LE VERITABLE COMBAT CULTUREL
Source : http://glory2godforallthings.com/2013/03/19/the-true-culture-war/
Le paysage culturel du monde moderne ne cesse de se modifier. Des opinions qui étaient il y a peu de temps encore minoritaires sont devenues majoritaires ; et le monde politique s’est rapidement ajusté en conséquence. Des positions qui étaient autrefois traditionnellement chrétiennes et qui bénéficiaient d’un large soutien de l’opinion publique sont aujourd’hui marginales. Dans divers endroits, les chrétiens se trouvent être des objets de mépris – même de dégoût. Je pense que nous nous dirigeons vers des jours assez sombres. Mais je ne pense pas que cet aspect des choses soit la véritable «guerre culturelle » de notre époque. Le flux et le reflux de la culture, comme la montée et la chute des nations et des empires, sont entre les mains de Dieu. Les chrétiens sont appelés à être sel et lumière dans le monde – mais nous sommes appelés à être tels, précisément parce que le monde a besoin de sel et de lumière (parfois plus, parfois moins). Mais la grande « guerre culturelle » est celle qui fait rage dans le cœur d’un chrétien.
J’ai (souvent) écrit et publié à propos d’une conception d’un monde «à deux étages» [Le monde à deux étages dans le langage du P. Stephen est celui dans lequel la personne se conduit en déconnectant la vie spirituelle et la vie de tous les jours]. C’est une image que j’utilise pour réfléchir sur les conséquences de la vie au sein d’une culture sécularisée et de la tentation d’un christianisme sécularisé. Mais les structures d’un monde « à deux étages » existent dans l’imaginaire des croyants modernes. Soit Dieu est présent partout ou alors Il n’est présent nulle part.
La laïcité est une construction intellectuelle. Elle a sa propre histoire – qui commence en grande partie au du début de la Réforme. Ses hypothèses sont que l’univers existe dans une zone « neutre ». Les choses sont juste des choses et elles n’ont pas de signification religieuse particulière en elles-mêmes. La religion est une question de conviction personnelle, mais elle n’est pas une description de l’ordre de la sphère matérielle.
Parallèlement à cela on arrive à une sécularisation des sacrements. La signification du Pain et du Vin dans l’Eucharistie est «spirituelle» n’affectant aucun changement important dans le pain et le vin (à noter que le mot «spirituel» vient à signifier à «ne pas avoir à faire avec les affaires banales quotidiennes»). «La liberté de religion » signifie « liberté de croyance » puisque la religion est tout simplement une question de croyance (c’est-à-dire une question intellectuelle).
La vie vécue dans la «zone neutre» est considérée et comprise comme étant la «vie normale». Aujourd’hui, cela devient même synonyme de «monde réel». Les pratiques religieuses lorsqu’elles sont affichées publiquement tendent à ébranler la neutralité du monde réel. La sensibilité des gens ordinaire est souvent choquée par de telles intrusions considérées comme indésirables et malvenues. La place publique n’est pas un carré religieux.
Cette conception d’un monde « à deux niveaux » fait de plus en plus l’objet de la législation et de la gestion de la chose publique. Ainsi, une crèche n’a pas sa place dans la sphère publique et les Dix Commandements dans un palais de justice. Mais ce n’est pas là qu’a lieu la « guerre culturelle ».
Cette guerre culturelle est le fait que nous-mêmes nous ressentons de plus en plus que ces choses (c’est-à-dire les symboles religieux) n’ont pas leur place sur la place publique. Les sensibilités des croyants ont longtemps été l’objet d’efforts pour les séculariser. La laïcité a été inventée afin de rendre « pacifiques » les croyants. La guerre de Trente Ans dans la première moitié du 17e siècle, a opposé protestants contre catholiques surtout dans le centre de l’Europe occidentale… Cette guerre a été extrêmement dévastatrice. [La guerre de trente ans qui s’est achevée en 1648 a été la dernière guerre de religion en Europe, elle opposait des Etats catholiques, l’Espagne et le Saint Empire Germanique à des Etats protestants allemands. Les guerres qui ont eu lieu eu Europe par la suite n’ont plus eu de motif religieux].
Les sensibilités du 18ème siècle et les « Lumières » ont été façonnées dans une large mesure par cette tourmente. L’idée que les convictions religieuses sont la source d’un conflit interminable était difficile à contredire. Kant et d’autres penseurs importants du 18ème siècle ont offert des alternatives à un monde mis en forme par la religion. Kant a écrit un livre « La religion dans les limites de la simple raison », un livre dont le titre dit tout. John Lennon exprime un sentiment qui fait un peu écho à ces penseurs du siècle des Lumières dans sa célèbre chanson « Imagine » où il dit « imagine …no religion ».
Près de quatre cents ans se sont écoulés [depuis le début de la Réforme] durant lesquels on a répandu la prédication d’un évangile laïque. Stanley Hauerwas [Théologien né en 1940 aux Etats Unis et qui a été professeur de théologie éthique à l’Université de Duke] a constaté que l’une des grandes réalisations des États-nations modernes et laïques s’est manifestée dans leurs capacités à faire que des protestants tuent des protestants et des catholiques tuent des catholiques. Les guerres n’ont donc pas cessé pour autant – ce qui avait changé était donc leur justification. Les laïques modernes sont choqués par le caractère religieux de la contestation islamiste, comme si saisir un territoire ou contrôler un marché pétrolier était plus acceptable. On n’a plus recommencé la guerre de Trente Ans. Kant, et les autres penseurs comme lui, ont réussi (ce qu’ils voulaient réaliser). Cependant le rationalisme et la laïcité n’ont pas résolu les origines de la guerre elle-même.
La « guerre culturelle » qui fait rage à l’intérieur du croyant surgit d’une double loyauté. Comment Jésus peut-être le Seigneur de tous et en même temps être le Seigneur de rien du tout dans le monde qui nous entoure? Certains résolvent la contradiction en reportant la Seigneurie du Christ vers l’avenir. Il sera Seigneur quand Il reviendra. Il existe une palette de variations sur ce thème et cela apporte une solution au problème d’un monde « à deux niveaux ».
Au cours des dernières décennies, alors que l’accord tacite qui conservait l’allégeance religieuse nominale intacte dans la culture populaire était progressivement remis en cause, des personnalités religieuses ont mené un assaut frontal [contre cette tendance]. Au cours des élections et autres scrutins, des efforts pour regagner la majorité politique ont poussé les enjeux dans ces guerres culturelles vers de nouveaux sommets. Le résultat a probablement provoqué une contre- réaction qui n’a fait qu’accélérer la marginalisation de la religion.
Mais ces stratégies et attaques doivent s’attaquer au centre du problème – qui est le cœur – car c’est au sein de ce que les Pères appellent le cœur que la vraie guerre est menée. Dans une large mesure, le christianisme a perdu la guerre, car il a largement perdu le cœur ainsi que la mémoire de ce qu’il signifie.
Le cœur n’est pas le siège des émotions et des sentiments selon les écrits des Pères. Au lieu de cela, il est l’organe de la perception spirituelle, ce lieu intime où nous rencontrons Dieu et où nous savons la vérité (et non pas là où on pense ce qu’est la vérité). Le cœur (…) ne juge pas et ne compare pas (ce sont des facultés de l’esprit en tant qu’intellect). Mais considérer la création comme un monde à « un niveau » [donc où vie spirituelle et vie de tous les jours forment un tout] est quelque chose connu dès le départ comme étant une perception. Si nous avons perdu la capacité de percevoir, nous avons perdu notre chemin spirituel.
Des expressions telles que « toute la création est un sacrement, » ont peu de sens à un esprit rationnel. On peut alors poser cette question : « Est-ce que cela veut dire que nous devrions penser différemment les choses? » La réponse est la suivante : «Je veux dire que vous ne pouvez pas penser les sacrements (sauf de façon abstraite). Un sacrement est un moyen pour connaître et non pas un objet de connaissance ».
L’incarnation du Christ est considérée par de nombreux chrétiens comme une visite – Dieu s’est fait homme – et Il est mort sur la croix pour nous sauver – et ensuite il est parti. Pour eux [le P. Stephen se place dans le contexte de la société aux USA] l’Incarnation n’établit pas une relation entre Dieu et le monde visible (matériel). Le sein de la Vierge n’était qu’un abri temporaire, avant qu’elle n’ait d’autres enfants conçus à la manière de n’importe quelle femme. Le fait que le Christ soit l’os de ses os et la chair de sa chair ne veut rien dire (pour ces chrétiens)- car ce n’est pas la chair du Christ qui sauve. L’action salvifique du Christ est une opération réalisée hors de la scène sur un autel dans le ciel.
Cela n’est pas une caricature. La virginité de Marie est rejetée par le christianisme moderne comme une pieuse fiction (et elle est considérée comme une idolâtrie par d’autres). Les théories de l’expiation popularisées depuis la Réforme se concentrent sur la colère du Père et sur la dette payée par le Christ. Le sang du Christ est versé sur un autel céleste, la croix n’étant qu’un instrument de mort(…)
Le chemin d’accès à un univers où il n’ y a pas déconnection entre vie spirituelle et vie de tous les jours se trouve directement dans le cœur. Ce n’est pas un chemin d’accès à une fiction mentale, mais une discipline et un don par lequel nous voyons la vérité des choses. Dieu est partout présent et Il remplit tout. L’Incarnation a révélé l’ensemble de la création comme un sacrement, comme un moyen de communion et de participation dans le Christ, car lui-même est entré en communion en participant à la création. Les efforts pour exiler le Dieu incarné de notre monde, que ce soit de la place publique ou d’une miche de pain, sont futiles dans le long terme. Car il s’agit bien d’un combat culturel, mais ce combat a été remporté (par le Christ) il y a longtemps. Le cœur perçoit cette vérité et s’émerveille de la bonté de Dieu envers la terre des vivants.