Source : http://fatherstephen.wordpress.com/ (février 2012)
Un Dieu qui demeure une notion générale réduite à une idée n’est pas Dieu du tout. Seule la rencontre quotidienne avec le Dieu vivant, avec tout le chambardement qu’elle entraîne, peut revendiquer l’appellation de chrétien.
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La croyance en un Dieu vivant et vrai est une chose très difficile, lourde de conséquences. La croyance en l’idée de Dieu peut se ramener au mieux à du « Tolkienisme » (allusion à J.R.R. Tolkien auteur du Seigneur des anneaux).Cette distinction entre le vrai Dieu vivant et l’idée de Dieu est au cœur même de la crise du monde moderne sécularisé. Il n’y a pas de place dans le monde sécularisé pour un Dieu vivant et vrai – alors que l’idée de Dieu peut parfaitement trouver sa place dans ce monde moderne.
Pour le chrétien, cette distinction est une grande déchirure dans la vie de la foi. Car il y a une fracture dans notre culture entre les idées que nous avons et la vie que nous menons et cette fracture est souvent considérée comme normale. Cela est plus que de l’hypocrisie – notre problème n’est pas que nous ne parvenons pas à la hauteur de nos idées – c’est que nos idées ont souvent du mal à avoir quelque chose à voir avec la vie que nous vivons.
Dans la culture sécularisée, la religion n’est pas éliminée – mais elle est placée de côté. Et le côté où la religion est placée n’a pas d’importance à condition qu’elle ne touche pas nos vies quotidiennes. Le coup de génie du monde moderne sécularisé (…) est dans son affirmation selon laquelle la religion et la croyance sont une même chose. L’acquiescement des croyants à cet arrangement rend leur foi impuissante. L’erreur fatale dans cet accord consiste en cela: la vraie religion n’est pas un ensemble de croyances – c’est un ensemble de pratiques.
Nous croyons en la prière – mais nous ne prions pas. Nous croyons au pardon -, mais nous ne pardonnons pas. Nous croyons en la générosité – mais nous ne donnons pas. Nous croyons en la vérité – mais nous mentons.
Encore une fois, nos échecs vont au-delà de la pure hypocrisie. Le divorce entre la foi et la pratique est une habitude culturelle qui s’étend bien au-delà du domaine de la religion. Il y a une séparation radicale entre les idées et l’action dans la plus grande partie de notre culture. Mais le fait qu’on ne voit pas la distinction dans le monde contemporain entre le chrétien et celui qui ne croit pas témoigne d’un problème plus profond.
La pratique du christianisme a été de plus en plus écartée de la place publique. Nous avons convenu de privatiser notre foi. Ce que nous croyons est devenu une question de «conscience», plutôt qu’une pratique que les autres peuvent voir. La Réforme (protestante) a en grande partie effacé les formes extérieures de la vie chrétienne: les jours de fête; pèlerinages, vêtements, etc. Les réformateurs avaient raison de penser que la vie intérieure de l’Esprit était beaucoup plus importante que les formes éphémères dans lesquelles elle a été exposée. Cependant, ils n’ont pas remarqué qu’avec la disparition des formes extérieures, la vie intérieure disparaîtrait aussi. Aujourd’hui, par exemple la célébration extérieure du Mardi Gras est tout ce qui reste de l’héritage du mercredi des Cendres (et du carême…).
Le christianisme primitif a été sans doute marqué par des pratiques: sans ces pratiques, il n’y aurait pas eu besoin de martyrs dans les arènes de l’Empire romain. Le christianisme primitif n’était pas un ensemble de croyances – des « philosophies » qui ne coûtaient pas chères étaient abondantes dans la Rome antique. C’est le refus chrétien d’offrir un culte à l’empereur et aux dieux de l’Empire qui les a amenés dans l’arène. Ils ont refusé de s’engager dans les pratiques de l’Etat païen. La générosité radicale des chrétiens a été critiquée par le philosophe platonicien Celsus. Il a condamné l’accueil fait par les chrétiens aux voleurs, prostituées, ivrognes et autres alors que les chrétiens refusaient de considérer comme « justes » des païens bien en vue (comme lui), ainsi l’attitude des chrétiens était considérée comme un rejet de la société romaine elle-même et par conséquent les chrétiens étaient dangereux. Dans notre monde moderne ce qui peut être un risque pour les chrétiens c’est l’insistance par certains que l’enfant à naître dispose d’un droit à la vie et qu’il doit être protégé contre les actions de ceux qui pourraient l’éliminer. Cependant, beaucoup de chrétiens (dont certains qui prétendent être «pro-vie »), acceptent la proposition sécularisée à savoir que leurs croyances sont privées et qu’ils ne devraient pas en faire part pour ne pas influencer les actions des autres. Mais alors leurs croyances privées deviennent inutiles devant Dieu et devant les hommes !
Le théologien américain, Stanley Hauerwas, affirme qu’ «il n’y a pas une telle chose comme la morale privée ». La moralité est une question de comportement entre les gens. Une «morale privée» n’est pas du tout de la moralité. Croire que l’enfant à naître a droit à la vie, et en même refuser de dire que ce droit doit être respecté par tous, revient à dire qu’il n’y a pas réellement un tel droit. Si ce «droit» existe, il est alors immoral de ne pas exiger que tout le monde accepte un tel droit.
Tout ce que nous proclamons en tant que chrétiens peut être pris en considération et pratiqué – sinon notre proclamation est inutile. La parabole du Christ sur le Jugement dernier dans Matthieu 25 confronte les chrétiens avec leurs pratiques: nourrir les affamés; visiter les prisonniers, revêtir ceux qui sont nus; donner à boire à celui qui a soif. Aucune mention n’est faite de la croyance. Ce n’est pas que la croyance est sans importance – mais le dogme de la foi sous-tend et met en forme notre pratique de la foi. «La foi sans les œuvres est morte», parce que dans ce cas c’est qu’il n’y a pas de foi du tout.
Le cœur de la foi orthodoxe (à la fois le dogme et la pratique) se trouve dans sa proclamation de l’union avec le Christ. «Dieu s’est fait homme afin que l’homme puisse devenir dieu», selon les paroles de saint Athanase. La vie humaine a été conçue pour être vécue en union avec Dieu. Dans le récit de la Genèse sur la Chute, nous apprenons le caractère essentiel de ce qui est abîmé en nous: nous avons coupé notre communion avec Dieu et nous nous sommes tournés vers le chemin de la mort et de la destruction. La nature du péché réside précisément dans son mouvement loin de l’union avec Dieu. Le chemin du salut est précisément la voie de l’union avec Dieu. Ceci est rendu possible par l’union du Christ avec l’humanité. Il a pris notre condition brisée (abîmée) sur Lui – piétinant la mort par la mort de sa crucifixion et sa descente dans l’Hadès – Il nous élève dans sa résurrection à la voie pour laquelle nous avons été créés. De gloire en gloire, nous nous transformons progressivement à son image à la mesure que nous vivons en union avec Lui.
C’est plus qu’une histoire doctrinale – c’est aussi une description de la pratique de la foi chrétienne. Nous aimons parce que nous vivons en union avec le Christ, «qui nous a aimés et s’est livré pour nous ». Nous nourrissons les affamés, nous donnons des vêtements à ceux qui sont nus, nous visitons les prisonniers et les malades parce que ce faisant, nous le faisons pour le Christ. Toute pratique de la bonté et de la miséricorde est un acte d’union avec le Christ. La vie de l’Eglise dans ses fêtes et ses jeûnes, ses sacrements et ses services, tous ces actes sont la pratique du culte chrétien c’est-à-dire la vie d’union avec le Christ. Ce ne sont pas de simples divertissements religieux, ni des événements éducatifs mais ils sont la manifestation visible de la vie intérieure de Dieu dans l’homme.
Les chrétiens dans ce monde sont « comme l’âme est au corps, » suivant les mots d’un écrivain chrétien du IIe siècle ( Epître à Diognète ). En tant que tels, ils sont la vie de ce monde. La présence de chrétiens pratiquants est la présence du Royaume de Dieu. L’intrusion du Royaume de Dieu en ce monde est une dislocation de la culture de mort qui a commencé avec la Chute. L’histoire de l’amour de ce monde avec la mort est et doit être mise en cause par la manifestation du Royaume. Ce n’est vrai que si le christianisme est pratiqué et que le monde voit des chrétiens qui pratiquent.
Les états modernes (…) garantissent la liberté religieuse des individus. Mais les chrétiens orthodoxes font remarquer que cette «liberté» était également garantie par le communisme (soviétique) mais alors, sous le prétexte de la protection des individus, les parents étaient interdits d’enseigner la foi à leurs enfants ! Or la foi chrétienne ne peut être pratiquée qu’en communauté. Définir la foi comme une affaire strictement individuelle revient à la détruire(…). Les Chrétiens feraient bien de pratiquer leur foi et de refuser les compromissions. Nous sommes appelés à une vie en union avec le Dieu vivant et vrai. Qu’une telle vie imprègne chaque action de la journée – chaque souffle que nous inspirons. Tout autre choix n’est rien d’autre qu’une entente avec l’ennemi qui cherche à placer notre Dieu le plus loin possible et de servir un dieu qui n’est pas Dieu.
http://fatherstephen.wordpress.com/ 23 février 2012