Le triode du Grand Carême débute avec le dimanche du Pharisien et du Publicain qui tombe cette année 2019 le 17 février. L’histoire suivante s’est déroulée il y a peu de temps dans un train reliant Moscou à la bourgade de Petushki située à 120 km vers l’est.
Une personne (dénommée Mikael) a récemment [l’année dernière] posté une nouvelle dans un réseau social qui a été instantanément reprise par beaucoup. L’histoire est la suivante (en laissant de côté les gros mots):
«J’étais dans le train électrique entre Moscou et Petushki. Tout à coup, un vagabond entra dans la voiture, tout meurtri, le visage bouffi et boursouflé. Il avait environ trente ans. Regardant autour de lui, il dit : «Vous tous mes chers, je n’ai rien mangé depuis trois jours. Je suis honnête. Je ne veux pas être un voleur parce que je ne pourrai pas fuir si on essaie de m’attraper. Mais j’ai tellement faim ! Donnez-moi autant d’argent que vous pouvez. Ne regardez pas mon visage; J’avoue que je bois beaucoup. Et l’argent que vous me donnez, je le dépenserai aussi pour boire ! » Puis il se déplaça le long du compartiment du train.
Ici, en Russie, les gens sont très généreux. Ils ont rapidement collecté environ cinq cents roubles (environ 7 euros). Le clochard s’arrêta au bout du compartiment, se retourna face aux gens, s’inclina et dit: «Merci! Que Dieu vous accorde le salut à vous tous ».
Un homme à l’air méchant, assis à la fenêtre à l’arrière du compartiment – il ressemblait à un scientifique et portait une paire de lunettes – éclata de colère soudain en hurlant vers le vagabond: «Toi, l’ imbécile! Tu mendies, tu demandes de l’argent ! Et moi je n’ai pas assez d’argent pour nourrir ma famille. Et si j’avais été viré il y a peu ?! Je ne suis pas un mendiant comme toi ».
Après avoir entendu tout cela, le clochard a sorti de ses poches tout ce qu’il avait réussi à recueillir ce jour-là (environ deux mille roubles, billets et pièces de monnaie) et a tendu la main pour donner l’argent à l’homme :
« Prenez le. Vous en avez besoin. »
« Quoi ? » Répondit l’homme abasourdi.
« Prenez le. Vous en avez plus besoin que moi. Les gens sont très gentils ! » a insisté le clochard, il lui a remis l’argent dans ses mains, puis il s’est retourné pour quitter le wagon.
« Toi, arrête-toi maintenant ! » Cria l’homme qui se leva aussitôt de son siège avec l’argent entre ses mains. Il a suivi le vagabond. Les gens dans tout le compartiment étaient tous silencieux. Durant les cinq minutes suivantes, nous avons écouté attentivement leur dialogue dans le vestibule du train . L’homme criait que les gens étaient pourris, alors que le clochard était convaincu que les gens étaient généreux et merveilleux. L’homme a essayé de rendre l’argent au clochard mais il ne l’a pas accepté. Finalement, le clochard est allé plus loin dans le train et l’homme est resté seul dans le vestibule. Il semblait hésiter à retourner à sa place. Il a allumé une cigarette.
Le train est arrivé à une gare. Des passagers sont montés et descendus du train. L’homme a éteint la cigarette, est revenu et a repris place à la fenêtre. Personne ne lui prêtait une attention particulière : le compartiment vivait sa propre vie. Le train est arrivé à certaines gares ; certains passagers sont descendus et d’autres sont entrés.
Nous avions passé cinq stations et le train approchait de la mienne. Je me suis levé et me suis dirigé vers la sortie. En passant, j’ai jeté un coup d’œil à l’homme. La tête tournée vers la fenêtre, l’homme malveillant était assis là à pleurer.
Il aurait été préférable que nous laissions une histoire comme celle-ci (et je crois que c’est une vraie histoire) sans aucun commentaire. Mais le dimanche du publicain et du pharisien peut être un motif de réflexion sur ce qui s’est passé dans cette histoire. Dans la parabole que nous entendons à la Divine Liturgie le dimanche du publicain et du pharisien (Luc 18: 10-14), le Seigneur rejette intentionnellement les stéréotypes existants sur le bien et le mal, sur ceux qui sont bons et ceux qui sont méchants. Et c’est certainement pour une raison bien précise que les personnages de la parabole sont deux individus diamétralement opposés dans leurs vues morales. Pour la société, le pharisien est un homme parfaitement juste, car il est parfaitement conscient des aspects les plus subtils de la loi et sait comment s’y conformer. Le publicain est définitivement un pécheur, un pécheur par définition, car il doit travailler pour un gouvernement oppressif ; profitant de cet avantage honteux, il prend illégalement de l’argent à ses compatriotes. Reprenant cela, le Christ dirige notre attention sur deux points. Premièrement, ce n’est pas une obéissance méticuleuse à la loi, mais une vision du monde adéquate des choses qui est le fondement de la justice véritable. Par conséquent, un mode de vie pécheur peut rendre un individu juste pour le Seigneur (à condition que l’individu rejette le péché, bien sûr) ; ou bien au contraire, une vie apparemment juste peut conduire à une barrière presque insurmontable entre l’homme et le Seigneur, lorsque l’homme ignore la véritable source de la justice et grandit dans sa complaisance de soi. La deuxième conclusion à laquelle nous parvenons est morale. Nous devons éviter tout type de jugement : le simple fait de penser à juger ne nous donne aucune chance de connaître la vérité, elle est trop superficielle. Cela équivaut à notre tentative d’imaginer la taille d’un iceberg par son sommet surplombant l’eau.
Cette histoire dans le train illustre parfaitement la véracité de la parabole du Christ concernant l’homme contemporain : elle dévoile les faux stéréotypes et nous conduit à des conclusions morales. Comment la société a-t-elle considéré l’homme méchant qui hurlait envers le vagabond ? C’était un homme qui ne montrait aucun signe de péché – un homme d’âge moyen bien habillé, il ne semblait être ni un buveur ni un mendiant. Nous ne pouvons pas le comparer avec le clochard, qui a passé toute sa jeunesse à boire et qui a ensuite sombré dans la mendicité. Ce vagabond n’avait même pas honte de dire qu’il n’était pas un voleur, car il serait incapable de fuir et qu’il gaspillerait l’argent que les gens lui donneraient dans l’alcool. Quel pécheur !
Ne négligeons pas le fait que nous, chrétiens, nous faisons parfois des jugements similaires ! Par conséquent, ce qui est arrivé dans l’histoire devrait être une leçon pour nous, avant tout. En fin de compte, les passagers se sont émus pour le clochard meurtri, qui se comportait plus justement que l’homme qui « ressemblait à un scientifique et portait une paire de lunettes ». Mais pourquoi s’est-il comporté de la sorte ? Je crois que nous pouvons trouver un indice à partir du comportement du « publicain » de ce train à travers ses propres mots. Apparemment, il réalise à quel point il est esclave de sa passion. Il se rend compte qu’à ce moment précis il ne pourrait pas résister à la tentation. Il en parle ouvertement et franchement. Néanmoins, les passagers sympathisent avec lui et lui donnent de l’argent, ce qui ne peut que lui inspirer un sentiment de gratitude. Dans son cœur, la gratitude portait la réponse révélée par sa miséricorde désintéressée. De plus, il était conscient que « les gens étaient généreux et merveilleux », que la prochaine fois, ils lui donneraient aussi de l’argent ! Le « méchant homme » ressemble plus au pharisien, ce qui est révélé par ses propres mots, pleins de complaisance apparente et de condamnation sévère du mendiant.
Que Dieu nous préserve de juger qui que ce soit! Nous ferions mieux de nous demander si nous nous comportons comme un « homme à l’air méchant ». Avant de crier sur le clochard, il a fallu que le clochard arrive au bout du compartiment. Seul Dieu sait combien de personnes parmi celles qui n’ont pas donné d’argent au clochard l’ont jugé, mais elles n’ont pas osé crier après lui. Combien d’entre eux l’ont jugé sans même lui donner un centime. Ce faisant, ils se sont privés de la possibilité de prendre part à l’acte de miséricorde que le clochard allait bientôt accomplir. J’espère qu’au moins l’un d’entre eux a appris la leçon et a fait la promesse à Dieu et à lui-même qu’il ne jugerait plus jamais personne.
Je suppose que le pharisien est celui qui a appris la leçon la plus précieuse de l’histoire. Ce que le vagabond a fait impressionne même ceux qui viennent de lire cette histoire, sans parler de celui à qui le vagabond a fait miséricorde. La larme qui coule sur sa joue à la fin de l’histoire prouve la vérité du Christ: le bien triomphe du mal. Ce doit être la conclusion principale à laquelle nous devrions arriver pour lire cette histoire étonnante, moderne et vraie.
Demain, je voyagerai de Moscou à Petushki. Qui veut venir avec moi ?
P. Dimitry Vydumkin
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