L’homme est une boue que Dieu a ordonné de devenir dieu.
– Saint Grégoire de Nysse
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Comment créer un dieu? Comment créer un être qui est véritablement libre et ayant l’amour vrai, donc un être doté d’une véritable existence?
Ce n’est évidemment pas une question tout à fait rationnelle – mais c’est une question sérieuse pour la pensée chrétienne. Car, comme saint Grégoire de Nysse le souligne, la création de l’homme est bien davantage que ce qui se trouve dans le livre de la Genèse. Les récits de la création dans la Genèse ne sont qu’un prélude à la grande histoire accomplie en Christ. Avec le Christ, la boue est devenue lumière.
La liberté et l’amour sont nécessaires à l’existence réelle – du moins l’existence réelle telle que vécue en Jésus-Christ. C’est parce-que les choses n’existent pas par elles-mêmes. Tout ce qui existe est amené à l’existence et est soutenu dans son être par le Bon Dieu qui l’a créé. Mais pour les êtres humains une « existence » encore plus grande est accordée. Dans le récit de la Genèse il est précisé que ce don qui est accordé est d’exister «à l’image et à la ressemblance de Dieu. »
Pour exister comme Dieu (à sa ressemblance) – il faut la liberté. Car si notre existence est une exigence (si l’on doit nécessairement exister), alors nous ne sommes pas libres. Nous nous trouvons dans ce monde ici-même à cause de la volonté de quelqu’un d’autre et non pas la nôtre. Ce n’est pas en cela que consiste l’image et la ressemblance à Dieu. Pour exister à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous devons avoir le pouvoir d’exister en toute liberté ou pas.
Non seulement nous devons être en mesure d’exister librement – mais la vraie existence (comme celle de Dieu) – n’est pas une question qui se rapporte purement à soi-même. Dieu existe comme Père, Fils et Saint-Esprit. Le Dieu qui existe librement le fait dans l’amour. Le Père aime le Fils, le Fils aime le Père, et ainsi de suite. Le métropolite Jean Zizioulas, en suivant la pensée de saint Basile le Grand, révèle que Dieu « constitue » Son existence dans l’acte libre de l’amour qui est le sens fondamental de ce qui fait que l’on est une personne.
Exister à l’image et à la ressemblance de Dieu, c’est exister en tant que personne. Nous réalisons cela dans un acte d’amour gratuit dans lequel nous nous donnons à l’autre, même si l’on accepte l’existence de l’autre.
Il y a beaucoup plus à dire que ce que nous le faisons habituellement dans le sens que l’on donne à des mots tels que « exister », et cela donne forme à l’expression « à l’image et à la ressemblance de Dieu», de manière à la sauver de de la banalité.
La foi chrétienne est l’histoire de cette création – dans la plénitude de son déroulement.
Saint Irénée (2e siècle) décrit Adam et Eve comme n’étant pas «parfaits» dans le sens qu’ils représentent un début et une intention « à un stade comme celui de l’adolescence ». Mais il s’agit de quelque chose qui non seulement est demeuré inachevé – mais de quelque chose qui a dévié de sa voie. De la «boue à laquelle il est ordonné de devenir des dieux», Adam et Eve sont devenus des êtres incapables d’être vraiment humains. La mort et la corruption marquent leur existence. Les histoires de la Genèse comprennent comportent les fratricide entre leurs enfants. Les premiers chapitres de la Genèse ne sont pas l’indice d’un début prometteur – mais ils comportent l’annonce du début de la promesse.
Cette promesse commence avec Eve, à qui le Seigneur dit que sa «semence» « écrasera la tête du serpent. » Au niveau le plus primitif, cette déclaration peut signifier aussi que, «ta postérité détestera les serpents. » Mais dans les oreilles des chrétiens, c’est la promesse de Celui qui va venir et détruire l’esclavage de la mort et du mauvais chemin.
L’histoire du salut de l’homme pour les chrétiens orthodoxes n’est pas un conte de théologie abstraite. Il n’y a pas de justice offensée ni de péché originel, il n’y a pas de prédestinations ou de bonté imputée à l’avance. Il y a l’histoire d’un mouvement qui commence par le rejet d’une potentialité offerte vers une divinisation réalisée. L’entrée de Dieu dans cette histoire est celle d’un Dieu qui se fait homme pour que l’homme puisse devenir Dieu. Le Christ, selon saint Paul, est le «second Adam». Il est à la fois dans son humanité et dans sa divinité à la fois la promesse et l’accomplissement de la promesse. Ainsi, saint Paul décrit le chemin du salut comme étant « de se conformer à l’image du Christ», qui est «l’image du Dieu invisible. » C’est l’accomplissement de l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu selon les paroles de saint Jean Chrysostome:
C’était [Dieu] qui nous a amené du néant à l’être, et quand nous étions tombés Il nous a ressuscités, et Il n’a pas cessé de faire toutes choses jusqu’à ce qu’Il nous amène au ciel, et nous fasse don de Son royaume qui est à venir.
Il s’agit de la ligne directe de l’œuvre de Dieu, l’œuvre salvifique du Christ. Il s’agit de notre « re-création » à l’image de Dieu. Mais c’est une histoire qui nécessite notre liberté et notre amour. Car nous ne pouvons exister à Son image que si nous le faisons librement et avec amour. Notre re-création nécessite notre coopération.
Pourquoi Dieu ne nous a pas crée selon le chemin qu’Il voulait sans toute la souffrance et la mort qui continuent de se produire? N’est-ce pas une création cruelle?
Notre souffrance et notre mort sont l’histoire d’Adam que nous vivons en chacun de nous. «Le jour où tu en mangeras, tu mourras » … et c’est ce que nous faisons. Mais notre souffrance et notre mort sont aussi le chemin de notre liberté et de l’amour. L’image véritable de Dieu prend ce même chemin de souffrance et de mort et transforme ce qui serait autrement une tragédie en la victoire de Pâques. Ceci est la véritable histoire d’Adam. Dieu s’est fait homme pour que l’homme puisse devenir Dieu.
Le plus dur jugement de cette histoire vient de la bouche d’Ivan Karamazov dans le plus grand roman de Dostoïevski.
Et si la souffrance des enfants fait partie de la somme des souffrances nécessaires pour acheter la vérité, alors je dis à l’avance que toute la vérité ne vaut pas un tel prix …. Ils ont mis un prix trop élevé pour obtenir l’harmonie, nous ne pouvons pas nous permettre de payer autant pour l’obtenir. Et donc je m’empresse de rendre mon billet. Et il est de mon devoir de le restituer. C’est pourquoi je m’empresse de le rendre, et en tant qu’honnête homme, je dois rendre ce billet le plus en avance possible. Et c’est ce que je fais. Ce n’est pas que je n’accepte pas Dieu, Aliocha, mais je viens très respectueusement de lui rendre le billet.
La description poignante d’Ivan de la souffrance des enfants est peut-être l’argument le plus efficace jamais offert contre l’amour de Dieu. Est-ce que le voyage de la boue vers Dieu vaut la souffrance des enfants? Est-ce qu’une véritable existence dans la liberté et l’amour vaut un tel prix?
Je ne suis pas certain que toute réponse rationnelle est suffisante. Je comprends que le Christ a fait sienne la souffrance des enfants (et de nous tous). «Le jour où tu en mangeras, tu mourras», peut aussi être dit ainsi, «Le jour où tu en mangeras des enfants innocents vont souffrir ». Et le plus innocent des enfants prend Sa place sur la croix précisément au milieu de la souffrance. « Laissez les petits enfants venir à moi», dit-il – car Il est venu pour eux.
Comme Ivan, nous pouvons refuser le billet. Nous pouvons déclarer que la souffrance innocente d’un seul enfant ne vaut pas tous les voyages qui nous mènent de la boue à la déification. Mais on nous dit dans la grande histoire chrétienne que «l’Agneau a été immolé dès la fondation du monde ». La souffrance de l’enfant unique, et de tous les enfants (et de nous tous), est clairement prévue dans la création de Dieu. Notre chemin vers la souffrance et la mort n’est pas une surprise. Apparemment, il ne peut y avoir de liberté et d’amour dans la création si on n’emprunte pas cette voie. Et pourtant, Dieu dit: « Que la lumière soit. » Ce n’est pas seulement la proclamation du début de la création, mais une déclaration pour son aboutissement – pour que la boue devienne lumière.
Mais comment peut-on évaluer le prix? Dieu l’a soupesé et a trouvé que le prix en valait la peine (un prix que Lui-même a payé). Le grand saint russe Séraphin de Sarov a dit une fois:
Oh, si seulement vous saviez quelle joie, quelle douceur attend une âme juste dans le ciel! Alors vous prendriez la décision de supporter tous les chagrins de cette vie mortelle, et de recevoir avec gratitude les persécutions et les calomnies. Si cette cellule que la nôtre était remplie de vers, et que ces vers mangeaient notre chair durant toute notre vie sur la terre, nous devons l’accepter avec le désir total, afin de ne pas perdre, par malchance la joie céleste que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment.
Pour ma part, j’accepte ce témoignage de saint Séraphin et je m’émerveille quand je le considère. Que signifie donc exister vraiment, dans la liberté et dans l’amour, comme Dieu lui-même existe? Pour quelle joie notre Dieu de bonté nous a créés, bien que le chemin vers la joie soit marquée à la fois par notre propre souffrance et Sa propre grande souffrance? On nous dit que le Christ est allé à la croix « pour la joie qui viendrait ».
Je ne peux pas imaginer cette joie mais j’accepte le billet.
http://glory2godforallthings.com/2012/11/15/from-mud-to-light-the-saving-work-of-christ/