La mort, cette destinée commune de tous les hommes sur la terre, un sort inévitable pour tous ! Nous reculons devant elle comme devant un ennemi des plus cruels. Nous déplorons amèrement ceux que la mort a emportée, et pourtant, nous menons notre vie comme si elle n’existait pas, comme si nous étions éternels sur la terre.
O Ma tombe ! Pourquoi est-ce que je t’oublie ? Tu m’attends, tu m’attends… et je deviendrai sans doute un de tes résidents. Ô pourquoi est-ce que je t’oublie ? Et pourquoi est-ce que j’agis comme si la tombe n’était que le lot que des autres, mais pas du tout le mien ? Le péché m’a enlevé et m’enlève toujours la connaissance et la perception de toute vérité. Il prive et bannit de mes pensées tout souvenir de la mort, de cet événement si tangiblement vrai et important pour moi. Pour se souvenir de la mort, il faut mener une vie conforme aux commandements du Christ. Les commandements du Christ purifient l’esprit et le cœur, les mortifient pour le monde et les renouvellent pour le Christ. Un esprit une fois détaché des passions terrestres commence souvent à tourner son regard vers son mystérieux passage dans l’éternité, vers la mort. Un cœur purifié commence à percevoir sa mort à l’avance. L’esprit et le cœur, lorsqu’ils sont détachés du monde, aspirent à l’éternité. Dès qu’ils ont aimé le Christ, ils ont une soif inextinguible de pouvoir se tenir devant Lui, mais néanmoins ils tremblent à l’heure de la mort, contemplant la majesté de Dieu et prenant conscience de leur propre néant et de leur péché. Pour eux, la mort semble à la fois un exploit effrayant , et en même temps c’est aussi cette délivrance convoitée de la captivité terrestre. Si nous nous trouvons incapables de désirer la mort à cause de notre froideur envers le Christ et à cause de notre amour envers les choses corruptibles, alors utilisons au moins le souvenir de la mort comme un remède amer contre notre état de pécheur puisque « le souvenir de la mortalité » – ainsi que les Saints Pères désignent ce souvenir — dès qu’il a été assimilé par l’âme, alors l’âme coupe son amitié avec le péché et avec tous ses plaisirs pécheurs. Seul celui qui s’est familiarisé avec la pensée de sa fin, disait un saint père, peut mettre fin à son péché. « Dans toutes tes œuvres, souviens-toi de ta fin dernière, et tu ne pécheras jamais » (Sirach 7:40). Lève-toi de ton lit comme si tu ressuscitais d’entre les morts. Allongez-vous sur votre lit comme si vous étiez couché dans votre tombe. Le sommeil est une icône de la mort, et les ténèbres de la nuit – un signe avant-coureur de ces ténèbres sépulcrales après lesquelles brillera la lumière de la résurrection – une lumière joyeuse pour les serviteurs du Christ, mais terrifiante pour ses ennemis. Un nuage épais, bien qu’il ne consiste en rien d’autre que de fines couches d’humidité, recouvre la lumière du soleil. De même, les plaisirs corporels, les distractions et les soucis terrestres frivoles voilent l’éternité et toute sa majesté du regard de l’âme. C’est en vain que le soleil éclaire le ciel pour des yeux frappés de cécité. De même, c’est comme si l’éternité n’existait pas pour un cœur possédé par la passion terrestre, passion pour tout ce qui est grand, glorieux et doux sur la terre. « Cruelle est la mort des pécheurs » (Psaume 33:22 LXX). Elle [la mort] leur vient à un moment complètement inattendu pour eux. Elle vient à eux,alors qu’ils n’ont fait aucune préparation ni pour la mort, ni pour l’éternité. Ils n’ont même pas acquis une conception claire de l’une ou l’autre de ces questions. La mort arrache les pécheurs non préparés de la face de la terre sur laquelle ils n’ont fait qu’irriter Dieu et elle les envoie éternellement dans les lieux de ténèbres. Souhaitez-vous vous souvenir de la mort ? Maintenez une stricte modération dans la nourriture, les vêtements et en ce qui concerne tous vos biens; prenez garde de vous attacher aux objets. Méditez sur la loi de Dieu jour et nuit, ou aussi souvent que possible, et ainsi vous vous souviendrez de la mort. Le souvenir de la mort sera accompagné de torrents de larmes, du repentir de ses péchés, de l’intention de se corriger et de nombreuses prières ferventes.
Lequel des hommes est resté sur la terre pour vivre éternellement ? Pas un seul. Et en cela aussi je suivrai mes pères, mes ancêtres, mes frères et mes parents. Mon corps se retirera dans la tombe noire, et mon sort sera caché à ceux qui restent sur la terre par un mystère impénétrable. Mes parents et mes amis me pleureront, peut-être même pleureront-ils amèrement. Après, cependant, ils oublieront. De même, il y a eu d’innombrables milliers de personnes, pleurées puis oubliées par la suite. Ils sont tous connus un par un et rappelés par le Dieu unique et parfait. A peine étais-je né, à peine étais-je conçu, que la mort avait apposé sur moi son sceau. « Il est à moi », dit-elle, et aussitôt elle me prépara sa faux. Depuis le tout début de mon existence, elle brandit sa faux. À tout moment, je pouvais devenir la victime de la mort ! Il y a de nombreux moments où la mort m’a frolée, mais un jour un coup fatal sera inévitable. La mort regarde toutes les œuvres terrestres des hommes avec un froid sourire de mépris. L’architecte construit son bâtiment massif, le peintre n’a pas encore terminé son chef-d’œuvre, le génie a élaboré des plans ambitieux et souhaite les mener à bien. [A ce moment] vient la mort, inattendue et inexorable, et réduit à néant toutes ses intentions. La mort impitoyable, vaincue par le Christ, ne révère que le serviteur du Christ ; elle ne respecte que la vie qui est en Christ. Souvent, un messager céleste annonce aux serviteurs de la Vérité leur passage imminent dans l’éternité et leur béatitude. Ceux qui se sont préparés à la mort par leur vie, ayant la consolation à la fois du témoignage de leur conscience et de la promesse qui vient d’en haut, s’endorment paisiblement avec le sourire aux lèvres dans le long sommeil de la mort. Quelqu’un a-t-il jamais vu le corps d’un homme juste, séparé de son âme ? Vous ne remarquerez aucune puanteur sortant de son corps, et il n’est pas effrayant de s’en approcher. A son enterrement, le chagrin se dissipe par une sorte de joie incompréhensible. Tantôt les traits de son visage, figés qu’ils étaient aux derniers instants du départ de son âme, reposent dans un calme très profond, et tantôt sur son visage brille la joie d’une salutation et d’une rencontre des plus douces avec les anges et le chœur des saints. envoyé du ciel pour recevoir les âmes des justes. Ô que je puisse me souvenir de ma mort ! Viens à moi, ô souvenir amer, mais juste et profitable [de la mort]. Délivre-moi du péché ! Guide-moi sur le chemin du Christ ! Et que mes mains se détachent ainsi de chaque entreprise vaine et pécheresse. Ô que je puisse me souvenir de ma mort ! Et que la vaine gloire et l’amour du plaisir (corruptible) me fuient. J’enlèverai de ma table les friandises luxueuses, j’ôterai mes vêtements pompeusement splendides et je mettrai un vêtement de deuil. Alors je me pleurerai de mon vivant, moi qui ai été marqué mort depuis ma naissance. « Et ainsi », dit le souvenir de la mort, « souviens-toi et pleure sur toi-même pendant que tu es encore parmi les vivants. Je suis venu vous affliger par bienveillance et j’ai apporté avec moi une foule de pensées qui sont d’un grand profit pour l’âme ! Vendez ce que vous avez en trop, et distribuez-en le prix aux pauvres. Envoyez ainsi vos trésors au ciel selon la volonté du Sauveur. Ils y rencontreront leur propriétaire, se multipliant au centuple. Versez des larmes ardentes et faites des prières ferventes pour vous-même. Qui peut avec autant de soin et de diligence se souvenir de vous après la mort que vous-même pouvez avant votre propre mort ? Ne confiez pas votre salut à un autre alors que vous-même pouvez faire cette chose des plus nécessaires ! Pourquoi courez-vous après la corruption alors que la mort vous privera assurément de tout ce qui est corruptible ? Elle [la mort] est l’exécuteur des commandements du Dieu très saint. Dès qu’elle entend seulement l’ordre, elle se précipite immédiatement à la vitesse de l’éclair pour l’exécuter. Elle ne fera aucun cas des riches, ni des nobles, qu’ils soient héros ou génies, elle n’épargnera ni la jeunesse, ni la beauté, ni le bonheur terrestre ; elle les enverra tous pareillement dans l’éternité. Le serviteur de Dieu entre dans la béatitude de l’éternité, mais l’ennemi de Dieu dans le tourment éternel. « Le souvenir de la mort est un don divin », disaient les saints pères. Il est donné à ceux qui gardent les commandements du Christ afin de le perfectionner dans sa sainte lutte de repentance et de salut. Le souvenir de la mort donné par la grâce est précédé par nos propres efforts pour nous souvenir de la mort. Forcez-vous souvent à vous souvenir de la mort ; assurez-vous de la vérité indubitable que vous mourrez certainement, à un moment encore inconnu de vous, et le souvenir de la mort commencera à venir de lui-même ; un souvenir incroyablement profond et saisissant de la mort commencera à se manifester devant votre esprit. Ce souvenir portera des coups mortels à toutes vos entreprises pécheresses. Un tel don spirituel est étranger à celui qui aime le péché. Même lorsqu’il se tient devant la tombe elle-même, il ne cesse de se livrer aux plaisirs pécheurs de la chair. Il ne pense pas à la mort, bien qu’elle se dresse devant lui face à face. Au contraire, le serviteur du Christ, même dans les magnifiques chambres [des rois], se souvient de la tombe qui l’attend et verse des larmes salvatrices pour son âme. Amen. Saint Ignace (Brianchaninov)