Ioan Ianolide et son épouse Constanta qui lui a apporté une immense consolation: il lui disait quand elle limait ses ongles, toi tu limes mes ongles et en prison on me les arrachait.
De son amitié profonde avec Valeriu Gafencu1, Ioan Ianolide a puisé un amour du Christ qui s’est développé au cours de ses 23 années d’emprisonnement. Il se chargea ensuite de présenter au monde la vie de son ami, surnommé le « saint des prisons », et de diffuser son testament spirituel qu’il a pu connaître de très près du fait de sa proximité avec lui. Il a mis cela en écrit entre 1981 et 1984 et il a caché le manuscrit dans une boîte en bois. Après sa mort en 1986, ce manuscrit est parvenu en Occident puis il est revenu en Roumanie après la révolution de 1990. Le père Constantin Vocescu s’est chargé de le réviser et de le publier.
Ioan a intitulé ses écrits « Le retour vers Jésus-Christ », et ils ont été mis sous la forme de sentences découlant de l’expérience personnelle de l’écrivain. L’emprisonnement a été le lieu de sa rencontre avec Christ, qui a transformé la résistance politique en une lutte spirituelle et en une résistance spirituelle face à l’athéisme. Reconnaître ses propres péchés est le commandement fondamental de Valeriu Gafencu, et c’est par ce moyen qu’il a décrit le don de soi pour le Christ qu’il a connu dans les prisons communistes. Et Valeriu conclut en disant : « Après cette expérience amère, la vie qui est restée en moi est le Christ, vivant à jamais. Maintenant, ma joie est accomplie et ma joie est le Christ. Je me suis donné à Lui et il a fait de moi un être humain. Cela dépasse tout entendement. Gloire à Dieu et à l’homme tous les deux ! »
Ioan Ianolide est né en 1919 à Dobrotesti. Il a été arrêté en 1941 parce qu’il appartenait à la fraternité de la Croix. Il avait 21 ans et il a été condamné à 25 ans de travaux forcés. En prison il a été décrit comme un beau jeune homme de grande stature, ayant étudié le droit, incarcéré pour appartenance à la fraternité de la Croix. Calme de tempérament, inventif et ferme dans la foi jusqu’à l’entêtement.
Après les prisons de Jilava et de Vagaristi, Ioan arriva à la prison d’Eiud en 1942, où il a rejoint un groupe de prisonniers qui tentaient de mener une vie spirituelle à l’intérieur de la prison ; il lia notamment une amitié et une fraternité profondes avec Valeriu Gafencu. En prison, le combat politique de ces personnes s’est transformé en lutte spirituelle- ayant pris conscience de la vacuité du politique- ainsi ils ont été guidés par la souffrance vécue vers la vie spirituelle. « En prison, notre foi cherchait son socle spirituel. Depuis le début, la prison pour moi était l’occasion d’être un martyr, car bien que nous ayons d’abord été persécutés par un État chrétien, notre foi cherchait ses racines », dit-il. Car bien que persécuté à cause de ma foi, je n’avais pas encore la connaissance de Dieu.
Cette recherche, accompagnée de torture, de faim, de privation et de haine … a créé une atmosphère de vie spirituelle qui s’est approfondie avec la croissance de notre connaissance des écrits des Pères de l’Église, de la vie liturgique de l’Église et de la confession (que nous avons tous découvert au sein de la prison) et en particulier par la prière dont notre exemple et celui qui nous menait vers l’avant était Valeriu Gafencu. » Ce progrès a continué avec notre transfert ailleurs ( Galda de Jos), avec le père Arséni Boca et ce qu’il nous a fait connaître de la philocalie.
Et puis ce fut l’année 1948 avec l’arrivée au pouvoir des communistes. Le pays entier devint une grande prison. La spiritualité développée à Eiud a germé dans d’autres prisons et était devenu une référence pour les condamnés qui, lorsqu’ils suivaient cet exemple pouvaient surmonter les tortures physiques et mentales qu’ils subissaient.
Ioan, avec d’autres ,a été transféré à la prison de »Targo Okna » en raison de leurs maladies. Dans les archives « Ioan » est décrit comme une personne clé dans l’aide aux condamnés et son encouragement pour qu’ils persévèrent dans la vie spirituelle. Selon un des prisonniers : « Ioan affirme que la vie spirituelle est celle qui oriente les pensées de toute personne vers Dieu, et cela exige beaucoup de temps, et puis à un moment donné, il arrive que la personne ressente la présence de Dieu en son for intérieur, la grâce habite alors cette personne. Cette personne se met alors à prier « Seigneur Jésus Christ Fils de Dieu aie pitié de moi pécheur », elle sent la présence de Dieu et se détourne du péché ».
A la prison de Targo Okna, Ioan, ainsi que tous ceux qui participaient à la vie spirituelle ont été considérés comme une bande organisée de malfaiteurs.
Alors a débuté un processus de « rééducation » entre 1958-1959 et qui avait pour objectif d’éliminer la foi des condamnés et de la faire disparaître entièrement de l’intérieur de leurs cœurs car cette foi était la cause première responsable de leur capacité à surmonter la torture. Lorsque Ioan a été libéré, le responsable de la prison a rédigé ceci: « Il a créé le groupe appelé « groupe spirituel » et à partir de ce groupe il a mené la résistance de manière spirituelle et avec l’aide de la foi. Et, tout au long de cette période, il s’est consacré au développement de ses capacités spirituelles, il a rejeté le programme de rééducation car d’après lui ce programme était contraire à ses convictions. Il est sorti avec un esprit religieux et son fanatisme présente un danger car il peut répandre la vie spirituelle ».
Lors de son arrestation, il a fait connaissance avec la sœur de Valeriu et il s’est fiancé avec elle, puis il a continué à essayer de la contacter pendant qu’elle l’attendait. Cependant, après 18 ans de prison il n’avait plus eu de nouvelles et des membres de sa famille ont conseillé la sœur de Valeriu de chercher à épouser une personne qui lui conviendrait mieux, elle avait 39 ans. Et c’est ce qui s’est passé, ce qui a attristé le cœur de Ioan.
En 1964, Ioan a été libéré de prison et a suivi des soins prolongés. Il a essayé d’entrer dans un monastère mais il n’a pas été accepté et il a été empêché de voyager à l’étranger. Il a épousé Constanta Bozavilka en 1965 et a pu trouver du travail dans une coopérative artisanale. Dans cette coopérative, il a créé une vaste collection de croix ornées qu’il a remises à l’un de ses amis pour les distribuer après sa mort à qui il voudrait, comme s’il disait à ses compatriotes : « Portez vos croix ! » II est resté sous surveillance des services de renseignements. Il a également maintenu secrètement des relations avec de nombreux compagnons rencontrés en prison, ainsi que des membres du groupe « le buisson ardent », en particulier avec le P. Arsenie Bocca qui était son père spirituel.
Au cours de ses dernières années, il a beaucoup souffert d’un cancer du foie à cause des coups qu’il a reçus en prison. Sa santé s’est détériorée. Il a fait appel au Père « Bartholomée Ananias » et il lui a demandé de prier pour lui. Le père Ananias a déclaré : « Si nous pouvons affronter la mort avec un visage lumineux comme celui d’Ioan, nous serions les plus heureux des hommes. » Le 5 février 1986, Ioan s’est endormi dans le Seigneur et il a exprimé à son épouse le souhait que son corps soit enterré dans un monastère ; il a été inhumé dans le cimetière du monastère de Tchirnika.
Le testament de Ioan Ianolide :
« Je vais sortir de ce monde tout nu comme j’y suis entré et passé toute ma vie. » Mettez mon corps dans un linceul blanc, que tout passe simplement, que l’office des funérailles soit bref … Je laisse mon âme et l’exemple de ma vie. Je languis vers l’Esprit Divin, que seul Dieu peut donner. J’ai lutté pour devenir parfait mais j’ai souvent échoué et j’ai été remis à ma place. J’ai cherché la Vérité et je l’ai annoncée ouvertement. Je n’ai pas pu tenir de nombreuses promesses et j’ai souvent manqué le but. J’ai regretté et j’ai essayé de réparer. La vérité c’est le Christ. Il est l’Esprit et la Vérité. La vérité est Une bien que dans le monde elle puisse revêtir de nombreux aspects. Cependant l’Unique Vérité doit être demandée en toute occasion. Le fait que la Vérité paraisse illimitée dans le monde montre l’Unicité du Dieu Créateur. Je n’éprouve pas de haine envers ceux qui m’ont fait souffrir et torturé durant ma vie, mais je hais les actions mauvaises qui sont répandues dans le monde. J’ai la foi en ce que le Christ Victorieux les anéantira comme de la paille. Je suis né en Roumanie et j’ai grandi dans une ambiance marquée par les offices à l’église et les traditions populaires de nature religieuse. Mes parents et mes grands parents étaient des exemples de piété et ils ont planté en moi le sens de la présence permanente du Christ dans L’Église et dans les âmes des gens que l’on rencontre. Le Christ et ses anges sont avec nous et nous aident à nous sanctifier et recevoir le salut. Nous ne pouvions imaginer la vie sans Lui. Je pensais que c’était le cas et qu’il en sera toujours ainsi. Dieu a rempli mon cœur. Il est la réponse pour mon âme qui recherchait la pureté et la perfection. Notre relation avec le Christ était naturelle, intime et constante. Je ne pouvais pas concevoir une vie sans le Christ. Je croyais que cet état de chose était normal et qu’il allait durer. Dieu a comblé mon cœur. Il était la réponse donnée à mon âme qui recherchait la pureté et la perfection. Je n’ai pas reçu un enseignement religieux ou théologique. Même les moines et les prêtres que j’ai rencontrés, à quelques exceptions près, n’étaient pas de bons exemples, mais rien n’a ébranlé ma foi. J’ai toujours recherché cette sainteté qui a attiré mon âme d’enfant, puis de jeune homme. Le climat spirituel dans lequel j’ai grandi était un puissant pilier de la foi, car vivre avec Dieu, c’est la foi. La présence de Christ en moi était vivante et forte. La joie, la beauté, la bonté et la vérité formaient la plénitude de mes espérances, le secret de ma vie et sa source. Mais Dieu ne voulait pas que je reste dans cet état, mais que je grandisse dans la vie spirituelle, que je connaisse Christ spirituellement, et c’est ce qui s’est passé lorsque je suis entré en prison à l’âge de 21 ans. Aujourd’hui j’ai 64 ans. Entre 1941 et 1964, j’ai passé des années en prison, j’ai été torturé et humilié, d’abord sous Antonescu2, puis sous la domination communiste. J’ai témoigné du Christ toute ma vie et, en 1944, j’ai senti que le Christ était devenu toute ma vie : j’avais résisté au matérialisme de la bourgeoisie et du communisme. J’ai comparé l’Orthodoxie avec toutes les autres religions et sectes et je me suis attaché à L’Église Orthodoxe. Pendant une période de cinq ans, j’étais mis en isolement complet, affamé et nu. Et puis pendant 15 ans, j’ai été placé dans des cellules que je partageais avec d’autres. Parfois, notre nombre dépassait les capacités de la cellule, et nous étions serrés à trois ou quatre dans le même lit. Les corps et les esprits toujours en contact. La peur des gardiens, la faim, le froid, les maladies étaient plus supportables que la terreur qui dominait nos esprits marginalisés et désespérés. J’ai travaillé pendant deux ans comme un esclave dans la faim et le froid. Nous travaillions dans les vignes et les vergers sans qu’il nous soit permis de goûter aux fruits. Pendant vingt ans, j’avais faim constamment, jusqu’à ce que je tombe malade à cause de la malnutrition … j’ai souffert de sévices corporels graves afin de briser ma résistance physique et psychologique, la mort était constamment devant moi. Seul Dieu m’a protégé de l’effondrement. J’ai bien plus appris en prison qu’à l’Université. J’y ai rencontré des communistes et des juifs qui étaient condamnés comme moi, ainsi que des responsables qui ont été également condamnés. J’ai même pris soin du président du tribunal militaire qui m’avait condamné lorsqu’à son tour on l’a mis en prison, il devait être fusillé par la suite. Aujourd’hui, 31 ans se sont écoulés depuis la mort de Valeriu. Je me suis rendu à l’église avec l’intention de me confesser. Je participerai aux Saints Dons (la communion) le dimanche. Aujourd’hui, je reçois les « Saints Dons aux saints », dont plus personne ne m’en séparera. C’est le jour le plus heureux de ma vie, même s’il s’agit de l’anniversaire de la mort de la personne la plus chère à mon cœur, mais c’est une joie et une paix qui m’accompagnent depuis lors. J’ai ressenti une joie immense et je ne désirai plus que de rester dans cette vie éternelle qui s’est manifestée à moi ce jour. Valeriu était une personne transparente remplie de grâce. Le Christ était en lui et j’ai pu partager sa sainteté. La joie a jailli de la souffrance. L’éternité est entrée dans le temps à cet instant. Mon esprit a été enveloppé d’une lumière et d’une paix merveilleuses. J’ai vu dans les yeux de Valeriu les cieux ouverts. J’ai senti que c’est l’Esprit Saint qui agissait et parlait à travers Valeriu. Aujourd’hui, comme il y a 31 ans, je sens la proximité de Valeriu et à travers lui la proximité du Christ.
Témoignage d’un moine roumain qui est aujourd’hui au monastère de Saint Saba en Palestine :
En 1980, je servais à Bucarest. Le 23 août, il a été donné l’ordre à l’armée et à la police d’établir la sécurité dans la ville. J’étais jeune et ignorant. J’avais essayé à plusieurs reprises d’entrer à l’école militaire mais je n’avais pas été admis, aussi je ne voulais manquer aucune occasion de montrer ma loyauté envers la patrie de quelque manière que ce soit.
Ce jour-là nous marchions derrière les officiers qui traversaient les quartiers de Bucarest, frappant fort aux portes des maisons et hurlant envers les habitants: « Tas de crapules, restez dans vos maisons. » Et moi j’étais un jeune homme, appliquant avec fierté et un sentiment de victoire ces ordres stricts. J’ai tapé à la porte d’une maison et j’ai crié fort ; il s’est passé alors quelque-chose d’étrange. Un homme, un sexagénaire, m’a ouvert la porte, il avait un noble aspect et inspirait le respect. Il m’a regardé de façon spéciale, il m’a souri puis il a fait sur moi le signe de croix…et ensuite avec la même dignité il s’est retiré derrière la porte….20 années se sont écoulées depuis et cela fait quelques années que je suis devenu un moine au monastère de Saint Saba en Palestine. On m’a expédié de Roumanie le livre intitulé « Le Retour vers le Christ », une joie éclatante mais non dénuée de tristesse m’a alors envahie…le voile est tombé…c’est en tremblant que j’ai vu la photo de l’auteur. C’était Ioan Ianolide, ce sexagénaire qui m’a béni cette nuit où l’on hurlait il y a 20 ans. Et j’ai compris que c’est sa bénédiction qui m’a accompagné jusqu’à aujourd’hui. J’ai remercié Dieu.
- 1.Valeriu Gafencu (1921-1952) : surnommé « le saint des prisons » ;il a été arrêté en 1941 sous le régime d’Antonescu et condamné à 25 ans de travaux forcés. Le célèbre professeur de droit civil, Constantin Angelescu, a défendu Gafencu au procès en déclarant : « Il est l’un des meilleurs étudiants de ma carrière d’enseignant. « Argument inutile, car à cette époque la dictature d’ Antonescu ne voyait pas le Mouvement des Légionnaires (mouvement auquel appartenait Valeriu), qui par son activisme nationaliste-chrétien combattait le communisme bolchevique qui menaçait la Roumanie. A cause des mauvais traitements il a attrapé la tuberculose…des ganglions, du rhumatisme, et le manque de nutrition nécessaire ont ruiné son corps. Son visage, cependant, était étrangement baigné d’une lumière non terrestre sur laquelle témoignent nombre de ceux qui ont eu le privilège d’être dans la dernière partie de sa vie. Son âme et son esprit ne se sont pas éloignés de la prière. Au cours de la dernière année, une hémoptysie (crachage de sang) en avait fait une « épave ». À première vue, la lumière de la sainteté a dépassé la chair en état de détresse et de misère et a touché les autres détenus. Gafencu attendait sa mort avec une sérénité qui adoucissait les gardes. Son corps était vraiment la demeure du Saint-Esprit. A cause de sa foi, Valeriu a été jugé digne par Dieu de connaître le jour de sa mort. Le 18 février, entre 14h et 15h, après des prières incandescentes d’une très grande intensité, Valeriu prononça ses derniers mots : « Seigneur, accorde-moi la servitude qui libère l’âme et prends ma liberté qui la rend esclave» . (NdT: le mot roumain traduit par esclave est « robie »; il n’a pas de connotation péjorative , au contraire, la connotation est positive car la liberté est maintenue)(A son décès) et à l’endroit où (son corps) a été mis avant d’être emmené dans une fosse commune, tous les détenus sont venus et se sont inclinés, et le bourreau, Petre Orban, a quitté la prison toute la journée pour les laisser dire au revoir à Valeriu. Valeriu Gafencu était l’homme du sacrifice total. Il a tout sacrifié au Christ…
« Parmi les témoins martyrs les plus connus qui ont souffert, vivant sur les plus hauts sommets de la spiritualité chrétienne, pilier de la résistance spirituelle roumaine pendant l’oppression communiste, nous considérons l’étudiant VALERIU GAFENCU ». (P. Bartholomée Ananias)
La révélation du bonheur de Valeriu dans l’enfer des prisons est une leçon dont nous, vivant dans la liberté, nous devons apprendre que nous n’avons pas le droit de nous plaindre pour peu sachant que le bonheur est disponible pour quiconque. Dans les lettres envoyées à ses proches il dit ceci : « Cherchez le bonheur dans vos âmes, ne le cherchez pas en dehors de vous, ne vous attendez pas à ce que le bonheur vienne d’ailleurs, mais de votre intérieur à vous, de votre âme, où le Seigneur de l’amour le Christ demeure, si vous attendez le bonheur en dehors de vous, vous expérimenterez duperie sur duperie et jamais vous ne l’obtiendrez «
(voir : http://istoria.md/articol/960/Valeriu_Gafencu,_biografie)
- 2.Antonescu a été chef de l’Etat de Roumanie de 1940 à 1944. Il était allié aux nazis. En 1944 il a été livré à l’URSS puis il a été ramené en Roumanie où il a été condamné à mort en 1946.
- Le monastère de Saint Saba (443-532) a été fondé par Saint Saba et il est l’un des plus anciens monastères chrétiens.