LES PORTES DU JEÛNE
Que cherchons-nous lorsque nous frappons à la porte du jeûne? Nous nous restreignons dans notre alimentation afin que le Seigneur nous nourrisse des richesses de Sa miséricorde. Nous Lui demandons une miséricorde qui devient notre nourriture. Tout notre effort -alors que nous entamons le chemin vers Pâques- consiste à ce que nous soyons convaincus que nous sommes en mesure de recevoir de la nourriture céleste et que le Seigneur est Celui qui prépare notre faim de Lui. Nous devons désirer la nourriture céleste et alors le Seigneur pourvoira à notre désir. Nous ne nous rassasions que si nous désirons le Seigneur Lui-même comme nourriture. Est-ce que la privation volontaire des nourritures terrestres et le désir du « pain céleste » constituent toute la nourriture divine ? Mais Dieu nous nourrit de toute parole qui sort de Sa bouche et Sa parole est Lui-même !
En dehors de cela la nourriture entre dans la bouche et n’apporte pas le salut, parce que les aliments sont pour le ventre et le ventre est pour les aliments et Dieu va détruire l’un et l’autre. Je pense qu’un point très important dans le jeûne est que nous comprenions que tout ce qui entre par la bouche va disparaître avec le corps.
Les règles du jeûne sont variées chez les chrétiens. Il y a des divergences sur la quantité et la nature des aliments (qu’il est permis de prendre) mais les chrétiens se sont trouvés en accord sur une chose c’est qu’il est fondamental dans la vie de tout homme de maîtriser ses passions et qu’il ne soit pas dominé par elles. Le christianisme te sauve si tu mets en pratique le fait de couper le lien avec toute passion nocive… Le jeûne pour nous chrétiens n’est pas un régime alimentaire mais il est maîtrise de soi sur son propre corps et un élan vers le pain céleste qui est la Parole de Dieu, parole qui devient la vie du chrétien qui demeure ainsi ferme dans son engagement à suivre le Seigneur dans toute bonne action. Le plus important est d’apprendre du jeûne que la nourriture périt avec le corps. Le Royaume de Dieu n’est pas dans la nourriture et la boisson. Il nous faut toute la durée de notre vie pour que nous apprenions que le Royaume de Dieu est justice et sainteté. Qu’est-ce que nous apprenons en nous limitant sur la nourriture ? C’est d’une grande importance durant la période du carême. Qu’apprenons-nous en ce qui concerne le salut ? Tout dans le christianisme est élévation vers Dieu sinon ce que nous faisons alors n’est rien du tout. Comment à partir d’une règle alimentaire nous nous protégeons du pêché et nous voyons la face de Dieu ? Et si nous ne prenons pas conscience de ce visage de Dieu nous aurons cheminé en vain ! Ces chrétiens qui m’interrogent sur l’utilité du jeûne me surprennent alors qu’ils ne l’ont jamais pratiqué et pourtant ils obéissent à leurs médecins lorsqu’ils leur disent que manger de la viande tous les jours est mauvais pour la santé ! Ainsi ils écoutent leurs médecins lorsqu’ils leur disent de ne pas abuser de viande et en même temps ils ne tiennent absolument aucun compte de la limitation volontaire de nourriture (durant le carême) qui pourrait leur faire le plus grand bien sur le plan spirituel et sur le plan de la santé. Ils se démarquent de façon marquée avec l’appel du Christ à pratiquer le jeûne, appel qui se manifeste dans la manière dont l’Eglise organise ce grand acte spirituel.
Ne pas jeûner sous prétexte que notre Seigneur Jésus Christ n’a pas émis des règles concernant le jeûne mais l’a seulement évoqué comme principe général c’est prendre à la légère l’Eglise qui a été établie par le Christ et à qui a été confié la charge du salut (des hommes) en ce monde.
Par conséquent ce que prétendent certains sur le fait que le jeûne est facultatif et non obligatoire car le Christ n’aurait pas émis des règles pour le jeûne et n’aurait pas défini une période pour le pratiquer est non recevable. Le Christ a émis un principe général, il n’a pas non plus organisé l’Eglise dans tous ses détails mais il a laissé cette tâche à ses apôtres et à leurs successeurs (…) L’Eglise est vivante et elle traverse les époques avec la sagesse qui la caractérise pour le bien des croyants, elle n’est pas un système rigide … Le Christ nous a donné Sa parole de vie, Il n’a pas établi de règlements, et ce que l’on appelle une loi de l’église ne constitue pas quelque-chose de semblable à une loi civile qui évolue tout le temps. Dans l’Eglise il y a des lois permanentes qui ne changent pas et des lois qui peuvent être modifiées. Ce qui dans l’Eglise est proprement divin ne change pas, par contre ce qui est dû aux circonstances historiques peut être modifié.
Il n’y a pas de vie sans apparence extérieure. Comment modifier les apparences lorsqu’il le faut sans saper les fondements ? La précision des formes liturgiques découle du fait que ces formes sont héritières d’une origine divine et historique en même temps. Ce qu’il y a de divin dans l’organisation de l’Eglise n’est pas atteint si on change un peu de son reçu historique. L’Histoire porte également Dieu. Ce qui est éternel se penche sur le temporel mais aussi il ne faut pas modifier ce qui est temporel pour lui donner la prééminence sur ce qui est éternel. Ainsi on ne peut modifier les règles établies pour le jeûne afin de ne pas se jouer de ce qu’il contient d’éternel. C’est la sagesse de l’Eglise de concilier ce qui change et ce qui est permanent de sorte qu’aucun aspect ne domine l’autre. Ainsi si l’Eglise considère que le jeûne est un élément permanent, et qu’en le supprimant on détruit l’organisation de l’Eglise, alors on ne peut modifier sans fin les règles du jeûne.
Changer ce qui est établi est très délicat. Les théologiens orthodoxes ont examiné la question des règles du jeûne et ont décidé de ne rien modifier. J’étais présent à Genève au moment de ces réunions de théologiens pour la préparation du futur concile de l’Eglise orthodoxe (et dont la date demeure incertaine). Nous avons alors refusé de modifier les règles du jeûne. Ce qui a prévalu chez les participants à ces réunions est que la forme retenue pour le jeûne est très bonne.
Mais rien n’empêche de modifier ces règles, et une église autocéphale peut le faire ; c’est ce que nous avons fait durant les années de guerre au Liban mais les croyants ont gardé les règles du jeûne.
Toute approche des règles du jeûne doit être soutenue par un dynamisme spirituel basé sur les Ecritures et la Tradition. Toute modification, des règles du jeûne doit être basée sur la compréhension du sens du jeûne. Une alternative aux règles du jeûne doit être accompagnée d’une renaissance spirituelle générale.
Le jeûne est le désir de Pâques et de la Lumière qui rayonne avec force sur nous. Pour s’approcher de cette Lumière il faut arrêter de tomber (chuter) et s’élancer vers la lumière qui vient de Dieu car si nous pouvons demeurer dans cette Lumière nous aurons vaincu le monde. Le jeûne est un effort qui indique notre élancement inconditionnel vers cette Lumière qui efface toute ténèbre enfouie dans les failles de notre âme et qui l’appelle à être un grand projet porteur de Lumière.
Mgr Georges (Khodr). Evêque du Mont-Liban.
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