LOPEZ: En quoi les problématiques des orthodoxes différent de celles qui sont typiques de la théologie occidentale ?
MATHEWES-GREEN: Un bon exemple est la question de la façon dont le Christ nous sauve; comment sa mort sur la Croix se rapporte à nos péchés? L’avis de l’église primitive (qui a été maintenu dans l’Orient) est que Christ est mort pour aller dans le royaume de la mort et vaincre le mal. C’est analogue en ce sens à l’Exode d’Egypte ; nous sommes sauvés et rachetés de la captivité. Comme pour le pardon, le Père pardonne nos péchés gratuitement. Mais au XIe siècle, une idée a surgi en Europe à savoir que le Père devait recevoir un dédommagement de quelque sorte avant qu’il ne puisse nous pardonner. Dans ce cas, la mort de Christ a rétabli l’honneur blessé du Père, et il a remboursé le Père de la dette pour nos péchés, et il a accompli la punition pour nos péchés ; il y avait beaucoup de théories différentes. Cela a été une source de désaccord pendant mille ans dans l’Occident, mais la question n’a jamais été soulevée dans l’Orient chrétien. L’orient chrétien croit encore que le Père pardonne nos péchés gratuitement, et considère la mort et la résurrection de Christ comme une opération de sauvetage.
LOPEZ : Et à propos de la souffrance, vous écrivez que cela implique la question de savoir pourquoi il y a la souffrance dans le monde, et en particulier pourquoi les innocents souffrent. Ceci est un mystère qui tourmente l’Occident, aussi bien les chrétiens que les non-chrétiens. Cependant (et il m’a fallu plusieurs années pour remarquer cela) dans l’orthodoxie ça ne se présente pas ainsi. Les chrétiens orthodoxes souffrent autant que les gens ailleurs, et ils s’affligent aussi profondément. Mais il n’y a pas la confusion et de l’amertume à ce sujet qui infecte les discussions dans l’Ouest. Il m’a fallu un certain temps pour saisir pleinement la raison. Vous pointez une barrière de la langue. Cela peut-il être traduit en action ? Dans la Croix ? Que pensez-vous que les chrétiens occidentaux ne perçoivent pas ?
MATHEWES-GREEN : Plus loin dans le livre j’aborde cela plus en détail. Ce n’est pas vraiment une barrière de la langue. Il y a le fait que les orthodoxes croient que le diable est réel, et qu’il hait l’humanité. Il est celui qui provoque la souffrance. En particulier, il est la cause de la souffrance des innocents, et cela lui fournit une « double récolte », à la fois il y a ceux qui souffrent et ceux qui assistent impuissants à aider. Dans l’une des paraboles de Jésus, quelqu’un trouve qu’un ennemi a semé de l’ivraie parmi son blé, et il dit, « c’est un ennemi qui a fait cela». Voilà ce que croient les orthodoxes sur la souffrance – c’est un ennemi qui a fait cela. Mais nous croyons aussi que nos péchés contribuent à la brisure de ce monde, et font de nous des alliés du malin. Le péché est la condition dominante de la cassure dans le monde, le péché est omniprésent et débilitant, il est comme la pollution de l’air. Nous contribuons tous au péché, et nous souffrons à cause du péché. C’est la raison pour laquelle les orthodoxes sont tellement sérieux au sujet de la lutte contre la tentation et pour la résistance au péché. C’est parce que le péché nous empoisonne, il déforme notre pensée et empoisonne nos esprits, et ses effets néfastes se déversent vers ceux qui le méritent le moins. Nous luttons contre le péché afin que nous puissions être guéris spirituellement et porter la lumière du Christ.
LOPEZ : En ce moment, comme beaucoup d’orthodoxes et d’autres chrétiens d’Orient souffrent la persécution d’une manière particulièrement intense, est-ce que la compréhension de ces différences (entre chrétiens) est-elle cruciale ?
MATHEWES-GREEN : Je n’ai pas écrit ce livre avec cet aspect comme objectif ; Je voulais juste présenter cette forme de christianisme à des gens qui ne sont pas familiers avec elle. Mais elle nous aide à comprendre et à nous identifier avec nos coreligionnaires subissant la persécution au loin. Plus nous voyons les chrétiens persécutés comme véritablement nos frères et sœurs, plus nous sommes enclins à les aider et à prier pour eux, et plus nous nous préparons pour le moment où nous serons nous-mêmes mis à l’épreuve.
LOPEZ : Est-ce que votre paroisse a des attaches particulières avec une paroisse dans le Moyen-Orient ou bien vous ressentez une urgence particulière dans la prière et le service ?
MATHEWES-GREEN : Pas dans un sens officiel, mais nous avons beaucoup de liens d’amitié avec le village chrétien de Taybeh, et la famille Khoury qui produit Taybeh Beer (une bière). Les américains d’origine arabe font un accueil merveilleux pour ceux qui se convertissent à l’orthodoxie.
LOPEZ: Dans quelle mesure votre paroisse de fiction de sainte Félicité est comme la vôtre qui vous est propre ?
MATHEWES-GREEN : Elle est très semblable si on considère comment les choses sont disposées à l’intérieur du bâtiment de l’église ; ce qui a été d’une grande aide dans la rédaction. En termes de nombre de personnes dans la congrégation, il en est comme beaucoup d’églises où je suis allé aux États-Unis et à l’étranger, mais il y a d’autres églises qui perdent leurs membres et se réduisent aux membres âgés. Je pense que cela se passe dans de nombreuses paroisses, puisque la jeune génération ne voit pas de raison de se s’intéresser à l’église. D’autre part, il y a des paroisses comme la mienne où il y a beaucoup de convertis, beaucoup de jeunes, et beaucoup de bébés. Entre parenthèses, j’ai fait une courte vidéo de huit minutes sur des extraits de la Semaine Sainte et de Pâques 2014, qui montre avec couleurs ce que je décris.
LOPEZ : Qu’est-ce qui vous a amené vous et votre époux au séminaire ?
MATHEWES-GREEN : Il s’agit d’une histoire drôle. Nous nous sommes rencontrés à l’université au début des années 70 et nous étions deux non-chrétiens ; anti-chrétiens serait plus précis, en fait. Dans sa troisième année à l’université (senior) mon mari a été chargé de lire un Evangile pour son cours de philosophie, et, ce faisant il a trouvé la figure du Christ saisissante. Je me suis inquiété, et je l’ai mis en garde contre le fait de devenir un «fervent de Jésus ». Nous avons tous les deux continué à penser que toutes les religions sont pareilles, et nous trouvions le christianisme enfantin en comparaison avec les religions les plus matures comme le bouddhisme et l’hindouisme. Mon mari a trouvé que les théologiens libéraux «démythologisaient» (l’approche chrétienne) et ouvraient une issue pour l’étude de la théologie chrétienne, parce qu’ils disaient que Jésus était un grand maître, et qu’il n’a pas fait de miracles ou ressuscité des morts. Donc, il a passé une année au séminaire, et quand nous nous sommes mariés, j’espérais entrer dans une formation de cinéma dans une école voisine. (Mon objectif était de devenir critique de cinéma, il est amusant que j’écris aujourd’hui des critiques de films pour la revue National Review). Mais quand l’école de cinéma n’a pas marché, j’ai pris une décision impulsive d’aller au séminaire aussi. C’était au cours de ce semestre que nous avons rencontré d’autres étudiants qui connaissaient Jésus d’une manière personnelle et vivante. Après l’obtention du diplôme, mon mari a été ordonné dans l’Eglise épiscopale, et j’ai prévu d’attendre un couple d’années avant de demander l’ordination (l’ordination des femmes était alors nouvelle, et les évêques désireux d’ordonner des femmes étaient rares). Mais lorsque j’ai vu qu’être pasteur était un travail difficile j’ai décidé que ce n’était pas pour moi. Je ne suis pas courageuse.
LOPEZ : En quoi la vie de la femme d’un pasteur est différente ?
MATHEWES-GREEN : J’ai grandi en tant que catholique romaine, donc je n’ai jamais vu une femme de pasteur ; c’est un rôle dont je ne sais rien. Quand j’étais au séminaire, cependant, les autres épouses au séminaire parlaient des attentes difficiles qu’elles seront amenées à confronter, et des commérages et du jugement auxquelles elles devront faire face. Je suis reconnaissante de ne pas avoir eu à subir une telle expérience, et j’étais libre pour essayer d’être une épouse d’un membre du clergé à ma façon. Au fil des années, j’ai trouvé ce rôle réjouissant, et j’en fais tout le crédit à mon mari. Il est un pasteur né. Les paroissiens l’aiment, se tournent vers lui et le suivent. Je pense qu’il est très significatif que beaucoup de ses paroissiens au cours des années ont décidé de devenir pasteurs eux-mêmes. Donc, je ne peux pas dire que j’ai souffert des attentes que les gens ont de la femme du pasteur, mais je pense que c’est parce que je me suis marié un pasteur qui est aimé par ses paroissiens. Lorsque nous nous préparions à entrer dans l’orthodoxie, je me demandais s’il y avait des attentes spéciales pour la femme d’un pasteur et que je ne connaissais pas. Dans l’orthodoxie, l’épouse d’un prêtre a un titre honorifique (comme presbytera en grec, khouria en arabe) et est considérée comme partageant la pastorale de son mari. Donc, je me suis inquiété au sujet des attentes inconnues. J’ai demandé à une russe matouchka (femme de prêtre) s’il y avait quelque chose que les gens attendent que je fasse dans la paroisse, et elle ne comprenait pas ce que je demandais. Quand elle a finalement compris elle a dit, « Soyez juste une chrétienne ! Juste pries et sois chrétienne ! »
LOPEZ : Vous écrivez : «Je ne devrais pas le dire, mais le malin est vraiment mauvais ». Pourquoi le dites-vous de toute façon ?
(A suivre)
Source : http://www.nationalreview.com/article/419718/orthodox-way-knowing-god-nr-interview
Kathryn Jean Lopez est senior fellow à l’Institut National Review et éditeur (at large) de la National Review Online.
Frederica Mathewes-Green est une orthodoxe américaine. (Voir : https://en.wikipedia.org/wiki/Frederica_Mathewes-Green)