Pardonner à chacun pour toute chose
3 septembre 2011 par fatherstephen (à partir du site: http://fatherstephen.wordpress.com/)
Dans l’œuvre magistrale de Dostoïevski, « Les Frères Karamazov », on trouve le récit de Markel, le frère aîné de Zosime, qui est atteint de tuberculose et qui est mourant. Dans ses derniers jours, il revient à une foi renouvelée en Dieu et à une compréhension vraiment profonde du pardon. Au cours d’un entretien avec sa mère, elle se demande avec grand étonnement comment il peut être si joyeux alors que sa maladie est dans un stade de gravité avancée. La réponse que fait Markel à sa mère est une illustration de ce qui constitue le cœur de la vie chrétienne orthodoxe.
«Maman », lui dit-il, « ne pleure pas ; la vie est un paradis, et nous sommes tous au paradis, mais nous ne voulons pas le réaliser, nous ne voulons pas le comprendre et nous ne cherchons pas non plus à le comprendre. Mais si nous cherchions à le comprendre le paradis serait établi partout dans le monde dès demain « . Nous étions tous étonnés de ses paroles, qu’il prononçait si étrangement et si résolument ; nous avons ressenti une tendre émotion et nous avons pleuré. …« Chère maman, toi qui es une parcelle de mon sang, dit-il (à cette époque, il avait commencé à utiliser ce genre de mots affectueux de façon imprévisible), «parcelle de mon sang bien-aimée et pleine de joie, tu dois réaliser qu’en vérité chacun de nous est coupable devant tous et en tout. Je ne sais pas comment expliquer cela, mais je le ressens au plus profond de moi-même au point que cela me tourmente. Et comment avons-nous pu vivre tout ce temps en étant en colère avec les autres et ne sachant rien de tout cela? » [Il se considérait coupable devant les oiseaux et face à toute la création] …«Oui, dit-il, tout autour de moi, il y a eu de telles manifestations de la gloire divine: les oiseaux, les arbres, les prairies, le ciel, et moi seul j’ai vécu sans la grâce. Moi seul j’ai déshonoré tout cela, en ignorant complètement sa beauté et sa gloire »
« Tu prends trop de péchés sur toi mon bien-aimé» répondit ma mère en pleurant.
«Mais chère maman, toi qui es la joie de ma vie, je pleure de bonheur, et non pas de chagrin ! Pourquoi, moi, je veux être coupable devant tout cela ? je ne peux pas vous l’expliquer, car je ne sais pas comment les aimer. Laissez-moi être coupable, devant tous, ainsi tous vont me pardonner, et ce sera le paradis. Ne suis-je pas déjà au paradis maintenant? »
Aussi difficile que cela puisse paraître, la réalité décrite par Dostoïevski peut se résumer très simplement: pardonner à chacun pour tout. Enoncé de la sorte, un tel objectif est écrasant. Comment puis-je pardonner à tout le monde pour tout? Cette vie de pardon, qui n’est rien d’autre que la vie du Christ en nous, constitue notre héritage dans la foi. Une vie de blâme, de récriminations, d’amertume, de colère, de vengeance et autres choses semblables ne sont pas une vie en Christ, mais simplement les fureurs de notre propre ego, le faux-moi que nous plaçons au-dessus de notre vraie vie qui est «cachée avec le Christ en Dieu ».
La justesse d’une cause, ou la justesse de notre jugement ne justifient ni ne modifient la nature de nos fureurs. Car aucun d’entre nous ne peut se tenir devant Dieu et être justifié – sauf si nous nous donnons à la vie du Christ, qui est notre seule justice.
La question du pardon n’est pas une question morale. Nous ne pardonnons pas parce c’est la «bonne» chose à faire. Nous pardonnons parce que c’est la vraie nature de la vie en Christ. Comme Dostoïevski le décrit: c’est le paradis. De la même manière, le refus de pardonner, le blâme continuel, les récriminations, l’amertume, etc. ne sont pas des défaillances morales. Ce sont des crises existentielles nous attirant loin de la vie du Christ et du Paradis, et nous enfonçant toujours plus profondément dans l’abîme du non-être.
J’ai récemment passé une partie de mon temps de prière chaque jour avec une forme modifiée de la «prière de Jésus» en disant, « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur, et pardonne à tous ceux qui me haïssent ou qui me font du mal. Pardonne-leur librement sans reproche et accorde-moi la vraie repentance « Je n’accorderai pas une grande autorité à cette prière, cependant, lorsque je la dis, je trouve qu’elle me fait du bien. Il s’agit d’un moyen d’offrir la prière pour mes ennemis ; et d’apprendre à mon cœur de « Pardonner à tous en tout».
Il y a une pensée plus profonde et qui est d’une grande importance. Le pardon et la rancune ne sont pas des affaires privées.
Comme le Christ l’a enseigné à ses apôtres, «Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés ; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ».
Cela a une signification particulière pour le ministère apostolique donné à l’Église. Mais cet enseignement fait également allusion à une autre réalité. Mon refus de pardonner est une force pour le mal dans ce monde : car en il attache en même temps mon moi à celui des autres autour de moi. Ce peut ne pas être une liaison intentionnelle ; mais il s’agit d’une attache. De la même manière, le pardon est l’introduction du paradis dans ce monde, à la fois pour moi et pour d’autres autour de moi. Que je le veuille ou non, le paradis est semblable au fruit d’un tel amour. Pardonner à tous pour tout. Est-ce que nous n’allons pas nous retrouver au paradis?
Cette semaine, j’ai été à Dallas, au Texas, pour les obsèques de l’archevêque Dimitri, l’apôtre bien-aimé du sud (des USA). À la fin de la veillée funèbre (comme c’est normalement le cas pour tous les chrétiens orthodoxes), le célébrant principal du service vient vers le cercueil ouvert du défunt. Il place son étole sur la tête du corps et il lit les paroles de l’absolution finale (cette prière est également utilisée dans le sacrement de l’onction sainte).
Que notre Seigneur Jésus-Christ, par Sa grâce divine, et aussi par le don et le pouvoir donné à ses disciples saints et apôtres, par lequel ils peuvent lier et de délier les péchés des hommes, car il leur dit: « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés ; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ». (Jean 20:22-23) » Ou encore : « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel »(Matthieu 18 :18).Par ce pouvoir qui a également été transmis jusqu’à nous par les apôtres et leurs successeurs, pardonne Seigneur à cet enfant spirituel, (nom), à travers moi, qui suis indigne, car comme être humain, il a péché contre Dieu, que ce soit par en paroles ou en actes, en pensée ou avec tous ses sens, que ce soit volontairement ou involontairement, que ce soit par connaissance ou par ignorance, et s’il est sous l’interdiction ou l’excommunication d’un évêque ou d’un prêtre;. ou s’il a lui-même attiré la malédiction de son père ou sa mère, ou est tombé sous sa malédiction propre ou a transgressé un serment; ou a été lié, comme un être humain, à toutes sortes de péchés, mais qu’il s’est repenti de ses péchés avec un cœur contrit, pardonne-lui Seigneur de toutes ses fautes et ses liens. Et que toutes ces choses qui procèdent de l’infirmité de la nature humaine soient livrées à l’oubli. Pardonne lui tout à cause de Ton amour pour l’homme, par les prières de la Très Pure et toute Sainte bénie plus que tout notre Souveraine, la Mère de Dieu et toujours Vierge Marie, des saints et glorieux apôtres et de tous les Saints. Amen.
Nous qui nous attendons à recevoir de telles grandes miséricordes à l’heure de notre propre mort – ne devrions-nous pas étendre la même miséricorde à tous alors que nous sommes encore avec eux?
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