La prière, assurément, restaure en nous le souffle divin que «Dieu insuffla dans les narines d’Adam», si bien qu’«Adam devint une âme vivante» (voir Gn 2, 7). Régénéré par la prière, notre esprit commence à s’émerveiller devant le grand mystère de l’Être. Tel un torrent impétueux, un enthousiasme d’un genre particulier submerge notre intellect : «L’Être… quel mystère merveilleux! Comment est-il possible ?… Admirable est notre Dieu et admirable sa création.»
Nous expérimentons le sens des paroles du Christ: « Moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en surabondance » (Jn 10, 10). En surabondance! Oui, en vérité, il en est ainsi. Cette vie est paradoxale, comme l’est tout l’enseignement du Seigneur : « Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il fût allumé » (Lc 12, 49). À nous tous, descendants d’Adam, il nous est indispensable de passer à travers cette flamme céleste pour qu’elle consume les racines de nos passions mortifères, faute de quoi nous ne verrons pas ce feu se transformer en lumière d’une vie nouvelle.
En effet, dans notre état de chute, la brûlure précède l’illumination, et non l’inverse. Ainsi donc, bénissons le Seigneur aussi pour l’action consumante de son amour. Il y a encore beaucoup de choses que nous ne connaissons pas. Cependant, nous savons maintenant, fut-ce partiellement (voir 1 Co 13, 9), qu’il n’y a pas d’autre voie pour devenir « des fils de la résurrection » (Lc 20, 36), des fils de Dieu, pour régner avec l’Unique-engendré. Aussi douloureux soit le processus de notre re-création, quels que soient les tourments et parfois les agonies que Dieu nous fait traverser, tout, à la fin, sera béni.
Si l’assimilation de la connaissance scientifique exige un labeur assidu durant de longues années, l’effort pour acquérir la prière est incomparablement plus ardu. Lorsque l’Évangile et les épîtres deviennent notre réalité quotidienne, nous commençons à voir clairement à quel point nos conceptions antérieures de Dieu et de la vie en Lui étaient naïves. Mystérieuse est la sagesse de la révélation qui nous a été faite. Celle-ci dépasse de loin l’imagination de l’homme: «Ce que l’oeil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au coeur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment » (1 Co 2, 9). La moindre touche de l’Esprit divin est une gloire qu’on ne saurait comparer au contenu d’une vie sans Dieu. La prière authentique qui nous unit au Très-Haut, n’est rien d’autre que la lumière et la force du ciel descendant sur nous. Dans son essence, elle transcende notre plan d’existence; elle n’a pas de source d’énergie dans ce monde. Si je me nourris bien pour que mon corps soit vigoureux, ma chair se révolte et ses exigences croissent: elle en a assez de prier. Si je mortifie ma chair par un jeûne rigoureux, cette douloureuse abstinence crée pour un certain temps un terrain favorable à la prière, mais ensuite mon corps s’épuise et refuse de suivre l’esprit. Si je fréquente des personnes de valeur, je peux éprouver une satisfaction intérieure, faire parfois une nouvelle expérience dans le domaine psychologique ou intellectuel, mais j’en reçois très rarement une impulsion pour la prière profonde. Si, sur le plan intellectuel, je suis doué pour le travail scientifique ou la création artistique, mon succès me servira de prétexte à la vanité ; et je serai alors dans l’impossibilité de trouver mon coeur profond, lieu de la prière spirituelle. Si je suis riche et que je cherche à tirer parti du pouvoir lié à la richesse, ou à réaliser certaines de mes idées, ou encore à satisfaire mes désirs esthétiques et culturels, mon âme ne montera pas vers Dieu tel que nous l’avons connu par le Christ. Si je me retire au désert après avoir renoncé à mes biens, toutes les énergies cosmiques se ligueront pour paralyser ma prière. Et ainsi de suite, sans fin…
Admirable est notre Dieu et admirable Sa création.!.. |
La véritable prière adressée au Dieu véritable est une communion avec l’Esprit divin qui prie en nous; c’est Lui qui nous donne de connaître Dieu; c’est Lui qui élève notre esprit à l’état de contemplation de l’éternité. En tant que grâce venue d’en haut, l’acte de prier transcende notre nature terrestre. C’est pourquoi notre corps corruptible, incapable de s’élever dans la sphère spirituelle, lui résiste. Incapable de contenir l’Infini, notre intellect lui résiste aussi ; il est tiraillé par des doutes et rejette tout ce qui dépasse sa compréhension. Le milieu social dans lequel nous vivons s’oppose à la prière, car il organise sa vie en ayant d’autres buts, diamétralement opposés à elle. Les esprits hostiles ne la supportent pas. Mais seule la prière permet au monde créé de renaître de sa chute, car elle triomphe de sa pesanteur et de son inertie par la grande tension de notre esprit pour observer les commandements du Christ.
Le combat pour la prière est ardu, car les états de notre esprit varient. Parfois la prière coule en nous comme une puissante rivière, parfois notre cœur se dessèche. Veillons à ce que toute diminution de la force de prier soit aussi brève que possible. Prier signifie bien souvent exposer à Dieu notre état pitoyable : faiblesse, acédie, doutes, crainte, angoisse, désespoir, en un mot tout ce qui est lié aux conditions de notre existence. Exposer donc notre état, mais sans rechercher des expressions élégantes ou même une suite logique… Souvent, cette manière de s’adresser à Dieu marque le début d’une prière prenant la forme d’un dialogue.
Parfois nous serons portés par les vagues de l’Amour divin que, dans notre naïveté, nous prendrons subjectivement pour notre amour pour Lui. Voici comment cela s’est passé pour moi : je n’osais penser que, dans sa grandeur infinie, le Créateur de l’univers pourrait arrêter son attention sur moi, insignifiant et misérable que je suis. Je disais dans ma prière « Oh ! S’il était possible que tu m’aimes comme je t’aime!… Vois-tu combien mon cœur a soif de toi jour et nuit ? Incline-toi vers moi ; montre-moi ta face ; rends-moi tel que tu veux voir ceux que tu as créés, tel que toi, le Très-Saint, tu puisses m’accueillir et m’aimer… » Je ne savais ce que je disais (voir Le 9, 33). Je n’osais penser que c’était Dieu lui-même qui priait en moi.!..
Référence :
La Prière, Expérience de l’éternité. Archimandrite Sophrony Sacharov.
Posted by Holy Trinity Family – Douma