actuelle, notre culture a été tellement transformée par les idéaux du phénomène de la classe moyenne qu’elle est devenue synonyme de ce qui est « normal », « modéré », « standard » et « attendu ». Bien qu’il y ait des débats au sein de la classe moyenne sur la bonne façon de penser la classe supérieure et les super-riches, personne ne semble mettre en doute le caractère souhaitable ou normal de la classe moyenne elle-même.

Parmi les changements les plus marquants dans l’attitude chrétienne à l’égard de l’argent, on note l’évolution de la compréhension de la notion des intérêts débiteurs : on l’appelle classiquement « usure ». De nos jours, « l’usure» n’est utilisé que pour décrire des pourcentages scandaleux sur les fonds empruntés. À l’origine, toutefois, le terme « usure » désignait toute utilisation de l’intérêt sur les fonds empruntés. C’était une pratique interdite dans le christianisme à ses débuts, une violation des enseignements du Christ. Cela demeura le cas jusqu’au début de la Réforme, lorsque sa pratique modeste commença à être autorisée.

Avec la standardisation de la classe moyenne au sein de la conscience chrétienne est venue une standardisation des attitudes de la classe moyenne envers la richesse et la propriété. La notion de « propriété privée » est devenue inscrite dans la pensée chrétienne, remplaçant le concept de gérance (dans lequel tout appartient à Dieu et nous sommes tous responsables de notre utilisation des biens à notre disposition). L’individualisme, tel que nous le connaissons aujourd’hui, exige le monde de la classe moyenne comme norme: les pauvres ne peuvent tout simplement pas se permettre une telle indépendance. L’individualisme requiert également un sens aigu de la propriété privée pour que chacun de nous puisse prétendre être autosuffisant. Il se pourrait bien que la plus grande illusion de l’époque moderne soit celle associée à notre conscience économique.

Considérez ces mots du premier paragraphe de Saint-Clément d’Alexandrie : Qui est l’homme riche qui doit être sauvé ?

Ceux qui louent les riches, faisant ainsi semblant d’honorer les richesses qui, par elles-mêmes, ne méritent aucune louange, ne sont pas seulement de vils flatteurs, des esclaves lâches et rampants, ils sont des impies et des traîtres. Des impies : la louange appartient à Dieu, seul être bon et parfait, de qui tout vient, par qui tout existe, en qui tout réside ; elle lui appartient, il se l’est réservée, et ils l’en privent ! Ils font plus encore, ils la prostituent à des hommes livrés à la fougue de leurs passions, qui n’ont d’autre récompense à attendre de la justice divine que la punition de leurs crimes. Des traîtres : les richesses seules suffisent pour amollir, corrompre et détourner de la voie du salut ceux qui ont le malheur de les posséder ; les flatteurs le savent, et ils entretiennent les riches dans leur folie ; ils enorgueillissent leur orgueil, ils leur apprennent à tout mépriser, si ce n’est ces richesses, qui leur procurent tant d’honneurs. Ils ajoutent ainsi la flamme à la flamme, l’orgueil à l’orgueil, le poison de la flatterie au poison de l’or ; un poids déjà trop lourd qu’ils devraient alléger, ils l’aggravent ; une maladie dangereuse qu’ils devraient s’efforcer de guérir, ils la rendent mortelle et incurable. (http://remacle.org/bloodwolf/eglise/clementalexandrie/riche.htm)

Ainsi pour Saint Clément d’Alexandrie, la richesse est une « maladie dangereuse et mortelle !». Je me souviens d’avoir entendu quelqu’un dire à ce sujet: «J’aimerais pouvoir l’attraper!

Saint Clément n’est pas inhabituel dans son attitude envers l’argent. Il est représentatif de pratiquement tout ce qui a été écrit sur le sujet au cours des dix premiers siècles de l’ère chrétienne ou davantage. Comme le Christ, il mesure sa pensée par ce que l’argent (la propriété, etc.) fait à l’âme.

«Que gagne un homme à gagner le monde et à perdre son âme?» demande le Christ.

Ceci est dit en ce qui concerne l’argent et la propriété, en particulier, plutôt que simplement le «péché» en général. Il y a quelque chose à propos du couple l’argent /propriété qui a le pouvoir de corrompre complètement l’âme. Je pense que la clé se trouve dans l’aphorisme de Christ concernant « Mammon » (argent).  « Vous ne pouvez pas servir Dieu et Mammon ». La richesse a en elle un pouvoir qui nous entraîne dans l’idolâtrie. Nous commençons à placer notre foi et notre confiance en ce que la richesse peut faire tout en restant éloignés de Dieu. Dieu a peut-être une place de choix dans notre univers intellectuel, mais il vient en   seconde position par rapport à ce que nous désirons le plus.

Cela nous ramène au diagnostic sur l’argent de St Clément selon lequel il s’agirait d’une «maladie mortelle et dangereuse». Il n’est donc pas surprenant que la force dominante d’une culture laïque soit l’économie. La prétention d’autosuffisance du monde ne peut être maintenue que par les illusions créées par la richesse. L’agnosticisme et l’athéisme sont les religions des riches (ou de la classe moyenne). C’est une philosophie qui protège le pouvoir inhérent de leur position. J’ajouterais que le christianisme sécularisé peut être décrit comme un « athéisme chrétien ». Ceux qui contesteraient cette analyse en soulignant les révolutions communistes du siècle dernier ne remarquent pas que la classe dirigeante de ces régimes a rapidement adopté à la fois le pouvoir et la richesse de la classe qu’ils ont renversée. Une nouvelle classe dirigeante prétendait gouverner au nom des pauvres, mais son identification avec les pauvres n’était que nominale.

Historiquement, le groupe le plus important pour maintenir un semblant de santé mentale (en dehors des pauvres) était les moines de l’Église, bien qu’un certain nombre d’établissements monastiques soient en réalité devenus assez riches. Les batailles institutionnelles autour des biens monastiques ont presque toujours été remportées par ceux qui ont de l’argent (en Russie, les possédants ont triomphé des non-possédants et, en occident, les franciscains se sont suffisamment réconciliés avec la richesse pour passer sous le radar papal).

Pratiquement tous les arguments modernes concernant la richesse (certainement parmi les chrétiens) supposent que nous avons notre mot à dire, c’est-à-dire que la richesse nous appartient et qu’il est de notre responsabilité d’organiser et d’en disposer. Nous nous plaçons dans le domaine de la gestion et nous nous rapprochons d’un athéisme pratique de la sécularisation. Les pauvres manquent généralement de théories économiques.

La grande tragédie, cependant, est la perversion de l’Évangile dans lequel, en tant que gestionnaires, nous décidons de la meilleure façon de diriger le monde. Cela représente un changement radical d’abandon de l’Ancien et du Nouveau Testament. On dira sans doute que nous avons le commandement d’être de bons intendants et que la bonne gestion de la richesse est un commandement donné par Dieu. Jésus n’a pas proposé les paraboles du Royaume pour créer une classe moyenne responsable. Lorsque les administrateurs des paraboles se sont transformés en responsables de ce monde, l’enseignement du Christ a été apprivoisé et conçu pour servir le Prince de ce monde.

Quelles que soient nos idées sur le sujet, le paysage général est celui d’une certaine partie du monde qui  est totalement liée à la richesse et à la propriété. Les chrétiens qui vivent dans de telles sociétés continueront très probablement à trouver des moyens d’accommoder l’Évangile à l’environnement. Et ceci, je pense, est notre grande perte. Les administrateurs de ce monde constateront que le Royaume de Dieu n’est pas compatible avec leurs objectifs.

« Il a exalté les humbles et les doux, et les riches, il les a renvoyés vides. »

À mon avis, nous devrions rechercher une générosité persistante et résister à nos souhaits pressants d’accroitre nos possessions. Un moyen simple de renoncer à la richesse est de reconnaître** que nous ne possédons rien de propre, mais que nous n’utilisons nos biens que pendant une brève période. L’attitude chrétienne envers la richesse aux premiers siècles a menacé l’Empire dans ses fondements. L’Évangile n’a pas changé aujourd’hui.

 

https://blogs.ancientfaith.com/glory2godforallthings/2018/10/03/strange-that-our-money-says-in-god-we-trust/

 

**Commentaire effectué par un liseur du blog du P. Freeman : « Tout ce que je crois posséder appartient en fait à Dieu. Ainsi, je ne peux pas donner du pain à celui qui a faim. Le pain que je possède est à Dieu ; il n’est pas à moi. Et Jésus a dit que lorsque je donne à manger au pauvre, c’est au Christ que je donne à manger. Ainsi quand je donne du pain au pauvre, je ne fais que donner à Dieu ce qui Lui appartient »