DE LA PEUR A L’ESPERANCE
Nul de ce qui est fait de chair et de sang n’ignore la peur. Celui qui affirme qu’il n’a pas peur alors qu’il ne connait pas Dieu ne dit pas la vérité. Ou bien il se trompe lui-même ou bien il fanfaronne. Sans la connaissance de Dieu, la peur s’installe, il n’y a pas d’autre possibilité… La peur est la marque de l’homme déchu. Mais qu’est-ce que la chute (de l’homme) ? La chute est la rupture de toute relation avec Dieu et le recentrement de l’homme sur lui-même comme s’il était lui-même dieu et comme s’il portait la vie en lui (comme s’il était la source de sa propre vie).
Mais Dieu n’a pas abandonné l’homme ; s’il l’avait abandonné, l’humanité aurait disparu. Loin de Dieu, sans relation existentielle (au plus profond de soi) avec Dieu, l’homme n’a aucune assurance (aucune garantie). De là découle que la peur vient d’un profond ressenti d’insécurité qui ne peut être écarté que par l’amour uniquement. Seul l’amour de Dieu chasse la peur. D’où la sentence : Si vous n’avez pas la foi vous n’aurez pas l’assurance (ou bien : vous n’aurez pas de garantie sur le chemin de la vie N.d.T.).
C’est pourquoi les postures prises par les hommes sont en réaction à la peur ancrée profondément dans sa nature, et tout comportement est une tentative de fuir cette peur profonde…mais sans résultat tangible. La face visible de l’homme n’est pas la vie de son être profond. Il ne se connait pas réellement. Ce qu’il s’imagine être n’est pas vraiment lui. Il n’est pas étonnant que l’adage des anciens soit : connais-toi toi-même. Ses désirs et ce que les autres suggèrent délimitent son image. Ce qu’il pense être diffère de ce qu’il est réellement, et alors ou bien il tombe dans l’illusion ou bien la vérité de son état s’impose et il tombe dans le désespoir. Le problème n’est pas simplement psychologique. La psychologie, généralement, et dans ce généralement on entend par la psychologie selon ce monde (déchu) ne prend pas en compte la vie spirituelle ni le pêché. La psychologie ne prend en compte que les conséquences du pêché et ne se préoccupe pas des racines du pêché. Les écoles de psychologie dépendent donc de la vision qu’ont leurs fondateurs de l’âme humaine et ne peuvent traiter avec succès les maladies ; elles se contentent d’atténuer les manifestations des maladies de l’âme (…) Tout traitement qui ne tient pas compte de la vie spirituelle de l’âme mène à l’échec…
C’est la peur pour soi qui est à l’origine de l’égoïsme. Au fond de lui-même l’homme se sait exposé, menacé. C’est pourquoi son souci est de se protéger, de se défaire de son angoisse, et de se sentir en sécurité. Obéir à ses passions est un traitement corrompu qui aggrave le mal(…) C’est parce-que l’homme a peur qu’il se recroqueville sur lui-même. Il pense ainsi se protéger des autres et des dangers extérieurs, mais le danger ne vient pas de l’extérieur. Même si l’homme élimine tous ses ennemis extérieurs et met fin à toute menace qui vient du dehors il ne trouvera pas la tranquillité pour autant. C’est parce-que la menace est intérieure. La bonne équation n’est pas « élimine ton ennemi et tu seras tranquille » mais élimine ta peur et ton ennemi sera ton prochain et la terre ton paradis. Ce dont ne sont pas conscients ceux qui sont incrustés dans la peur et qui ne comptent pas sur Dieu c’est que leur peur les pousse à détruire le monde et par suite à se suicider pour fuir leurs propres personnes (pour fuir d’eux-mêmes). C’est uniquement lorsqu’une personne se libère de sa propre peur qu’elle peut s’aimer elle-même pour ce qu’elle est et qu’elle peut mettre en pratique le commandement d’aimer son prochain comme soi-même. Mais lorsque la peur est enfouie au plus profond de soi-même, alors l’amour de soi-même est un repli sur soi même si des relations sociales sont bien établies…et cette peur est comme une corde attachée au cou d’un animal qui la serre davantage au fur et à mesure qu’il tente de s’en défaire…
Cependant il y a un aspect positif sur la plan social concernant la peur : la crainte de la sanction (lorsque l’on enfreint la loi) et le développement du sens civique. Les lois ont été établies pour assurer la tranquillité à la société humaine. Il en résulte les droits civiques, les droits de l’homme etc. Parce- que chaque personne a le droit de vivre en paix et au bien-être. Alors que la société s’applique à pratiquer cette vérité quelle que soit le sens qu’on lui donne, la loi veille à ce que personne ne porte atteinte aux droits des uns et des autres, sinon une sanction est appliquée. La crainte de la sanction met une limite et la crainte pour les droits civiques encourage les gens à veiller sur le bien-être général dans le cadre de la loi et de l’ordre de la société, non pas tant parce-que l’on serait porté à protéger les droits des autres mais parce-que cela protège également nos droits individuels. Ce souci pour soi dans le cadre du droit peut constituer une incitation à avoir un degré élevé de conscience civique et la société dans son ensemble peut alors fonctionner de façon exemplaire. Cela arrive dans le meilleur des cas. Mais il peut arriver que les paroles sur l’état de droit soient un slogan creux ou presque. Quoiqu’il en soit, la loi et l’ordre de la société, en cas de crises majeures, subissent des dysfonctionnements et la loi de la jungle peut en découler, alors chacun ne compte plus que sur soi-même lorsque les lois ne sont plus appliquées.
Si la loi en société est un bon cadre pour assurer les droits civiques individuels, la vie personnelle de chacun reste en dehors de ce cadre général et l’âme humaine reste une place ouverte à la dynamique de la peur et aux réactions qui s’en suivent. Pour échapper à l’angoisse, l’homme peut devenir brutal comme il peut devenir la proie de maladies psychiques. Il peut alors se laisser aller à des actions excentriques comme par exemple mettre en danger sa vie pour montrer qu’il peut vaincre sa peur. Ou alors il peut laisser libre cours à ses pulsions sensuelles pour surmonter les tabous ou les obstacles qui seraient à l’origine de son état angoissé. Ou encore il peut s’adonner aux drogues pour oublier et expérimenter des états de jouissance et d’insensibilité ou encore d’autres pratiques ou techniques (….) pour croire qu’il peut par lui-même se dépasser soi-même, se débarrassant ainsi de ses angoisses et atteignant des états élevés…Tout cela n’est que désordre et brouhaha dans les ténèbres intérieures de l’âme Ce qui provient des ténèbres ne peut être que ténèbres (…)
Pour vaincre la peur il n’y a qu’un seul remède : l’amour de Dieu. Les ténèbres de l’âme ne peuvent être dissipées que par la lumière Divine. Notre Dieu a laissé la peur dans l’homme mais Il n’a pas abandonné l’homme. Ce que l’homme a entraîné pour lui-même, Dieu a voulu dans Son amour qu’il devienne instrument de sanctification et de salut éternel. Au début, l’homme ne s’écoutait surtout que lui-même. La voix de la peur est devenue résonante et violente…Adam et Eve ont fui la face de Dieu. Caïn a également pris la fuite. Et Abel le fidèle est mort. Mais Dieu a continué à appeler l’homme. Il est venu continuellement à lui, mais discrètement, comme une brise légère. A comparer avec le grondement des tempêtes ! La voix de Dieu est devenue une voix dans la conscience, à l’intérieur. Dieu n’est pas apparu à Elie dans la tempête, ni dans un tremblement de terre…Cette brise légère est le souffle créateur de l’homme, c’est ce souffle qui l’a gardé dans les pays lointains, dans son exil loin de son Père céleste. Et depuis ce temps, le pêché agit à l’intérieur de l’homme, le pêché agit par la peur dans son for intérieur, mais Dieu agit également. Mais pour que le souffle de Dieu agisse en l’homme il est nécessaire que l’homme soit au bord du désespoir, qu’il désespère de son état. La peur existentielle dans l’homme le conduit au bord du désespoir. L’Esprit n’a agi avec le fils prodigue que lorsqu’il a désespéré de ce qu’il était devenu et de lui-même, ce qui est traduit par le fait qu’il donnait de la nourriture aux cochons alors que personne ne le nourrissait. Alors tous les espoirs qu’il avait se sont évanouis et le désespoir s’est installé. Ou fuir ? Il s’est dit : je retourne chez mon père ! Ainsi de son désespoir de lui-même a jailli l’espérance en Dieu ! La foi s’est installée en lui et son état est devenu tel que l’Esprit de Dieu est entré en lui. Et ce fils d’Adam s’est transformé (« métanoïa »). Il s’est repenti. Au commencement, avant la chute, l’homme était susceptible de s’éloigner de Dieu. Mais à présent, quand il est au bord du désespoir, le fils prodigue se donne entièrement à Dieu. C’est pourquoi son père le revêt de son vêtement du début (celle d’avant la chute), le vêtement de la grâce accordé pour la divinisation, préparé de toute éternité. Et son père a mis un anneau à son doigt, et les sandales de l’adoption à ses pieds alors qu’il était pieds nus comme les esclaves…Il a atteint le but !
Tel est le cheminement pour le retour (vers Dieu) : désespérer de soi-même, sensation de perte totale avec perte du sens qui équivaut au sentiment très profond de n’être que terre et poussière, puis un retournement (repentir) du fond des entrailles suivi de la sensation de la miséricorde du père, ensuite retour vers le père en se sentant indigne : « Je ne suis pas digne d’être appelé ton fils mais traite moi comme un de tes serviteurs ». C’était l’instant qu’attendait le père depuis le début. C’est ainsi que l’homme peut sortir dans tout son être de son existence sombre, des ténèbres de la mort à la lumière du Christ afin que s’établisse en lui la paix du Christ pour l’éternité : « Je suis…n’ayez pas peur…je suis avec vous jusqu’à la fin des temps ». Deux fois le fils d’Adam a vu la lumière ; la première fois c’est lorsqu’il a été créé et ensuite lorsqu’il s’est repenti…La première fois il a été créé du limon de la terre et la deuxième fois à partir de Son Esprit. Que le Nom de Dieu soit béni !
Source: Archimandrite Touma (Bitar). http://holytrinityfamily.org/niqat.php?var=OJ623OVq6ARjmPKEEE1Wo-CeQGPSmG-a7sd2eedNZ5k