« Je serre Ta parole dans mon cœur afin de ne pas pécher contre Toi » (Psaume 119: 11)
Il y a des années, j’ai entendu une déclaration d’un moine américain : « Le contemplatif n’a pas besoin d’aller plus loin que son propre cœur pour trouver la source de toute violence dans le monde. » Cela m’a paru d’autant plus vrai avec le temps. À l’époque (c’était peu après la guerre du Vietnam), ce moine avait remarqué que les nombreux jeunes qui visitaient dans son monastère étaient «tellement en colère en ce qui concerne la paix». Cette déclaration faisait écho à une expérience que j’avais faite quelques années auparavant quand j’étais au début de mes études supérieures..
Un activiste de la paix bien connu, un prêtre catholique a visité notre campus. Il y a eu une discussion publique autour de sa présentation sur la guerre (Vietnam). Je me suis beaucoup impliqué dans ce qui est devenu un débat enflammé (je plaidais pour la paix). Après l’événement, le prêtre m’a dit : «Stephen, il y a plus d’une façon de faire violence à une personne.» Il avait vu mon cœur et le danger que mon cœur présentait pour moi.
Ces premières leçons ont été perdues sur moi, mais pas oubliées. Elles m’ont hanté la première fois que j’ai lu Dostoïevski. Ses romans ne présentent jamais de personnages « diaboliques ». Au lieu de cela, ils présentent la réalité du cœur humain. C’est là que la source de toute violence peut être trouvée. Discutant du thème de la beauté et de la débauche, Dimitri Karamazov examine les contradictions de nos expériences : « … le diable se débat avec Dieu, et le champ de bataille est le cœur humain. »
Lorsque le champ de bataille dans le cœur est ignoré et projeté vers l’extérieur, le résultat est un monde en noir et blanc, bon et mauvais, ami et ennemi. Mais l’ami et l’ennemi ont des cœurs qui sont eux-mêmes une masse de contradictions, un champ de bataille du bien et du mal. Soljenitsyne a vu cela :
Si seulement tout était si simple ! Si seulement il y avait des gens pervers qui se livraient insidieusement à de mauvaises actions, et qu’il était seulement nécessaire de les séparer du reste d’entre nous et de les détruire. Mais la ligne qui divise le bien et le mal traverse le cœur de tout être humain. Et qui veut détruire un morceau de son propre cœur ?
Je me rappelle chaque jour de ces premières leçons sur la violence. Si ma génération était en colère à propos de la paix, aujourd’hui nous sommes en colère contre tout. Le champ de bataille intérieur est jonché des cadavres de ceux que nous imaginons être contre nous. Aucun paroxysme de violence ne pourrait jamais purifier le monde et apporter la paix au cœur. Aucun de nos projets ne fera du monde un meilleur endroit. Le monde est la projection du cœur humain, et un peu plus.
C’est ce champ de bataille que le chemin de Carême vers Pâques nous demande de voir.
« Accorde-moi de voir mes propres fautes et de ne pas juger mon prochain »
Nous prions donc en répétant la prière de saint Ephrem. Tout ce que nous voyons (ou imaginons voir) chez ceux que nous jugeons est présent dans notre propre cœur. C’est seulement quand nous savons que c’est vrai que la repentance peut commencer et que la bataille tourne pour obtenir la faveur de Dieu.
Sans repentir, chaque manifestation publique de violence outrageante ne fait que provoquer en nous plus de violence intérieure. L’esprit logique s’empresse de réparer les erreurs et d’argumenter des solutions. Cependant la repentance produirait, je pense, le silence, et aussi la honte d’avoir eu des pensées violentes. Dans un passage sublime qui fait écho à l’enseignement qui est cœur même de l’orthodoxie, l’Ancien Zossime de Dostoïevski offre cette réflexion :
«Aimez-vous les uns les autres, les pères» (Zossime d’adresse aux moines)…. « Aimez les gens que Dieu a créés. Car ce n’est pas parce-que nous sommes venus ici (au monastère) nous enfermer dans ces murs que nous sommes plus saints que ceux du monde ; mais, bien au contraire, quiconque vient ici, par le fait même qu’il est venu, se sait déjà pire que tous ceux qui sont dans le monde, pire que tous sur la Terre … Et plus un moine vit longtemps dans ces murs, plus il doit en être conscient. Car autrement il n’aurait aucune raison de venir ici. Mais quand il sait qu’il n’est pas seulement pire que tous ceux dans le monde, mais qu’il est aussi coupable devant tous, au nom de tous et pour tous, pour tous les péchés humains, du monde et de chacun, alors seulement l’objectif de notre unité (dans notre communauté monastique) est atteint. Car vous devez savoir, mes chers, que chacun de nous est indubitablement coupable au nom de tous et pour tous sur la Terre, non seulement à cause de la culpabilité commune du monde, mais personnellement, chacun d’entre nous, pour tous et pour chaque personne sur cette Terre. Cette connaissance est le couronnement du chemin du moine et du chemin de chaque homme sur Terre. Car les moines ne sont pas des hommes différents, mais c’est ainsi que tous les hommes sur Terre devraient également être. Ce n’est alors que notre cœur sera mû par un amour infini, universel et qui ne connaîtra pas la satiété. Alors chacun de nous pourra gagner le monde entier par l’amour et laver les péchés du monde avec ses larmes … Que chacun d’entre vous reste proche de son cœur, que chacun de vous se confesse inlassablement. N’ayez pas peur de votre péché, même lorsque vous le percevez, pourvu que vous vous repentiez, mais ne posez pas des conditions à Dieu. Encore une fois je le dis, ne soyez pas orgueilleux. Ne vous sentez pas supérieurs avec vos subalternes ni envers ceux qui sont au-dessus de vous. Et ne haïssez pas ceux qui vous rejettent, vous déshonorent, vous insultent et vous calomnient. Ne haïssez pas les athées, ceux qui enseignent quelque chose de mal, les matérialistes, pas même ceux d’entre eux qui sont méchants, ni ceux qui sont bons, car beaucoup d’entre eux sont bons, surtout à notre époque. Souvenez-vous-en ainsi dans vos prières : sauve Seigneur, ceux qui n’ont personne qui prie pour eux, sauve aussi ceux qui ne veulent pas prier. Et ajoutez aussitôt : ce n’est pas pour ma fierté que je prie ainsi, Seigneur, car je suis moi-même le plus vil d’entre tous … (Dans les frères Karamazov de Dostoïevski)
Et c’est ainsi que passe notre violence et que l’on prend le chemin de la paix.
Source : https://blogs.ancientfaith.com/glory2godforallthings/2018/03/02/at-the-heart-of-lent/