Le mariage comme une épreuve pour la vie
Le titre en anglais est « Marriage as a Lifetime of Suffering » pourrait être traduit également par « Le mariage comme une vie de souffrance » mais le terme souffrance est trop négatif en français. Cet article est écrit par un prêtre orthodoxe aux Etats-Unis et le contexte est celui d’un milieu dominé par les églises protestantes. Cependant la réflexion proposée est valable pour ailleurs.
Fr. Stephen Freeman
Quand les couples viennent chez les pasteurs pour leur parler de leurs cérémonies de mariage, les pasteurs pensent qu’il est intéressant de leur demander s’ils sont amoureux l’un de l’autre. Mais quelle question stupide ! Comment pourraient-ils savoir s’ils s’aiment ? Le mariage chrétien n’est pas de savoir si vous êtes amoureux. Le mariage chrétien consiste à vous exercer à la pratique de la fidélité durant toute la vie de sorte que vous pouvez regarder en arrière sur votre mariage et l’appeler amour. Il s’agit d’une discipline exigeante sur de nombreuses années. – Stanley Hauerwas
(Stanley Hauerwas, né le 24 juillet 1940 à Dallas, est un théologien méthodiste et professeur de droit américain, spécialiste des questions d’éthique. Wikipédia)
Il n’y a pas de problèmes dans le monde moderne qui semblent faire pression sur l’Eglise avec autant de force que ceux concernant le sexe et le mariage. La soi-disant révolution sexuelle a grandement réussi à changer radicalement la façon dont notre culture comprend ces deux questions. Puisant dans un ensemble très sélectif (et parfois contradictoire) d’arguments politiques, sociologiques et scientifiques, les adversaires de la tradition chrétienne mettent la pression pour une réforme radicale qui porte toutes les caractéristiques d’une révolution. Et ils ont le vent en poupe.
Ceux qui tiennent les défenses se décrivent comme étant les gardiens du mariage. Cela est profondément inexact. Le mariage, en tant qu’institution a baissé les armes il y a quelque temps déjà. Les batailles d’aujourd’hui ne concernent pas tant le mariage que le partage des dépouilles de sa destruction. Il est trop tard pour défendre le mariage. Plutôt que d’être défendu, le mariage doit être enseigné et vécu. L’Eglise doit être prête à devenir le lieu où se réalise cet enseignement ainsi que l’endroit qui peut soutenir les couples qui luttent pour vivre cet enseignement. Heureusement, l’héritage spirituel de l’Église offre tous les outils nécessaires à cette tâche. Il ne lui manque que les gens qui sont prêts à s’engager.
Les lois sur le mariage étaient autrefois le cadre juridique d’une culture chrétienne. Bien que les Lumières et la Réforme soient passées par là, le cadre général du mariage est resté intact. L’Eglise, dans de nombreux pays, en particulier ceux de tradition juridique anglaise, a agi comme un bras de l’État alors que l’Etat a agi pour défendre l’idéal chrétien du mariage. Comme Hauerwas l’a noté dans la citation d’ouverture, le mariage en tant qu’institution n’a jamais traditionnellement mis l’accent sur l’amour romantique : il se basait sur la fidélité, la stabilité, la paternité et le devoir envers la famille. Dans le rite traditionnel du mariage occidental on n’a jamais demandé à un couple, « Est-ce que vous vous aimez ? » Ce qui était demandé c’est : « Promettez-vous de vous aimer mutuellement?» Cette simple promesse était l’une parmi d’autres comme celle-ci :
Veux-tu que prendre cette femme comme épouse et vivre ensemble selon les commandements de Dieu dans le saint état du mariage ? Veux-tu l’aimer, la réconforter, l’honorer et veiller sur elle qu’elle soit malade ou en bonne santé ? Et quittant tous les autres, tu t’attaches à elle aussi longtemps que vous êtes en vie ?
Ou encore ceci :
Moi (nom) je te prends (nom) comme époux (épouse), afin d’avoir et de tenir à partir de ce jour, pour le meilleur et pour le pire, dans la richesse et la pauvreté, dans la maladie et dans la santé, à t’aimer et à te chérir, jusqu’à ce que nous soyons séparés par la mort; selon la sainte ordonnance de Dieu, ici même je t’en fait serment.
De toute évidence, l’intention première de ces promesses était la fidélité en toutes circonstances au cours de toute une vie. Les lois qui encadraient le mariage servaient à faire respecter cette promesse et à rendre difficile qu’il en soit autrement.
Le divorce était difficile à obtenir – de longues périodes d’attente étaient requises et des conditions très spécifiques devaient être remplies pour l’accorder. Les églises ont rendu le remariage assez difficile. Les obligations envers les enfants ont été très bien définies et elles ont été fondées sur les droits parentaux et les obligations (biologiques). En effet, il y avait un grand ensemble assez compliqué de lois sur la famille que la culture de l’époque rendait favorable au mariage à chaque fois.
Bien sûr, rien de tout cela n’aurait eu un avantage quelconque s’il ne traduisait pas également un consensus culturel. Contrairement aux dictons populaires, la morale peut en effet être légiférée (les lois ne font presque rien d’autre). Mais les lois morales sont vécues comme une oppression si elles ne sont pas en accord avec le consensus moral d’une culture. Les lois qui défendaient le mariage étaient elles-mêmes un consensus culturel : les gens estimaient que ces lois étaient intrinsèquement justes.
Accessoirement il doit être précisé aussi que les lois régissant le mariage et la propriété étaient souvent au désavantage des femmes – ce qui est une question que je ne vais pas aborder dans le présent article.
Le consensus moral sur le mariage a commencé à se dissoudre en Occident principalement dans la période qui a suivi la seconde guerre mondiale. Il existe de nombreuses causes qui ont contribué à cet effondrement. Ce que je considère comme le principal coupable est la hausse rapide de la mobilité professionnelle (en particulier en Amérique) ce qui a détruit la stabilité de la famille au sens large (c’est-à-dire les cousins, oncles, tantes, grands-parents…) et a réduit la vie familiale à la cellule familiale proprement dite.
Le premier coup juridique majeur asséné à cet arrangement traditionnel a été la promulgation de la loi accordant le divorce en l’absence de torts (par consentement mutuel), il n’était plus nécessaire de donner des raisons pour obtenir le divorce. Il est à noter qu’une telle loi a été d’abord adoptée en Russie au début de 1918, peu de temps après la révolution bolchevique. L’objectif (comme indiqué dans Wikipedia) étant de «révolutionner la société à tous les niveaux ». Cette expérience a ensuite connu des révisions importantes. Le premier État à promulguer de telles lois aux États-Unis était la Californie en 1969. Ces lois sont depuis devenues la norme à travers tout le pays.
Ces changements dans la loi sur le mariage ont été accompagnés par une évolution de la signification culturelle du mariage. De l’obligation antérieure d’une union presqu’indissoluble, le mariage s’est transformé en un accord contractuel entre deux personnes pour leurs propres buts. Selon une étude de 2002, à 44 ans, environ 95 pour cent de tous les adultes américains ont eu des rapports sexuels avant le mariage. À tous égards, nous pouvons dire que pratiquement tous les Américains ont eu avant la moitié de leurs vies des relations sexuelles en dehors du mariage.
Ce sont des raisons claires pour comprendre qu’il est bien tard pour prendre la «défense du mariage». La Tradition est devenue chose du passé. Mais rien de tout cela ne permet de conclure que la Tradition était quelque chose d’erroné et de faux.
Bien sûr, il y a beaucoup de « reliquats » du mariage chrétien traditionnel. La plupart des gens pensent encore que le mariage est pour la vie, mais ils craignent quelque part qu’ils n’auront pas cette chance… Même les couples de même sexe professent un désir d’engagement pour toute la vie.
Cependant tous les sentiments qui accompagnent ces engagements pour durer toute la vie ne sont juste que des sentiments. Ils ne sont pas fondés sur les raisons les plus évidentes pour que des relations durent toute la vie. Plutôt, ils appartiennent au genre des contes de fées : «nous allons vivre heureux pour toujours ».
Le mariage chrétien classique appartient au genre du martyre. Il est un engagement jusqu’à la mort. Comme le note Hauerwas: la fidélité au cours d’une durée de vie définit ce que signifie aimer quelqu’un. C’est à la fin d’une vie marquée par la fidélité que l’on peut dire de quelqu’un « il aimait son épouse » (ou qu’elle aimait son époux).
Certains ont commencé à écrire sur la soi-disant « Option Benoît, » [en anglais : Benedict Option. Cela exprime l’idée que ceux qui veulent vivre selon la morale traditionnelle doivent se séparer dans une certaine mesure des courants dominants dans la société et vivre dans des communautés ou par petits groupes]. Cette notion a été introduite par Alasdair MacIntyre dans son livre, « After Virtue ». Il compare la situation actuelle à celle de l’effondrement de l’empire romain d’Occident (qui était chrétien à ce moment) – cette période étant qualifiée d’âge obscurantiste. MacIntyre note que la civilisation chrétienne n’a pas été édifiée à cause de conquêtes majeures ou par la force des législations, mais grâce à la persévérance des petites communautés monastiques et des villages chrétiens du voisinage de ces communautés. C’est ce modèle qui a marqué la propagation de la civilisation chrétienne depuis des siècles dans de nombreux endroits en Orient comme en Occident.
Il est clair que l’option législative est depuis longtemps discutable. Lorsque 95 pour cent (estimation basse) d’une population se livre à des rapports sexuels en dehors du mariage, aucune législation de type traditionnel n’est susceptible de changer les choses. La grande question qui se pose est de savoir si un tel raz de marée culturel va inonder l’enseignement de l’Eglise et le rendre inopérant- cet enseignement n’étant plus qu’un témoin canonique d’une époque révolue, reconnu peut-être dans la confession individuelle, mais qui n’a rien à voir avec les choix quotidiens (ce qui est déjà le cas dans de nombreux endroits).
« L’Option Benoît » ne peut être jugée que sur une longue durée sans doute à la grande consternation de notre époque toujours pressée. Mais, comme on l’a déjà souligné, les éléments requis sont déjà largement en place. Le rite du mariage (pour les Églises qui refusent les erreurs de notre époque) reste attaché à la notion de l’union à vie d’un homme et d’une femme avec l’objectif clairement défini de fidélité. Les canons qui traitent de ces mariages restent inchangés. Ce qui manque est l’enseignement et l’acquisition des vertus nécessaires pour vivre le martyre du mariage.
La culture moderne insiste sur le fait que la souffrance est indésirable et qu’il faut y remédier. Nos moyens sont consacrés à mettre fin à la souffrance et non à la supporter. Bien sûr, le mythe respectable de la modernité est que la souffrance peut être éliminée. Ceci n’est ni vrai ni souhaitable. Les vertus de patience, d’endurance, le sacrifice, l’altruisme, la générosité, la bonté, la constance, la fidélité, et d’autres qualités sont impossibles sans la présence de la souffrance. La foi chrétienne ne s’oppose pas au soulagement de la souffrance, mais elle n’en fait pas une condition nécessaire pour l’acquisition de la vertu. Le Christ est tout à fait clair : nous souffrirons tous. C’est ce qui se passe dans la société des hommes où toute bonne action résulte de la souffrance volontaire d’une personne ou d’un groupe de personnes. Tout ce qui est bon dans nos s’enracine dans la grâce d’actions héroïques.
En l’absence de mariages stables qui durent toute une vie et marquées du sceau de l’abnégation, toute discussion sur le sexe et la sexualité est réduite à des abstractions. Ce qui joue en faveur de la famille traditionnelle actuellement est le chaos et le dysfonctionnement engendrés par l’absence de la famille traditionnelle. Aucun arsenal de lois ou de programmes sociaux ne pourra réussir à remplacer la plus naturelle des traditions humaines. La corrosion sociale que reflètent nos prisons surpeuplées, le grand nombre de naissances hors-mariage (40% de la population) et des constats de même type, tout cela permet de prévoir une baisse de la civilité au niveau basique. Cela fait quelque temps déjà que nous sommes entrés dans « des âges d’obscurantisme ». « L’Option Benoît » est en place. Cette option est dans votre paroisse et dans votre mariage. Chaque jour qui passe et où vous réussissez à rester fidèle à votre conjoint et à vos enfants est un exploit remarquable rempli de la grâce de Dieu.
Nous ne sommes pas certains que l’option va réussir comme remède pour notre société. Ce sont des choses qui sont dans les mains de Dieu. Mais nous devrions avoir aucun doute sur le projet de la modernité qui se déroule autour de nous. Ce projet de la modernité ne bâtit pas un merveilleux monde nouveau. Il est simplement en train de détruire l’ancien et il laisse ses enfants errer dans des ruines.
Source : https://blogs.ancientfaith.com/glory2godforallthings/2015/05/05/marriage-as-a-lifetime-of-suffering/