Nous ne devons pas dire vous devez (We must not must: Archiprêtre Michael Gillis)
Que dois-je faire pour être sauvé ? C’est une question normale lorsque nous atteignons l’étape de notre voyage spirituel au cours de laquelle nous commençons à réaliser que quelque chose cloche, que quelque chose est faux entre moi et Dieu. C’est une question naturelle, mais c’est une mauvaise question, du moins selon l’archimandrite Emilianos de Simonopetra (monastère sur le mont Athos). L’archimandrite Emilianos affirme dans une conférence intitulée «La progression de l’âme» qui a été transcrite et traduite en anglais et qu’on peut trouver dans le livre, Le chemin de l’Esprit : Réflexions sur la vie en Dieu.
« Ainsi, le premier élément dont nous avons besoin lorsque nous entamons pour notre voyage (spirituel) est le sentiment d’exil »
L’archimandrite Emilianos concède un peu plus tard que des mots comme «sentiment» sont inexacts et peut-être trompeurs parce qu’ils sont des mots que nous utilisons habituellement pour décrire une vaste gamme de passions et de sensations : j’ai faim, je me sens triste, je sens un caillou dans ma chaussure. Cependant, il fait exprès d’utiliser un mot tel que «sentiment» parce qu’il veut souligner l’expérience réelle de la vie spirituelle par opposition à une spéculation métaphysique ou philosophique sur la vie spirituelle. Il compare le voyage spirituel à un parcours vers la boutique du coin. Vous savez ce que vous rencontrerez le long du chemin vers le magasin parce que vous l’avez déjà connu avant : vous l’avez vu, entendu, senti et vécu. L’Archimandrite Emilianos dit que c’est la même chose pour le chemin spirituel, sauf que vous ne l’expérimentez pas avec les sens physiques, mais vous l’expérimentez intérieurement. Et parce que l’on fait effectivement l’expérience de la vie spirituelle, le mot «sentiment» est un mot qu’il est adéquat d’utiliser pour commencer à décrire les expériences de la vie spirituelle.
Et cette première expérience, ou du moins celle qui nous amène à commencer volontairement le chemin spirituel, ce «premier élément» comme le dit Archimandrite Emilianos, c’est le sentiment d’exil, ce sentiment que tout n’est pas en règle entre moi et Dieu, qu’il y a en quelque sorte une barrière, un mur entre moi et Dieu.
«Devant nous se tient maintenant l’âme ébranlée, l’âme exilée, emprisonnée par quatre murs et incapable de voir quoique ce soit. Cette même âme, cependant, cherche à briser la barrière, à briser les murs dans lesquels elle se trouve, et elle cherche à vivre avec Dieu. Comment doit-elle procéder ? »
L’Archimandrite Emilianos pose la question en utilisant le verbe «doit» (devoir), puis il fait aussitôt la déclaration suivante :
«Ici, nous devons savoir que, contrairement à nos attentes, il n’y a pas de« doit » (devoir, obligation). Un tel mot n’existe pas dans la vie chrétienne. L’idée que quelque chose «doit» être, ou «doit» avoir lieu, est un produit de l’intellect; c’est quelque chose qui résulte comme une conclusion logique, une déduction basée sur quelque chose dans les Évangiles, ou que le Christ a enseigné dans ses paraboles, ou qui concerne ses enseignements éthiques pour faire ceci ou cela. Mais le mot «doit» n’a jamais poussé personne à faire quoi que ce soit. Au contraire, il vous fait vous sentir comme un esclave et vous décourage de progresser. La force du «doit» n’émeut ni Dieu, ni le cœur [humain]. Il ne concerne que la logique de la délibération humaine, l’endurance de la détermination humaine, qui, comme nous le savons tous, est quelque chose qui s’étiole et s’évanouit très facilement. »
Parce que le «doit» est un produit de la délibération humaine et de la détermination, il ne peut jamais fonctionner dans le domaine spirituel parce que le cœur humain est tellement faible. Ce dont je suis convaincu aujourd’hui et déterminé avec tout mon cœur à faire, peut changer en un instant. De nouvelles informations, des circonstances différentes, des relations changeantes, tout cela et davantage influencent nos cœurs et nos esprits. L’archimandrite Emilianos le dit ainsi :
«La chose la plus fragile dans le monde est le cœur humain, avec toutes ses délibérations et déterminations. Les traits que vous avez et que j’aime, je peux plus tard les haïr. Et les caractéristiques que vous avez et que je déteste maintenant peuvent plus tard faire que je vous aime. Je peux vous condamner, et en même temps proclamer que vous êtes la meilleure personne dans le monde. Je peux vous exalter jusqu’au ciel, et en même temps je peux vous souhaiter d’être en enfer. Je peux décider de devenir un saint, et au même moment je deviens un démon. »
Maintenant, je me rends compte que certains de mes lecteurs peuvent ne pas savoir que leur cœur est si changeant. Certains d’entre vous se disent peut-être : «Eh bien, je connais d’autres personnes qui sont inconstantes, qui ne respectent pas leurs engagements, qui n’ont pas la force intérieure ou la volonté de déterminer ce qui doit être fait et de s’en tenir jusqu’au but recherché. Mais moi je ne suis pas comme ça. »Pour ceux qui ont cette pensée, laissez-moi vous dire quelque chose que mon père spirituel m’a dit une fois. Il a dit que pour chaque péché que je vois chez les autres, si je suis capable de le voir c’est parce que le même péché existe en moi. Je peux ne pas exprimer le péché de la même manière, je n’ai peut-être pas eu, comme disent les détectives à la télévision, les mêmes «moyens, motivations et opportunités» que d’autres pour commettre de façon plus audacieuse et extérieure les péchés qui m’envahissent le cœur ; mais les péchés sont là néanmoins. Et si je suis prêt à demander à Dieu de me montrer les péchés dans mon cœur, soit dans ce cas, l’inconstance de mon cœur, de mon esprit et de ma volonté, Dieu sera probablement assez gracieux pour me les montrer. Les hymnes de l’Église nous enseignent qu’il est dangereux de dire avec le Pharisien : «Je ne suis pas comme les autres» (Luc 18, 11).
Mais pour l’Archimandrite Emilianos, l’inconstance ou le changement sont des caractéristiques de chaque cœur humain et esprit, c’ est pourquoi, pour lui, des mots tels que «doit» n’existent pas dans la vie chrétienne. Tout ce que je découvre sur la base de ma compréhension des manières ou principes ou «lois» de la vie spirituelle ne peut être appliqué de façon catégorique. Ni en ce qui me concerne et ni en ce qui concerne les autres. Cela ne signifie pas que nous ne découvrons pas des principes, des lois ou des lignes directrices pour la vie spirituelle, ni qu’ils ne peuvent être partagés avec d’autres. Ce que cela signifie, c’est qu’ils ne peuvent pas être appliqués, soit à moi-même ou à autrui, comme des contraintes, comme des «obligations ou devoirs» qui nous lient et nous asservissent. Quand on essaie de faire des progrès dans la vie spirituelle sous la contrainte des obligations (« on doit »), alors selon l’Archimandrite Emilianos, «cela fait que tu te sens comme un esclave et cela te dissuade de progresser».
Donc, s’il n’y a pas de «devoirs» dans la vie chrétienne, alors qu’est-ce que nous avons ? Comment pouvons-nous enseigner et nous guider sur le chemin spirituel ? Eh bien je pense que l’Archimandrite Emilianos dirait, que d’abord, il faut s’appuyer très humblement, avec prudence sur notre propre expérience réelle. Pour employer sa métaphore, c’est comme donner des directions pour aller à la boutique du coin. Si je n’y ai jamais été, alors je ferais mieux de garder la bouche fermée sur la façon d’y arriver, même si j’ai étudié toutes les cartes. Et si je sens que je dois parler, alors je dois parler avec attention, réalisant que beaucoup de ce qu’une personne éprouve effectivement le long du voyage ne sera pas communiqué par n’importe quelle carte. Et même si j’ai fait ce voyage moi-même une centaine de fois, il faut un grand soin pour donner les directions, car ce qui est pour moi un repère évident sur le chemin peut être complètement manqué par quelqu’un d’autre qui emprunte exactement le même chemin. Guider quelqu’un sur le chemin de son voyage spirituel vers Dieu est très semblable. Les points de repère de mon expérience avec Dieu qui se démarquent dans mon esprit comme les plus significatifs, peuvent ne pas être exactement les mêmes points de repère qu’un autre rencontre ou trouve significatif.
Il m’est arrivé à plusieurs reprises dans le cadre d’une conversation avec mon père spirituel ou une autre personne sage ou en lisant un livre d’un écrivain spirituel que j’ai eu le « déclic» le moment où j’ai réalisé que j’ai effectivement eu une certaine expérience intérieure que, à l’époque, je ne considérais pas significative. Mais quand j’entends ou lis quelqu’un d’autre parler de la signification de ce qui semble être la même expérience dans son voyage, alors je commence à réfléchir sur ma propre expérience et je commence à réaliser qu’il y avait en effet beaucoup plus de signification dans cette expérience que je n’avais déjà réalisé. Je ne l’ai pas vu, ou je n’ai pas remarqué son importance à l’époque. Comme marcher vers le magasin du coin, même si tout le monde prend exactement le même itinéraire, tout le monde est susceptible de remarquer les repères différents et d’apprécier les différents sites, odeurs et sons le long du chemin. C’est pourquoi «doit» est un mot si dangereux dans notre vocabulaire spirituel.
J’aimerais terminer aujourd’hui en soulignant que le «doit» peut être communiqué sous de nombreuses formes sans réellement dire le mot «doit». D’une manière générale, le mot «devrait (ou bien vous devriez», surtout dans le contexte de l’orientation spirituelle, porte la même force que «doit»)… C’est devenu une sorte de carton rouge pour moi, ce mot «devrait». Dès que j’entends les mots «vous devriez» se formant dans mon esprit, moi-même ou à d’autres, je le considère comme un signe que j’ai probablement cessé d’avoir une inspiration spirituelle réelle ou une orientation utile, et que je suis probablement en train de m’appuyer sur ma propre analyse rationnelle, mes propres déductions et conclusions. Quand je commence à entendre le mot «devrait» dans mon esprit, alors je me dis, «puisqu’il s’agit du conditionnel devrait », il vaut mieux probablement arrêter maintenant. Il faut se taire et prier.
Je ne le fais pas toujours. En fait, je ne me tais pas autant ou aussi vite que je le voudrais. Parfois, l’analyse rationnelle est tout ce que je possède ou tout ce que je semble avoir. Et quand c’est le cas et que les circonstances sont telles que je me sens obligé de dire quelque chose, alors je fais de mon mieux pour prononcer mes mots aussi librement que possible. Je ne veux pas que mon enfant spirituel ou qui que ce soit et qui vient à moi pour obtenir des conseils, se sente pris au piège, se sente asservi, ou se sent comme s’il devait faire ce que je lui dis ; p arce que s’il se sent prisonnier et esclave, parce-que dans ce cas, et selon l’Archimandrite Emilianos, il ne va pas aller de l’avant, il restera bloqué où il est. Le progrès dans la vie spirituelle, dans la vie chrétienne avec Dieu, ne se fait que dans la liberté, seulement lorsque nous apprenons «à agir et à avancer sur la base … d’une sorte de vision, c’est-à-dire sur la base de la perception intérieure de l’âme et un sentiment pour ces choses ». Quand nous agissons de cette façon, il n’y a pas de «doit-obligation ». Il n’y a que des repères établis par ceux qui nous ont précédés, en fait des conseils de voyageurs (spirituels) chevronnés, ceux que nous appelons nos pères spirituels et nos mères.
Source:http://www.pravmir.com/must-not-must/